Plutus.

11e et dernière.

Plutus.

Comédie.

Personnages.

• Carion, esclave.
• Chrémyle.
• Plutus.
• Blepsidème.
• La Pauvreté.
• La femme de Chrémyle.
• Un homme délien.
• Un dénonciateur.
• Une vieille.
• Un jeune homme.
• Mercure.
• Le prêtre de Jupiter.
• Le chœur.

Que c’est une chose facheuse, ô Jupiter et tous les Dieux ! d’être esclave d’un maître qui n’a point de raison ! Si l’esclave s’avise de donner un bon avis, et † son maître ne le veut pas suivre, le pauvre esclave est en danger d’être battu. La malheureuse destinée que celle d’un homme de ma condition ! Quoi ! Faut-il que mon corps soit plus à celui qui m’a acheté qu’à moi-même. Enfin, voilà ce que c’est : pour ce beau Loxias qui débite ses oracles sur un trépied d’or, j’ai de justes reproches à lui faire, de ce que tout habile médecin et tout prophète qu’il est (du moins on le dit), il renvoie mon maitre au logis tout hypocondriaque, et lui ordonne d’y suivre un aveugle : chose qui est tout à fait contraire à la raison. Car ceux qui ont de bons yeux marchent devant les aveugles ; et mon maître au contraire en suit un, et m’oblige d’en faire autant. Au moins, si cet aveugle qui nous mène daignait parler ! Mais il ne desserre pas les dents. Pour ce qui est de moi, il n’est pas possible que je me taise. Non, mon maître, je ne vous donnerai point de repos, que vous ne m’ayez dit qui est cet homme que nous suivons. Je sais bien que vous ne me battrez pas puisque j’ai une couronne sur la tête.

Mais je saurai bien te l’ôter, maraud, si tu me tracasses davantage, et je te punirai.

Tarare.³ Vous n’aurez point patience, jusqu'à ce que vous m’ayez dit qui est ce visage. Pardi vous savez bien que je vous suis très-affectionné.

Je te le dirai. Aussi bien suis-je persuadé que tu es le plus fidèle de tous mes serviteurs, quoique le plus grand fripon qu'aucun autre. Tu sais que tout homme de bien, et tout religieux que je suis, cependant je languis dans l'indigence.

Il est vrai.

Pendant que je vois riches une infinité de sacrilèges, de rhéteurs, de calomniateurs, d'hommes détestables.

Cela est bien sûr.

J'ai donc été consulter l'oracle sur l'état de mes affaires et sur le malheur qui m'accable et je lui ai demandé si je devais persuader à mon fils unique de changer de mœurs et de devenir injuste, scélérat et aussi corrompu que les autres vu qu'il me paraissait que c'était le seul moyen de faire fortune.

Et Phébus, qu'a-t-il ordonné à travers les couronnes ?

Tu le sauras. Il m'a dit clairement

et sans ambages de ne point laisser aller le premier homme que je rencontrerais trouverais au sortir du temple et de lui persuader de venir au logis avec moi.

Et quel est donc le premier homme que vous avez rencontré ?

C'est celui-ci.

Vous le prenez, ma foi, de travers. Le sens clair de l'oracle est que vous devez mettre votre fils au train commun.

Quelle raison as-tu d'en juger ainsi ?

C'est une chose qu'un aveugle verrait qu'il n'est rien de si utile maintenant pour faire fortune que de n'avoir rien de sain.

Il n'est pas possible que ce soit là le sens de l'oracle. Il nous a marqué quelque chose de plus grand. Nous saurions à quoi nous en tenir, si cet homme voulait nous dire qui il est et ce qu'il est venu chercher parmi nous.

Parle donc toi, et dis nous qui tu es et ce que tu cherches.

Il faut parler au plus tôt.

Je te dis, à toi, de gémir.

L'entendez-vous ? Voilà comme il dit qu'il s'appelle.

C'est à toi qu'il parle et non pas à moi, parce que tu l'as interrogé avec aigreur. Mais, si la rencontre d'un homme de bien et religieux dans ses serments t'est agréable, dis-moi ce que je te demande.

Pleure : c'est ce que j'ai à te dire.

Recevez l'homme et le bon augure que Dieu vous envoie.

Par Cérès tu ne te moqueras pas de moi plus longtemps ; et si tu ne parles, je te traiterai comme tu le mérites.

Qui que vous soyez, éloignez-vous de[?] moi tous deux.

Nous n'en ferons rien.

Mon maitre, il me vient une bonne pensée pour faire périr le ce maraud. Il faut le mener au bord d'un précipice et l'y laisser afin qu'il se rompe le cou en tombant.

Je vous en prie.

C'est ce que je ne ferai pas.

Parle donc.

Je ne vous aurai pas plus tôt dit qui je suis que vous me traiterez mal et ne me laisserez point aller.

Non, par tous les Dieux, nous ne te ferons que ce que tu voudras.

Laissez-moi donc, d'abord.

Eh bien ! te voilà libre.

Écoutez donc maintenant ; aussi bien suis-je contraint de dire ce que j'avais dessein de tenir caché. Je suis Plutus.

Fripon ! et tu te taisais, toi qui es Plutus !

Tu es Plutus, toi, que voilà en si mauvais équipage ? ô Phébus ! ô grand Apollon ! ô Dieux et démons ! et Jupiter avec ! Que dis-tu ? Es-tu véritablement ce que tu te vantes d'être.

En vérité.

Plutus même ?

Sans mentir.

D'où viens-tu donc comme cela, si maussade ?

Je viens de chez Patrocle qui ne s'est point lavé depuis qu'il est au monde.

Et d'où vient que tu es en aveugle ? Dis-le moi, je t'en conjure.

C'est Jupiter qui m'a mis en cet état, par l'envie qu'il porte aux hommes. Quand j'étais petit, je l'avais menacé que je n'irais que chez les justes, les sages et les gens de bonnes mœurs ; et il me rendit aveugle, afin que je ne pusse les reconnaître : telle est la jalousie qu'il a contre les gens de bien.

Il n'y a pourtant qu'eux qui l'honorent véritablement.

Je l'avoue.

Or si tu voyais, comme autrefois, éviterais-tu les méchants ?

Sans doute.

Irais-tu chez les bons ?

Cela est bien sûr, car il y a longtemps

que je n'en ai vu.

Cela n'est point étonnant ; car je n'en vois point, moi qui ai de bons yeux.

Laissez-moi donc aller, puisque vous avez appris ce qui me regarde.

Et par Jupiter, c'est la raison pourquoi nous te retiendrons avec plus d'empressement.

Ne vous l'avais-je pas bien dit que vous me chagrineriez ?

Je te conjure de te laisser persuader et de ne m'abandonner pas : tu ne trouveras jamais un plus homme de bien que moi, j'en jure par Jupiter et que je suis ^maintenant le seul de cette espèce.

Voilà comme ils disent tous ; mais aussitôt qu'ils m'ont trouvé et qu'ils sont devenus riches, ce sont les plus grands fripons de la terre.

Cela arrive ordinairement, mais cependant, tous ne sont pas méchants.

Ma foi, il n'y a point d'exception.

Voilà un insolent qui a envie de me dérober quelque coup de poing.

Afin que tu saches l'avantage que tu

retireras de demeurer avec nous, j'espère, oui j'espère, avec le secours de Dieu, de te rendre l'usage de la vue.

N'en fais rien : je ne veux point voir.

Que dis-tu ? Voilà un homme d'une étrange condition ?

Jupiter m'accablerait, s'il avait connaissance de la folie de ces gens-ci.

Quel plus grand mal te pouvait-il faire, que de te laisser aller comme cela à tâtons et bronchant à chaque pas ?

Je ne sais ; mais je le crains furieusement.

Cela se peut-il ? ô le plus poltron de tous les Dieux ! Crois-tu donc, si tu peux une fois recouvrer l'usage de la vue, que l'empire de Jupiter puisse subsister longtemps et que je voulusse donner trois oboles de sa foudre ?

Ah ! Méchant ! Ne parle pas de la sorte !

Doucement. Je vais te montrer que tu es beaucoup plus puissant que Jupiter.

Moi ?

Oui, par le ciel ! Premièrement, qu'est-ce

qui rend Jupiter le maître des Dieux ?

C'est l'argent, car il en a plus qu'eux tous.

Et puis, qui est-ce qui le lui a donné ?

C'est monsieur !

Et pourquoi lui fait-on des sacrifices ? N'est-ce pas pour l'amour de l'argent ?

Sans doute, car on ne demande que les richesses.

Il est donc clair que c'est Plutus qui fait faire tout cela ; et il ne tiendra qu'à lui de le faire cesser.

Et comment, s'il vous plait ?

Par la raison que si tu ne le veux pas, il n'y aura personne qui sacrifie ni bœuf, ni gâteau.

Comment donc ?

C'est que pour sacrifier, il faut acheter ; et qu'on ne peut acheter, si tu ne fournis l'argent. De sorte que, si Jupiter te chagrine, tu peux seul, à ton gré, anéantir sa puissance.

Que me dis-tu là ? Que c'est par moi

qu'on lui offre des sacrifices ?

Je le soutiens, et que tout ce qu'il y a de beau, de grand, d'agréable dans le monde, c'est à toi à qui l'on en est redevable, puisque tout obéit à l'argent.

En effet, c'est pour n'avoir pas eu autant d'argent qu'un autre, que j'ai été fait esclave.

Ne dit-on pas que nos sœurs de Corinthe ne daignent seulement pas regarder les pauvres qui leur demandent leurs nécessités ; mais d'abord qu'il se présente un homme riche, crac, les voilà à la renverse.

Les jeunes garçons en font tout autant et le tout pour l'amour de la bourse.

Il n'y a que les fripons qui demandent de l'argent ; les bons n'en demandent point.

Et quoi donc ?

L'un demande un cheval de prix, l'autre des chiens de chasse.

C'est qu'ils ont honte de demander de l'argent mais comptez que c'est toujours la même chose sous d'autres noms.

N'est-ce pas aussi à toi seul qu'on doit

l'invention de tous les arts et de tous les métiers ? L'un assis sur son escabelle, fait des souliers ; l'autre forge, l'autre bâtit ; l'autre jette l'or en moule (et c'est toi qui lui donnes l'or) ; un autre tire la laine ; un autre perce les murs pour voler ; l'un est foulon, l'autre corroyeur ; l'un est blanconnier⁴, l'autre vend des noix. Enfin celui qui fait son voisin cocu, quand il est pris sur le fait, n'est-ce pas pour en tirer de l'argent qu'on lui arrache le poil !

Hélas ! je ne savais point tout cela.

Et le grand roi des Perses, qui est-ce qui le rend si orgueilleux ? N'est-ce pas toi ?

L'assemblée ne se forme que pour l'amour de l'argent.

Et les galères, n'est-ce pas toi qui les remplis ?

N'est-ce pas toi aussi qui entretiens nos troupes auxiliaires à Corinthe.

Ne sera-ce pas lui qui fera condamner l'usurier Pamphile^(a) ?

Et avec Pamphile le marchand d'aiguilles son parasite.

N'est-ce pas encore lui qui donne au riche Argyre l'insolence de péter à table ?

C'est toi qui réduis le pauvre Philepse à vivre des contes qu'il récite.

N'est-ce pas toi qui nous as portés à envoyer du secours en Égypte contre les Perses ?

Et Laïs : aimerait-elle le sot Philonide, si ce n'était toi.

Et la belle tour de Timothée^(b) ?

Qu'elle puisse tomber sur toi !

Enfin tout se fait par toi, le mal et le bien.

A la guerre même, il suffit, pour remporte la victoire, que tu favorises un parti.

Est-il donc bien vrai que je puis tant de choses, moi seul ?

Vraiment ! Ton pouvoir s'étend encore plus loin que je ne puis dire. Enfin, l'on ne se peut jamais rassasier de toi. On se lasse de toute autre chose : d'amour ….

De pain.

De musique.

De dragées.

D'honneur.

De gâteaux.

De bien faire.

De figues sèches.

D'ambition.

De galette.

De commandement.

De purée.

Mais de toi, personne ne s'en ait^est jamais rassasié, . Tôt[?] fût-on parvenu au point d'avoir acquis treize talents ; on n'est pas content encore, on en veut quarante, et l'on s'imagine que ce n'est pas vivre que d'en avoir moins.

Il me semble que vous avez raison tous deux, je ne crains qu'une chose.

Qui s'appelle ?

Je crains de ne pouvoir conserver cette grande puissance que vous m'attribuez.

Il est bien vrai ce qu'on dit, qu'il n'est rien de si timide que Plutus.

Cela n'est point vrai ; c'est une calomnie qui a pour auteur quelque voleur de nuit, qui s'étant fourré dans une maison où il pensait faire sa main, et trouvant tout bien fermé, se sera avisé d'appeler ma prévoyance timidité.

Ne te mets point en peine. Pourvu que le courage ne te manque pas, je te rendrai plus clairvoyant que Lynx.

Mais comment un homme mortel peut-il venir à bout d'une pareille entreprise ?

J'ai tout sujet d'espérer, après ce que Phébus a daigné me dire en branlant son laurier pythique.

Est-ce qu'il a quelque part en tout ce [?]

Sans doute.

Prenez garde.

Tiens-toi en repos là-dessus ; et sache que quand je devrais mourir, je viendrai à bout de ce que je prétends.

Je serai de la partie, si l'on veut.

D'autres gens de bien nous aiderons encore, tous ceux qui, avec beaucoup de probité,

n'ont point de farine au logis.

Vertu ! Tu nous nommes là des gens de grande ressource !

Leur secours n'est point à mépriser, pourvu que nous commencions par les enrichir. Écoute-moi, cours, va t'en vite.

Quoi faire ?

Appeler les laboureurs, mes compagnons de misère. Tu les trouveras dans les champs dans de pénibles exercices ; et me les amène ici ; afin que chacun d'eux participe avec nous aux présents de Plutus.

J'y cours. Qu'il vienne seulement quelqu'un de la maison pour prendre cette viande.

J'en aurai soin ; tu n'as qu'à faire ce que je te dis et ne tarde pas. Pour toi, Plutus, le plus puissant des Dieux, tu n'as qu'à me suivre et entrer dans mon logis que voici, et que tu dois aujourd'hui remplir de biens, de quelque manière que ce soit.

J'ai de la répugnance, par tous les Dieux, à me fourrer dans une maison qui m'est étrangère et qui ne m'a jamais fait de bien. Quand j'entre chez un taquin, il

commence par m'enfouir bien avant dans la terre ; et s'il vient quelque honnête homme de ses amis lui demander quelque peu d'argent, l'avare lui répond qu'il ne m'a jamais vu. Au contraire, si j'entre chez un dissipateur, on me livre aux garces et aux dés, et l'on me chasse dehors tout nu dans un instant.

C'est que tu n'as jamais rencontré d'homme qui sût tenir le milieu entre ces deux extrémités. Pour moi, j'aime l'épargne autant que personne, mais j'aime aussi à dépenser, quand j'en ai l'occasion et le moyen. Entrons donc ; car je veux te faire voir à ma femme et à mon fils unique, qui est, après toi, celui que j'aime le mieux.

Je me laisse persuader ; et le moyen de ne te pas dire la vérité ?

O ! Vous ! qui mangez si souvent le même ail que mon maitre ! Amis, voisins, et endurcis au travail ! Venez, hâtez vous ne différez point. La chose est au point qu'il faut que vous y soyez pour nous aider.

Ne vois-tu pas que nous nous avançons avec autant d'ardeur qu'il est permis à

de faibles vieillards ? Tu voudrais que nous courussions ; et tu ne nous dis pas pourquoi ton maître nous appelle.

Il y a longtemps que je vous le dis, mais vous ne l'écoutez pas. Mon maitre veut vous retirer cette vie pénible et vous rendre heureux.

Qu'y a-t-il donc ? Et quel est son dessein ?

Il a amené au logis, marauds, je ne sais quel vieillard maussade, tout courbé, misérable, ridé, puant, édenté ; et ce que vous savez, je crois par le ciel, qu'il l'a tout nu.

O ! Les paroles toutes d'or ! Que dis-tu ? Parle encore. N'est-ce point qu'il a trouvé un trésor ?

Oui ; un trésor de tous les maux qui accompagnent la vieillesse.

Crois tu donc te moquer impunément de nous, qui avons des bâtons ?

Vous imaginez-vous que je sais comme le reste des hommes, et que je ne vous dis que des contes en l'air ?

Comme il tranche de l'important ! le coquin ! Sais-tu que tes jambes crient

contre toi, et demandent des entraves ?

On vous a tirés au sort pour juger, et vous ne marchez point, quoique Caron, (je voulais dire l'arcon) vous ait donné votre maireau.

Puisses-tu crever, mauvais railleur que tu es, qui te moques de nous, sans daigner nous dire à quel dessein ton maitre nous demande, quoique nous ayons tous quitté[?] des occupations pressantes, et je ne sais combien d'oignons à arracher, pour venir ici.

Je ne veux pas vous le céler plus longtemps, mes bonnes gens. Mon maitre a amené Plutus au logis, qui vous rendra tous riches.

Quoi ? Nous allons tous devenir riches ?

Oui, de par tous les Dieux, et autant de Midas, pourvu que vous ayez des oreilles d'âne.

Quel plaisir ! Quelle joie ! Je veux danser si tu dis vrai.

Je danserai donc aussi la danse du Cyclope. Allons ^(c), Thréttanele … en cadence. Menez les jambes comme moi. Suivez. Allons mes enfants, redoublez vos cris de joie ; imitez le bêlement des brebis, et le chant des puantes

chèvres. Marchez après moi, la tête nue, (vous m'entendez) et vous léchez ce que vous savez, comme des boucs.

Thréttanele. Allons, cherchons le Cyclope en bêlant. Ah ! te voilà, grand affamé, avec ta poche ^(d) pleine d'herbes mouillées de la rosée, dont tu vas te bourrer le ventre, pendant que tu mènes tes moutons. Prends garde que nous ne te trouvions endormi quelque part, après t'être bien soûlé. Nous te crèverions ton œil unique avec un grand levier brulé.

Pour moi, je veux imiter l'empoisonneuse Circé, qui fit accroitre^accroire/ jadis, à Corinthe, aux parasites de Philonide qu'ils étaient devenus sangliers, et qui leur pétrit elle-même de belle merde, dont elle leur fit manger. Venez donc, petits cochons, suivez votre mère, et grognez de joie en faisant un si bon repas.

Si tu deviens Circé l'emposonneuse et l'encha l'enchanteuse, qui met ses galants dans la saleté, nous te saisirons avec le plus grand plaisir du monde, et pour imiter le fils de Laerte, nous te pendrons par les testicules, et nous te frotterons le nez de crottes de chèvre, comme on fait aux boucs fiévreux. Et puis tu pourras dire entre tes dents, comme Aristylle^(e) ce poète insolent : petits cochons suivez votre mère.

C'est assez raillé. Prenez-le maintenant sur un autre ton. Pour moi, je veux entrer secrètement au logis, y dérober à mon maitre quelques bribes de pain avec quelque morceaux de viande, afin que s'il est question de travailler, je le fasse balle en bouche.

Vous dire bonjour, mes chers voisins, c'est un compliment désormais trop vieux et d'un usage trop bas. Je vous salue et vous remercie du zèle avec lequel vous êtes venus, tous en bon ordre et sans lambiner pour me secourir et m'aider à procurer le salut au Dieu qui est chez moi.

Prends courage ; tu verras en moi un second Mars. Il ne sera pas dit que nous nous mettions chaque jour au hasard d'être étouffés dans l'assemblée, pour l'amour de trois oboles, et que nous négligerions l'occasion de posséder Plutus en personne.

J'aperçois Blepsidème qui vient. Il n'est pas possible, à voir sa démarche empressée, qu'il n'ait après quelque chose de cette affaire.

Qu'est ce donc que tout ceci ? Comment est ce que Chrémyle s'est enrichi tout d'un coup ? J'ai peine à croire ce qu'on en dit, quoique, par Hercule, on ne parle d'autre chose dans toutes les boutiques des barbiers. Cela me surprend. Mais ce qui m'étonne davantage, c'est, supposé qu'il se soit enrichi par de bons moyens, qu'il ait appelé tous ses voisins. Il n'est pas ordinaire d'en user de la sorte.

Blepsidème ! Je ne te cacherai rien, et, par les Dieux, je te dirai tout. Nous sommes mieux dans nos affaires qu'hier, et tu peux en avoir ta part ; car tu es de nos amis.

Est-il donc vrai, comme on le dit, que tu es devenu riche ?

Je le serai bientôt, s'il plait à Dieu, car il y a encore une anicroche.

Et qu'est ce ?

C'est que ….

Dis le moi, je t'en prie.

Si nous réunissons nous serons tous à notre aise ; et si nous manquons notre coup, nous ne serons que des misérables, comme auparavant.

Tout ceci ne me plait point. Devenir riche tout d'un coup, et puis être saisi de crainte cela marque un homme qui a commis quelque chose qui n'est pas bien.

Comment ? Qui n'est pas bien ?

Ma foi, je ne sais ; mais, par exemple, n'aurais tu point dérobé de l'or ou de l'argent au temple d'où tu viens ? Et puis tu serais tourmenté de remords.

Grand Apollon ! Détourne de moi ce malheur ! Non, par Jupiter ; ce n'est point cela.

Finis des discours superflus, mon ami je sais que c'est cela même.

Ah ! ne me soupçonne de rien de pareil.

Hélas ! Qu'il est bien vrai qu'il n'y a rien de sain dans les hommes, et qu'il n'y ^en a point qui ^ne se laisse vaincre à l'odeur du gain.

Par Cérès, tu n'es pas sage.

Qui eût cru ce changement d'un si grand homme de bien ?

Ami ! Tu as l'esprit troublé, par Cérès !

Son regard même a je ne sais quoi

d'affreux ; il faut qu'il ait commis quelque crime.

Je devine ce que tu croasses autour de moi. Tu t'imagines que j'ai dérobé quelque chose, et tu veux en avoir ta part.

Moi, prendre part ? à quoi ?

Ce n'est point ce que tu penses ; c'est tout autre chose.

Est-ce que tu ne l'as pas dérobé furtivement, mais ravi avec violence ?

Tu as le diable au corps.

Quoi ? Tu n'a rien pris à personne ?

Non, te dis-je.

O ! Hercule ! Que devenir ? Ne veux-tu pas me parler nettement ?

Tu m'accuses avant que de savoir mon affaire.

Ami ! C'est que je veux te rendre service, et par quelque petite aven avance étouffer la chose et fermer la bouche aux rhéteurs, avant que la ville soit informée de ton crime.

Tu serais volontiers de ces amis du temps,

qui emploieraient trois mines pour leur ami, et puis en mettraient douze en ligne de c compte.

Je vois quelqu'un (prends y garde) assis devant le tribunal, avec un rameau d'olivier entortillé de laine, en façon de suppliant, accompagné de sa femme et de ses enfants, comme tu peux avoir vu les Héraclides ou je ne sais pas quoi dans les tableaux de Pamphile.

C'est de quoi je n'ai pas peur. Je n'ai d'autre dessein que d'enrichir présentemment les gens de bien, sages et de bonnes mœurs.

Que dis-tu ? As-tu donc tant volé ?

Ah ! Tu me désespères.

Ce n'est pas moi ; c'est à toi seul que tu dois t'en prendre ; et tu te perdras.

Je n'ai garde, pauvre homme, puisque j'ai la richesse.

Tu as la richesse ? Et quelle richesse ?

Le Dieu de la richesse, lui même en personne.

Tu as Plutus ? Et lequel ?

Le Dieu Plutus même, te dis-je.

Et où est il ?

Là dedans.

Où ?

Chez-moi.

Chez-toi ?

Oui, chez moi, dans ma maison.

Tu te moques. Plutus chez toi ?

Oui, par tous les Dieux.

Dis-tu vrai ?

Je ne mens point.

Jure m'en par Vesta.

Et par Neptune.

Entends tu le marin ?

Oui, par Neptune le marin, et par l'autre encore, s'il en est quelqu'autre.

Et d'où vient que tu n'envoies pas Plutus faire aussi un tour chez nous, qui sommes de tes amis ?

Nous n'en sommes pas encore là.

C'est à dire que tu n'en veux faire part à personne.

Si, ma foi ; mais il faut auparavant...

Que faut il ?

Que nous le fassions voir.

Voir, qui ?

Plutus, et lui rendre l'usage de la vue, comme il l'avait auparavant.

Il est donc aveugle, maintenant ?

Oui, par le ciel.

Je ne m'étonne plus s'il ne venait point chez moi.

Il y ira, s'il plaît aux Dieux.

Il fallait envoyer quérir un médecin.

Et quel médecin avons nous dans la ville ? L'art de la médecine est inutile dans cette rencontre et nous y perdrions notre argent.

Mais voyons.

Il n'y a personne de qui nous puissions espérer du secours.

Je le pense de même.

Par Jupiter ! Je ferai ce que j'ai pensé d'abord. Il n'y a point de meilleur expédient que de faire coucher notre aveugle dans le temple d'Esculape.

C'est fort bien dit, par tous les Dieux ; mais il faudrait donc se hâter.

C'est ce que je vais faire.

Dépêche toi.

J'y cours.

O ! La téméraire entreprise ! o ! l'action déréglée et détestable ! Que voulez vous donc faire, couple malheureux ? Où fuyez vous ? Ne demeurerez vous pas ?

O ! Hercule !

Je vous ferai périr tous deux misérablement comme vous le méritez. Vous entreprenez une chose insupportable, et telle, qu'aucun Dieu ni aucun homme n'en a jamais osé former le projet.

Vous périrez.

Qui es-tu, toi, avec ta mine pâle et défaite ?

C'est Erinnys ou quelqu'autre furie tragique à en juger par ses regards effroyables.

Non ; elle n'a point de flambeau.

Je m'en moque donc.

Qui vous imaginez vous que je sois ?

Quelque cabaretière, ou quelque regrattière misérable ; autrement tu ne crierais pas ainsi sur nous, qui ne t'avons rien fait.

Vous ne m'avez rien fait ? Vous qui par la plus grande injustice de ce monde cherchez à me chasser du pays ?

Tu n'as donc plus qu'à t'aller jeter dans quelque précipice. Mais qui es-tu ? Il faut nous le dire tout à l'heure.

Je suis celle qui vous punirai aujourd'hui de ce que vous entreprenez de me chasser.

Ne serait-ce point cette cabaretière du voisinage qui me ruine par les demi-septiers qu'elle me fait payer si chèrement.

Je suis la pauvreté ! qui vis avec vous depuis

tant d'années.

O ! Roi Phébus ! O ! tous les Dieux ! Où se cacher ?

Mais que fais-tu, timide animal ? Que ne demeures-tu ?

Je n'ai garde.

Demeure, te dis-je. Est ce que deux hommes fuiront devant une femme ?

Mais cette femme est la pauvreté, malheureux ! Et c'est le plus pernicieux de tous les animaux.

Arrête, je t'en conjure, arrête ; et ne crains rien.

Par Jupiter ! Je ne puis.

Je t'assure que nous ferons la plus grande extravagance qui se puisse imaginer, si par la crainte de cette malheureuse, nous abandonnons sans secours le Dieu que nous tenons, et si nous n'embrassons sa déffensedéfense.

Quelles armes, quelle puissance avons-nous pour cela ? Quelle cuirasse, quel bouclier cette méchante carogne n'a-t-elle pas mis en gage ?

Rassure-toi. Le Dieu seul, sans autres armes

que sa présence, triomphera de son ennemie.

Vous osez encore souffler, scélérats ! Après avoir été pris sur le fait ?

Et toi, malheureuse, quel reproche as tu à nous faire ? De quoi te plains tu ?

Je me plains donc à tort, par tous les Dieux. Et vous ne me faites point d'injure, quand vous entreprenez de rendre la vue à Plutus ?

Est-ce te faire tort, que de vouloir faire du bien à tout le monde ?

Par quelle heureuse invention prétendez vous donc parvenir à l'exécution de ce magnifique projet ?

Premièrement, en te chassant de toute la Grèce.

Vous me chasserez ? Et quel plus grand mal pourriez vous faire aux hommes ?

Ce serait d'y manquer par notre faute après l'avoir entrepris.

Je veux vous dire mes raisons, et vous faire voir que je suis cause, moi seule, de tous les biens dont les hommes jouissent dans la vie. Et si je ne le prouve pas, je vous permets de faire ce que vous avez résolu.

Tu oses entreprendre, malheureuse, de prouver un paradoxe aussi extravagant ?

Écoute seulement. Il me sera aisé de convaincre que tu fais la plus criante injustice, quand tu prétends mettre les gens de bien à leur aise.

Où êtes vous baguettes, entraves, et autres instruments inventés pour tourmenter les criminels ?

Il n'est pas question de crier si haut ; écoutez seulement.

Le moyen de s'empêcher de crier, quand on entend des choses d'une fausseté si énorme ?

Il n'est besoin que d'un peu de sens commun.

Mais à quelle punition te soumets tu, si tu ne réussis pas à ta preuve ?

À tout ce que tu voudras.

C'est bien dit.

À condition que si vous ne satisfaites pas à mes raisons, vous porterez la même peine.

Sera-ce assez de vingt morts ?

Bon pour elle ; mais pour nous, il nous suffit de chacune la nôtre.

Vous n'aurez pas le plaisir de me punir, car le moyen de rien dire contre moi qui suis raisonnable.

Il est question maintenant dans la dispute que vous entreprenez contre elle, de faire paraître de la sagesse dans ce que vous direz et de ne point mollir.

Il me semble que c'est une chose dont tout le monde doit convenir, qu'il est juste que les gens de bien soient à leur aise ; et que les impies, les athées, les méchants soient dans la dernière misère. C'est le but de notre entreprise, et nous avons enfin trouvé le moyen d'y réussir, qui est de procurer à Plutus l'usage de la vue. Car après cette cure merveilleuse, il n'errera plus à l'aventure, il ira trouver les personnes vertueuses pour ne les plus abandonner, et fuira les méchants qui vivent sans honneur et sans religion. Cela sera cause que tous les hommes seront bons, parce que ce sera le seul moyen de s'enrichir, et honoreront les Dieux. Pouvait-on inventer quelque chose de plus avantageux pour les hommes ?

Je ne le pense pas, pour ce qui est de moi. C'est mon avis ; et notre adversaire en conviendra elle même, pour peu qu'elle ait de bonne foi.

De la manière que toutes choses vont, il y aurait de la folie et de la rage à en juger autrement. En effet, ne voit on pas que la plupart des méchants deviennent riches par des moyens injustes, pendant que tant d'hommes vertueux gémissent dans la misère et meurent de faim. Je prétends donc qu'il n'y a point d'autre voie pour arrêter le cours d'un aussi grand désordre, ni qui puisse procurer un plus grand bien aux hommes, que celle que nous prenons qui est de rendre la vue à Plutus.

O ! Vous ! De tous les hommes les plus faciles à vous laisser prévenir d'une opinion erronée erronée ! Vieillards ! qui vous livrez de concert à la folie et à l'aveuglement ! Je vous soutiens que si ce que vous souhaitez arrive, il aura un effet tout contraire à ce que vous prétendez. Car si Plutus peut recouvrir l'usage de ses yeux, et se partage également entre tous, il n'y aura plus parmi les hon hommes ni arts ni métiers ; et ces deux choses ôtées, qui est-ce qui voudra se donner la peine de forger, de bâtir des vaisseaux, de coudre, de faire des roues, des souliers et de la brique, de laver, de corroyer, de labourer,

de moissonner ? Et le moyen de vivre sans tous ces secours.

Bagatelles que tout ce discours ; nous ferons faire tout cela par nos valets.

Et où trouver des valets ?

Nous en achèterons de notre argent.

Mais qui les vendra ? puisque tout le monde aura également de l'argent ?

Quelque marchand qui viendra de Thessalie de trafiquer avec ceux qui vendent cette sorte de marchandise, et qui espéreront gagner dessus.

Mais il n'y aura point de ces vendeurs de gens selon tes principes, puisque tout le monde sera riche. Et qui est-ce qui, se trouvant[?] à son aise, voudra s'exposer aux dangers de ce négoce au péril de sa propre vie. De manière que, réduit à labourer et bécher toi même, et à faire mille autres choses pénibles, tu seras plus malheureux qu'auparavant.

Malheureuse, toi même.

Avec cela tu seras mal couché. Car qui est l'homme riche qui voudra se donner la peine de faire des couvertures ? Quand on se mariera, où prendra-t-on des parfums ? Les beaux habits, où les achètera -t-on ?

Eh ! quel plaisir y aura-t-il donc à être riches si l'on se voit privé de toutes ces choses ? C'est moi, c'est moi qui vous fournis tout cela, en forçant l'ouvrier, comme une souveraine impérieuse à travailler pour nous.

Tu te vantes de procurer quelque bien aux hommes ? Et qu'ont-ils de ta libéralité, sinon des tavelures au devant des jambes, pour s'être approchés de trop près du feu aux étuves ? Que leur donnes tu ? Que des enfants exténués de faim, des vieillards qui ne font que babiller, des poux sans nombre, des puces, et des cousins qui nous bourdonnent autour de la tête, et nous réveillent pour nous chanter : Lève toi pour mourir de faim ? Avec cela, au lieu d'un bon habit, tu nous donnes des haillons ; une natte de jonc garnie de punaises, au lieu d'un bon lit ; un paillasson brisé au lieu de couvertures, une pierre, au lieu d'oreiller, des branches de mauves, au lieu de pain ; des feuilles de raves, au lieu de gâteaux ; un reste de huche brisée, au lieu d'un escabeau ; une douelle de barique toute rompue, au lieu de table. En effet voilà les grands biens que tu fais aux hommes.

Tu voulais parler contre la pauvreté ; tu ne parles que contre la gueuserie.

Est ce qu'elles ne sont pas sœurs ?

Elle se ressemblent comme Thrasybule

qui a chassé les trentes tyran rassembleressemble au fameux Denis de Syracuse. Apprenez la différence qu'il y a entre un gueux et un pauvre : un gueux n'a rien du tout, mais un pauvre vit[?] doucement de son épargne et de son travail ; et s'il[?] n'a rien de superflu, il ne lui manque rien aussi.

Tu nous dépeins là, par Cérès, une heureuse vie ! J'épargnerai, je me donnerai bien de la peine, et puis il ne me restera seulement pas de quoi me faire enterrer ?

Ris, moque toi tout à ton aise, au lieu de répondre sérieusement. Mais reconnais plutôt que je rends les hommes meilleurs en toutes manières, que les richesses. Le trop d'aise donne la goutte aux pieds ; rend les gens ventrus, pesants, épais, avec de grosses jambes flatueuses ; au lieu que je les rends dispos, légers, et propres à se faire redouter de[?] leurs ennemis.

C'est graces à la faim, dont tu les exténues, qu'ils se sentent si légers.

Mais c'est à la vertu où je vous attends. Convenez que la modestie est mon appanage au lieu que l'insolence est le partage des riches.

Il est vrai que c'est une extrême modestie que de percer les murs pour les dérober.

Par ma foi, si le voleur doit se bien cacher ; c'est une chose fort modeste que de voler.

Considère maintenant les rhéteurs dans les ville. Sont ils pauvres ? Il n'est rien de plus juste qu'eux, ni de plus zélé pour le bien de l'état. Mais se sont ils enrichis aux dépends du pub public ? Il n'est rien de plus injustes ; ils ne cherchent qu'à ruiner la multitude et à faire la guerre.

Elle n'en ment pas d'un mot, quoiqu'elle ait le cœur rongé d'envie ; elle n'y gagnera pourtant rien. Ne te flatte point pour cela de pouvoir nous persuader que la pauvreté est préférable aux richesses.

Tu ne saurais me convaincre du contraire ; tu ne fais que babiller et battre la campagne.

D'où vient donc que tout le monde te fuit ?

Parce que je rends les hommes meilleurs. Voyez les enfants ne fuient-ils pas leurs pères qui n'ont que de bonnes intentions pour eux ? Tant il est difficile à de petits esprits de discerner le bien d'avec le mal !

Tu diras sans doute que Jupiter n'a pas ce discernement, lui qui est riche, et qui distribue les biens à qui bon lui semble ?

Pauvres gens ! dont l'ame Saturnienne a les yeux offusqués de cataractes ! Je prétends que Jupiter n'est point riche ; et répondez un peu à cet argument. S'il était riche ; quand pour exciter tous les Grecs aux combats qui se font tous les cinq ans aux jeux olympiques, il promet des couronnes aux vainqueurs, et promettrait des couronnes d'or ou d'argent. Or il ne promet que des couronnes d'oliviers ; donc il est pauvre.

Il fait paraître par cette conduite qu'il estime l'argent, puisqu'au lieu de le prodiguer, il l'épargne, et ne donne aux vainqueurs qu'une bagatelle, en gardant le solide pour lui.

Il vaudrait mieux avouer qu'il est pauvre que d'en faire un ladre et un vilain.

Que puisse-t-il t'abîmer, après t'avoir couronnée d'une branche d'olivier.

Oser me disputer que tous les biens dont vous jouissez sont des présents de la pauvreté.

Il faut demander à Hécate, lequel vaut mieux d'être riche, ou d'être pauvre. N'ordonne-t-elle pas que ceux qui ont de quoi, lui donnent un repas tous les mois, et que ceux qui sont pauvres, dérobent plutôt que de manquer à ce devoir ? Au reste, va t'en hors d'ici

et ne souffle pas davantage ; car tu ne nous persuaderas pas ; quand tu nous convaincrais.

O ! ville d'Argos ! Entendez vous ce qu'il dit ?

Invoque Pauson^(f) le prototype des gueux, et ton plus cher convive.

Hélas ! Que deviendrai-je ?

Va t'en au plus vite servir de pâture aux corbeaux.

Où irai je ?

Au carcan, tout de ce pas.

Je sais bien que vous avez encore affaire de moi, et que vous m'enverrez chercher.

Alors comme alors ; tu reviendras si l'on te mande. Quant à présent, détale sans différer davantage. Il vaut mieux être riche que pauvre. Va, marche ; et plains toi tant que tu voudras.

Par Jupiter ! Je veux, après m'être enrichi, faire bonne chère avec ma femme et mes enfants ; et sortant de bain tout parfumé, péter au nez des gens de métier et de la pauvreté.

La voilà donc qui s'en va, la maudite engeance.

Dépêchons nous to/us deux de mener le Dieu coucher dans le temple d'Esculape.

Ne différons point, de peur qu'il ne vienne encore[?] quelqu'importun nous détourner.

Hau ! Carion, apporte le lit avec tout ce qu'il y[?] a apprêté là-dedans, et amène Plutus comme nous l'avons résolu.

O ! vous ! qui à la fête de Thésée, où l'on fait largesse du peuple, avez tiré la mie de votre pain pour vous servir de la croûte à humer votre soupe ! Où êtes vous bons vieillards ? Où êtes vous, gens de bien, qui serez désormais heureux ?

Brave garçon ! Que veux tu à tes amis ? Il parait que tu apportes une bonne nouvelle.

Mon maitre a parfaitement réussi, et Plutus à ce qu'il souhaitait ; car d'aveugle qu'il était, il a maintenant de bons yeux, dont il voit fort clair, par la grâce favorable d'Esculape.

C'est à dire qu'il faut se réjouir, et qu'il faut faire de grandes acclamations.

Veuillez le, ou ne le veuillez pas, il vous est permis de vous réjouir.

Chantons donc Esculape, la lumière des mortels

et le bon fils d'un bon père.

Quels cris viennent frapper mes oreilles ? M'annoncent ils quelque chose de bon et ce que je souhaite depuis ce temps si longtemps que je suis ici à croquer le marmot ?

Et vite, et vite, du vin, ma chère maitresse ; donnez m'en et en buvez, comme vous le faites souvent. Je vous apporte tous les biens ensemble.

Et où sont-ils ?

Vous le saurez tout à l'heure.

Dis donc, sans me faire attendre.

Ecoutez. Je vais tout vous conter, depuis les pieds jusqu'à la tête.

Dis donc : gare la tête.

Ne voulez vous pas que je vous dise toute l'affaire ?

Dis la chose, mais point l'affaire.

Aussitôt que nous sommes arrivés au temple où nous menions cet homme ci-devant misérable,

et maintenant le plus heureux de tous, nous avons commencé par le mener à la mer et nous l'y avons lavé.

Voilà sans doute un grand bonheur pour un vieillard, d'être lavé d'eau froide.

Retournés au temple, nous avons fait dévorer à la flamme de Vulcain, sur l'autel, de petits gâteaux que nous avons sacrifiés. Ensuite nous avons couché Plutus comme il est prescrit et chacun de nous s'est aussi étendu sur la natte.

Y avait-il encore d'autres suppliants ?

Il y avait Néoclide, le rhéteur aveuglé de chassie, mais qui vole encore mieux que ceux qui voient le plus clair. Il y avait encore d'autres malades de toutes sortes, et en grand nombre. Le ministre est venu éte éteindre la lampe, et nous a dit : Dormez, et si vous entendez quelque bruit, taisez vous. Nous nous sommes donc tous mis en devoir de dormir. Pour moi je ne pouvais dormir, j'avais l'imagination échauffée d'un pot de bouillie qu'avait une vieille qui était auprès de mon chevet. Et je mourais d'envie de me trainer doucement jusqu'à ce fatal objet de ma convoitise. J'ai vu ensuite le prêtre qui enlevait les pains d'épices et les figues sèches de dessus la table sacrée. Après quoi il a fait le tour de tous les autels, pour voir si

l'on n'y avait rien laissé qui fût bon à prendre ; et le tout il l'a saintement ramassé dans son canapsa³. Et moi persuadé qu'il y avait de la dévotion à suivre cet exemple, j'attaque de mon côté le pot de bouillie.

Malheureux ! Perdre ainsi le respect à ce Dieu !

J'avais peur qu'il ne me prévînt avec ses couronnes ; et j'ai suivi l'exemple du prêtre. Quand la vieille a entendu le bruit que je faisais elle a étendu la main, et moi je me suis mis à siffler comme un serpent. La bonne femme a aussitôt retiré la main, et l'a enveloppée : et de la peur qu'elle a eue, elle a versé plus puant qu'une belette. Dans ce moment je me suis accommodé de la bouillie ; et puis le ventre plein, je me suis mis à reposer.

Et le Dieu n'est point venu ?

Pas encore ; mais il est venu bientot après ; et il m'est arrivé une chose ridicule en ce moment ; je l'ai salué à sa bienvenue, d'un gros pet de ménage que je n'ai pu retenir, car j'avais le ventre trop bandé.

Le Dieu n'aura point manqué de témoigner combien ton impudence lui déplaisait.

Point du tout. Mais de deux demoiselles

qui l'accompagnaient, l'une nommée Iaso a rougi, et l'autre appelée Panacée, s'est détournée en se tenant le nez avec la main et en effet ce n'est pas de l'encens que je pete.

Et lui ?

Il n'en a pas seulement fait semblant.

Tu me parles là d'un Dieu bien grossier.

Ce n'est pas cela ; mais c'est que tous les médecins sont mache-merde.

Eh ! fi donc.

Après cela je me suis caché de peur ; et lui s'est mis à faire le tour des malades ; et à examiner méthodiquement toutes les espèces de maladie. Ensuite un garçon lui a apporté un mortier, un pilon, et une boîte.

Comment es tu vu tout cela, hableur que tu es, puisque tu dis que tu t'étais caché ?

À travers de mon manteaumanteau, qui, pardi, ne manque pas de claire-voies. Esculape a commencé à travailler pour Néoclide ; et pour lui faire un collyre, il a pilé trois gousses d'ail Témis[?] et diverses sortes d'oignons, qu'il a détrempés de vinaigre sphestien ; et puis renversant les paupières du patient, il lui a frotté les yeux de tout cela. Néoclide s'est mis à crier de douleur, et s'en est enfui.

Le Dieu a dit en riant : demeure ici avec ton emplâtre ; je te promets que tu pourras jurer que tu n'es pas en état, à cause de ton incommodité, de te trouver à l'assemblée.

Qu'il est sage, ce bon Dieu là, et qu'il affectionne la ville !

Après cela, il s'est assis auprès de Plutus, et après lui avoir touché la tête, il lui a essuyé les yeux avec un linge blanc. Panacée lui a étendu sur la tête, et sur le visage un morceau d'écarlate, et le Dieu ayant sifflé dans ce moment, il est sorti du temple, deux grands Dragons.

O ! bons Dieux !

Qui se coulant doucement sous l'écarlate, ont léché, ce me semble, les paupières du bon Plutus, qui dans un instant, c'est à dire en aussi peu de temps, madame que vous en mettiez à boire dix demi-septiers de vin, s'est levé voyant plus clair que vous et moi. Je n'ai pu, de la joie que j'en ai eue, m'empêcher de battre des mains et de réveiller mon maître ; ce qui a fait disparaitre aussitot Esculape et les dragons. À votre avis, quels compliments n'ont point fait tout le reste de la nuit, au bon Plutus, tous ceux qui étaient couchés autour de lui ? Cela a duré jusqu'au jour. Pour moi, je rends grâce de bon cœur au dieu Esculape, de ce qu'il a fait voir Plutus en si peu de temps, et de ce qu'il

a rendu Néoclide plus aveugle qu'il ne l'était auparavant.

Mon seigneur et mon roi ! O ! Que ta puissance est grande ! Mais, dis moi, où est Plutus ?

Il vient ici. Il est entouré d'une foule prodigieuse. Tout ce qu'il y a de gens de bien qui étaient auparavant dans l'indigence, lui rendent leurs devoirs et lui marquent leur joie. D'un autre côté tous ces gros richards qui ont acquis leurs biens par de mauvaises voies, vous les verrez tristes et renfrognés ; pendant que les autres riant et la tête couronnée, suivent Plutus, et font autour de lui un bruit harmonieux avec leurs gros souliers, dont ils frappent la terre en cadence. Allons ; dansez tous et sautez de joie. On ne vous dira plus, quand vous reviendrez au logis qu'il n'y a plus de farine dans le sac.

Par Hécate, je te veux faire une couronne de petits pains mollets, pour l'heureuse nouvelle que tu m'as annoncée.

Faites donc vite, car la compagnie est bien près d'ici.

Je vais donc entrer au logis, nous y prendre tout ce qu'il y a de bien, et le répandre devant ces nouveaux venus, comme on fait aux domestiques, quand ils entrent pour la pre première fois au logis.

Je salue d'abord le soleil, ensuite le pays fameux que favorise la vénérable Minerve, et toute la région de Cécrops qui m'a reçu. J'ai honte de mes malheurs passés. Hélas Hélas ! avec qui vivais-je ? Pendant que je fuyais, sans le savoir les seuls hommes dignes de ma compagnie. Mais je veux faire voir dorénavant, que c'était malgré moi que je me livrais aux méchants.

Au diantre les importuns ! Qu'on est fatigué fatigué d'amis, quand la fortune nous rit ? J'ai les côtes moulues, et les jambes froissées. De qui n'ai je pas été salué ? Quelle foule de vieillards ne m'a pas environné dans la place ?

Je vous salue tous deux, les plus aimables de tous les hommes. Souffrez que je répande devant vous ces échantillons des biens qui sont au logis.

Je ne le veux pas, et quand j'entre dans une maison, il n'est pas de la bienséance qu'il en sorte rien ; au contraire, toutes sortes de commodités y doivent entrer avec moi.

Refuserez-vous donc mes présents ?

Tu feras ton effusion au logis ; auprès du foyer sacré, selon la coutume ; et pour cause, aussi bien n'est il

pas expédient à notre maitre qu'on rie a ses dépens en jetant ses figues aux spectateurs.

C'est bien dit ; et je voyais déjà ce Xénique debout pour attraper de mes figues.

Qu'il est doux, Messieurs, d'être bien dans ses affaires, et de n'être point obligé de porter rien hors de chez soi ! Il est tombé chez nous un tas de biens, et cela sans que nous ayons rien commis d'injuste. O ! Qu'il est agréable d'être riche ! La huche est pleine de la plus blanche farine ; et les cruches regorgent d'un vin rouge d'une odeur excellente. Tout ce qu'il y a de vases au logis sont plein d'or et d'argent ; c'est une merveille. Le puits est plein d'huile d'olive. Les fioles sont pleines d'huile de senteur ; et tout le galetas est rempli de figues. Les vinaigriers, les jattes, les marmites, tout cela est de bel airain. Les tables maussades et qui puaient la marée, sont d'argent. La cheminée est toute garnie d'ivoire. Nous jouons à pair ou non avec des pièces d'or ; et nous ne nous torchons plus le cul avec des pierres, mais avec des gousses d'ail, par délicatesse. Mon maitre, la couronne sur la tête, sacrifie actuellement, un bœuf, un pourceau, un bouc, et un belier. Pour moi : je suis sorti à cause de la fumée qui me mordait les paupières.

Suis moi, mon enfant, et allons trouver le Dieu.

Qui est cet homme, que je vois qui s'approche ?

Un homme qui était ci-devant misérable, et qui est maintenant heureux.

Il parait que tu es du nombre des gens de bien.

Cela est vrai.

Après cela, que te faut il encore ?

Je viens trouver le Dieu à qui je suis redevable de tant de biens. Car il faut que tu saches que mon père m'avait laissé honnêtement de quoi vivre, et je ne refusais rien, à ceux de mes amis qui avaient recours à moi dans leur nécessité. Je croyais qu'un homme de bien n'en devait pas agir autrement.

C'est à dire que tout ce que tu avais s'en alla bien vite ?

Justement. Mais je me consolais sur l'espérance de trouver les autres aussi sensibles à mes besoins, que je l'avais été aux leurs. Mais quand je m'adressai à eux ils se détournèrent et ne firent pas semblant de me voir.

Je gagerais bien qu'à cela ils ajoutèrent encore les railleries.

C'est la vérité. Enfin le vide qui était dans mes vaisseaux m'avait perdu.

Ce n'est plus de même.

Et c'est pour cela que je viens rendre mes devoirs à ce Dieu bienfaisant.

Et que veut dire ce vieux manteau pelé que porte cet enfant ?

Je veux le pendre devant le Dieu, comme une chose que je lui consacre en me'moire mémoire de ma délivrance.

Le portais tu donc quand tu fus initié ^(g) aux grands mystères de Cérès, que tu veux l'accrocher au ratelier sacré, à présent qu'il montre la corde ?

Non ; mais j'ai eu grand froid dessous pendant treize ans.

Et ces gros souliers ?

Ils ont essuyé le mauvais temps avec moi.

Tu veux donc aussi les pendre avec le manteau ?

Oui ; par Jupiter.

Tu apportes-là de plaisantes offrandes.

Je suis perdu, malheureux que je suis ? O ! Trois fois, quatre fois, cinq fois, douze fois, mille fois malheureux ! Quel funeste accident m'est venu ruiner de fonds en comble !

O ! Apollon, qui détournes l'effet des mauvais présages ! Et vous, Dieux amis ! Quel est donc le malheur dont cet homme se trouve accablé ?

Ne m'est il donc pas arrivé le malheur le plus étonnant ? N'ai-je pas perdu tout d'un coup ce que j'avais dans ma maison, par le moyen de ce Dieu, qui redeviendra aveugle, ou la justice me fera faute ?

Je devine à peu près ce que c'est. C'est un homme qui n'est mal dans ses affaires que parce qu'il n'est point marqué au coin de la vertu.

Par Jupiter, il est donc juste qu'il soit misérable.

Où est il, où est il, ce fanfaron, qui promettant, s'il recouvrait l'usage de la vue, de nous rendre tous riches, et qui m'a rendu beaucoup plus malheureux qu'auparavant ?

Qui est ce qui s'en plaint ?

Moi-même.

Il faut que tu fusses du nombre des méchants ou des larrons.

Parbleu, vous ne parlez pas raisonnablement et il n'est pas possible que vous n'ayez pas mon bien.

L'insolent ! Par Cérès, il faut que ce soit un dénonciateur de profession. Je ne m'étonne plus s'il enrage de faim.

Je te ferai bientot marcher à la place, et l'on t'y donnera la torture, pour te faire confesser les crimes que tu as commis.

Par Jupiter sauveur ! Ce Dieu mérite infiniment de tous les Grecs, puisqu'il a trouvé le moyen de faire périr misérablement les dénonciateurs.

Tu te moques donc de moi ? Ne serais-tu point complice des friponneries de l'autre ? Aussi bien, où aurais tu pris ce bon habit ; toi que je vis hier vêtu d'un méchant manteau tout usé ?

Je ne te crains point. J'achetai hier pour une draqme, du Philosophe

Eudame, cet anneau constellé, qui est untalismtalismancontre l'imposture.

Il n'y en a point contre la morsure d'un calomniateur public.

Vous m'insultez ? Riez donc tout votre content. Mais vous ne dites point ce que vous faites ici. Vous n'avez aucun bon dessein.

Non, pour toi ; et tu peux compter là-dessouslà dessus.

Vous vous préparez à faire bonne chère de mon bien.

En vérité ! Ce que nous mangerons ne fera mal ni à toi ni à ton témoin. Vous n'en aurez pas le ventre moins vide, et vous ne crèverez que de dépit.

Vous le niez, malheureux ? Ne sens je pas les bons morceaux qui se cuisent là dedans ? Hu hu hu hu hu hu, hu hu hu hu hu hu !

Que flaire-t-il, ce coquin ?

Il sent le froid apparemment, puisqu'il a un si mauvais manteau.

O ! Jupiter ! O ! Dieux ! n'est ce pas une chose insupportable, que je me voye voie traité si indignement, moi qui suis si honnête homme, et si zélé pour la patrie.

Toi, zélé pour la patrie ? Toi honnête homme ?

Oui je le suis, ou personne ne le fut.

Réponds-moi un peu.

Quoi ?

Es-tu laboureur ?

Me crois-tu assez fou ?

Serais-tu marchand ?

Selon.

Sais-tu quelque métier ?

Non, ma foi.

De quoi vivais-tu donc, puisque tu ne faisais rien ?

Je me mêle des affaires du public et de celles des particuliers.

Toi ? et quel talent as-tu pour cela ?

La bonne volonté.

Et tu serais honnête homme, toi qui, de gaieté de cœur, prends plaisir à te rendre odieux à tout le monde, pour des choses qui ne te regardent point ?

Pauvre butor ! N'ai-je donc point d'intéret à faire du bien, tant que je le puis, à ma chère patrie ?

Est-ce lui faire du bien, que de chicaner tout le monde ?

Cela s'appelle secourir les lois renversées et ne pas souffrir que personne s'écarte de son devoir.

L'état manque-t-il de magistrats pour prendre ce soin ?

Et qu'est-ce qui accusera les délinquants.

Le premier venu.

Je suis ce premier venu. Je me charge de toutes les affaires de l'état.

Elles sont sans doute en bonnes mains. Mais n'aimerais-tu pas mieux vivre à ton aise, sans rien faire ?

Tu me parles là d'une vie de brebis. Il n'est rien

tel que d'avoir de l'occupation.

Tu ne veux donc pas quitter ton métier ?

Non, quand tu me donnerais Plutus même et toutes les richesses de Battus^(h).

Allons qu'on se dépouille tout à l'heure.

C'est à toi qu'il parle.

Que l'on ôte cette ceinture.

C'est encore à toi qu'on le dit.

Le premier qui m'approchera …..

Je le suis ce premier.

Hélas ! On me dépouille.

Ah ah ! Tu veux donc vivre en te mêlant des affaires d'autrui ?

Prends garde à ce que tu fais. Je prends celui-ci[?] à témoin.

Le témoin que tu avais amené a pris la fuite.

Hélas ! On m'abandonne.

Tu cries donc ?

Ahi ! Hélas !

Donne-moi ton vieux manteau usé, que je le mette sur ce coquin.

Non, mon ami : c'est un vœu que j'ai destiné à Plutus.

Tu voulais le mettre au croc. Où convient-il mieux de le pendre que sur les épaules d'un fripon et d'un scélérat ? Pour Plutus, il convient de ne lui présenter rien que d'honnête.

Et que ferons-nous des vieux souliers ?

Il faut les pendre au front de ce malheureux, comme on pend ces sortes de vœux aux porches des temples.

Je m'en vais, parce que je ne suis pas le plus fort ; mais si je puis trouver quelque second, quelque misérable qu'il puisse être, je mettrai en justice ce beau Dieu de veze[?], qui renverse l'état démocratique, à sa tête, sans avoir consulté ni le sénat, ni la grande assemblée et il me le paîra.

Puisque te voilà armé de mes pièces, cours au bain et t'y chauffe au fourneau à la place du premier gueux que j'occupais autrefois.

Le baigneur le tirera dehors par les bourses, car il connaîtra d'abord en le voyant, que c'est

de la fausse monnaie. Entrons, nous autres, et tu feras tes prières au dieu qui est chez nous.

Bonnes gens, mes amis, est-ce ici le logis de ce nouveau Dieu ? Ou bien, me serais-je égarée ?

La belle jeune fille, qui nous le demandes avec tant de minauderies, sache que te voilà à la porte.

Vous voulez donc bien que j'appelle quelqu'un de dedans ?

Il n'est pas besoin : me voilà, et je saurai répondre. De quoi est-il question ?

Mon ami, on me fait un très grand tort car, depuis que ce Dieu a commencé de voir, je ne vis plus : il me fait mourir.

Qu'est-ce donc ? Ne serais-tu point un dénonciateur femelle ?

Hélas ! Nenni.

Tu as peut-être un peu haussé le coude.

Il n'est pas question de rire : je souffre une démangeaison horrible.

Apprends-nous un peu ce que c'est que cette démangeaison.

Je le dirai. J'aimais un jeune garçon, fort pauvre à la vérité, mais beau, bien fait et de bonnes mœurs. Il me faisait tout ce que je voulais, et cela avec un ardeur et une adresse incomparables. De mon côté, je lui fournissais toutes les choses dont il avait besoin.

Et encore, qu'est-ce qu'il te demandait de fois à autre ?

Il n'était pas importun. Il avait pour moi un respect infini. Mais tantôt, il lui fallait vingt dragmes pour un habit, tantôt huit pour des souliers ; une autrefois, une robe pour quelqu'une de ses sœurs ; après cela, un manteau pour sa mère et puis, quatre boisseaux de blés.

Cela était bien modeste, par Apollon, et tu as raison de dire qu'il ne t'était pas importun.

Avec tout cela, il me protestait que ce n'était pas pour ce qu'on dirait bien, qu'il me demandait tout cela ; mais uniquement pour l'amour de moi et afin de se souvenir de moi en se parant de mes présents.

Voilà le portrait d'un homme fort amoureux.

Ce n'est plus cela : il est maintenant changé !

le maraut ! Je lui avais envoyé cette tourte et tout ce que voilà sur cette table, en lui faisant dire que j'irais le trouver le soir.

Qu'a-t-il donc fait ?

Il m'a envoyé cette tarte à la crème, pour me marquer qu'il n'avait plus affaire de moi, et que je pouvais me dispenser de retourner chez lui. Et pour toute réponse à mon ambassade, il a dit cet ancien oracle qui est passé en proverbe ⁽ⁱ⁾ : les Milésiens étaient braves autrefois, mais ce n'est plus le temps.

Il parait que ce jeune homme était en effet de bonnes mœurs puisqu'il est devenu si riche. Il ne faut plus s'étonner si, ayant du bien, il ne veut plus manger de vieux rogatons, lui que la pauvreté réduisait autrefois à manger de tout.

Et cependant, par Cérès et sa fille, le méchant ne manquait pas un jour, ci devant, de venir à ma porte.

C'était pour emporter quelque chose.

Il était content d'entendre seulement le son de ma voix.

Et le tout, pour l'amour des présents.

Eh ! mon Dieu ! S'il me voyait triste, il me

disait mille friponneries.

Et au bout de tout cela, il demandait des souliers.

Et une fois, qu'à la grande fête de Cérès, un homme me regarda sur un char en passant, le fripon en fut si jaloux qu'il me battit tout le journée.

Il voulait être le seul à manger le gâteau.

Il disait que j'avais les mains si belles !

Quand elles lui donnaient vingt dragmes.

Il jurait que je sentais fort bon.

C'était, par Jupiter quand tu lui versais du vin de Thase.

Il disait que j'avais les yeux beaux et le regard amoureux.

Il n'était pas maladroit le drôle ; il savait sucer comme il faut une vieille femme impudique.

Tu vois donc, mon ami, que ce Dieu qui fait profession de secourir les affligés, n'en use pas bien à mon égard.

Dis-moi ce que tu veux qu'il fasse et nos tâcherons de l'obtenir de lui.

Il est juste, par Jupiter, que celui à qui j'ai

fait du bien m'en fasse aussi, ou bien il faut dire qu'il n'y a plus d'équité.

Est-ce que ce jeune homme ne te rendait pas chaque nuit ce qu'il te devait ?

Mais il m'avait dit qu'il ne m'abandonnerait jamais, pendant que je serais en vie.

Fort bien. Mais il te croit morte, apparemment.

Je la serais, si l'on pouvait mourir de douleur.

Te voilà déjà toute pourrie.

Hélas ! On pourrait me passer au travers d'une bague.

Oui, si la bague avait autant diamètre que le cercle d'un crible.

Voilà le fripon ; le voilà qui vient. Il est équipé comme pour aller souper quelque part.

Il me le semble, car il a une couronne et un flambeau.

Salut !

Que dit-il ?

Notre ancienne amie ! par le ciel, te voilà devenue toute blanche en bien peu de temps.

Voyez donc comme on me dit des injures.

Il parait qu'il y a longtemps qu'il ne t'a vue.

Que dis tu, longtemps ? Il était hier avec moi.

Il lui arrive tout au rebours des autres : il est ivre et il n'en voit plus clair.

Non, non ; mais c'est un petit scélérat qui prend toujours plaisir à m'insulter.

O Neptune, Dieux des mers et tous les Dieux les plus vieux ! Qu'elle a de rides sur le visage !

Ah ! N'approche point le flambeau si près de moi.

Elle a raison : si une seule bleuette s'attachait à quelque partie de son corps, elle serait toute consumée en un instant comme un vieux rameau sec.

Veux tu passer le temps avec moi à jouer ?

Comment l'entends-tu fripon ?

Prends des noix.

À quoi faire ?

Pour jouer à pair ou non combien tu as de dents.

Je le devinerai bien tout à l'heure : elle en a trois ou quatre.

Tu as perdu : elle n'a plus qu'une mâchelière.

Es-tu fou, malheureux, de me jeter ainsi de l'eau au nez de tout le monde ?

Ce serait te rendre un grand service que de te laver.

Pas trop ; car il y a ici de la falsification, et si l'on avait dissous toute cette céruse, on verrait la rapetasserie de son visage suranné.

Pour être vieux, tu n'en es pas plus sage.

Est-ce qu'il veut patiner et qu'il croit se cacher de moi en te prenant les tétons.

Par Vénus ! Ce n'est pas pour un vieux puant comme lui.

Par Hécate ! C'est au plus loin de ma pensée. Il faudrait que j'eusse perdu l'esprit. Mais sérieusement mon beau jeune homme, je ne saurais souffrir que tu méprises cette jeune beauté.

Moi ! Je l'aime à la fureur.

Cependant, elle t'accuse.

Et de quoi donc ?

Elle se plaint que tu lui fais insulte, et que tu dis : que les Milésiens étaient de braves guerriers autrefois, mais que ce n'est plus le temps.

Je ne te la dispute pas.

Et d'où vient ?

Je respecte ton age, mais je ne la cèderais point à un autre. Emmène donc en toute liberté cette jeune personne.

Je t'entends de reste : tu ne daigneras plus être avec elle.

Qu'est-ce que donc que tout ceci ? Est-on maître de moi, pour me ballotter de la sorte ?

Plus de discours avec toi, vieux reste de dix mille hommes.

Puisque tu as bu le vin, il faut aussi boire la lie.

Mais cette vieille lie est trop brouillée.

Il faudra la passer à la chausse qui raccommodera tout.

Entrons, s'il vous plait je veux présenter au Dieu les couronnes que je porte.

Je veux aussi lui dire un mot.

Je n'entrerai point.

Ne crains rien, mon ami : l'on ne te forcera point.

Je n'en ai que trop fait par ci-devant.

Marche donc : je te suivrai.

Avec quelle ardeur, ô Jupiter ! cette vieille s'attache au jeune homme. Il me semble voir un berni[?] attaché au rocher.

Qui frappe à cette porte ? Qu'est-ce donc ? je ne vois personne. Cependant la porte a fait du bruit.

Carion ! Carion ! demeure là.

Est-ce à toi qui as frappé si rudement ?

Non, pardi, mais j'allais frapper ; tu m'as prévenu en ouvrant. Va vite appeler ton maître, sa femme, ses enfants, ses valets, le chien et reviens toi-même avec eux ; et n'oublie pas le cochon.

Qu'y a-t-il donc ?

Jupiter, scélérat que tu es, veut tous vous mettre dans un sac, et vous précipiter ainsi dans l'abîme.

Tu sais la coutume des sacrifices, et que quand on immole la victime on coupe la langue ^(k) au crieur. Mais, au bout du compte, quelle raison a-t-il de nous vouloir tant de mal.

Vous avez fait le plus grand mal du monde. Car depuis que Plutus voit, il n'y a pas un mortel qui présente à nous autres Dieux, ni encens, ni couronne, ni gâteau, ni victime.

C'est bien fait, car vous n'aviez guère soin de nous, par ci-devant.

Je ne me soucie guère de ce qui regarde les autres : mais moi, je suis ruiné.

Tout de bon ?

Ci-devant il n'y avait point de Cabaretière qui ne m'offrît dès le matin des gâteaux au vin, du miel, des figues, tout ce qu'il t'ait raisonnable que Mercure mangeât. À présent, je meurs de faim ; et je suis à rien faire.

C'est bien fait, aussi bien, avec tous ces présents ne pourrait-on t'empêcher de faire tort aux uns et aux autres.

Hélas ! Que deviendrai-je ? Ô mes chers gâteaux, qu'on me faisait cuire le quatrième de la lune.

Tu fais comme Hercule qui criait après Hylas ; on te dira comme lui : Tes cris rappellent en vain ce qui n'est plus.

O friandes issues dont je me repaissais.

Fais tes lamentations en l'air, tout à ton aise.

Ô tripes chaudes que je baffrais avec tant de plaisir !

Tes tripes crient après ces délicieuses tripes.

O coupe agréable pleine de moitié de vin et de moitié eau !

Si l'on t'en donnait une à vider, t'en irais-tu ?

Ferais-tu bien un plaisir à ton ami ?

S'il est en mon pouvoir, tu n'as qu'à demander.

Donne-moi un pain bien cuit et quelque morceau de bonne viande ; du reste de votre sacrifice.

L'on ne ^(l) porte rien dehors.

Mais mon ami, quand tu dérobais quelque chose au logis, je t'aidais à cacher ton larcin.

C'était pour en avoir ta part, coquin ! Il te revenait au moins quelque pain d'épice.

Tu me le présentais, maraud, mais tu le mangeais avant moi.

Aussi, avais-tu ta part des coups qu'on me donnait quand j'étais découvert.

Amnistie, mon ami, comme après la victoire ^(m) de Phyle au nom des Dieux, recevez-moi parmi vous !

Quoi ? Tu quitterais les Dieux pour demeurer ici ?

Il fait meilleur chez vous.

Crois-tu donc qu'il soit honnête de prendre la fuite ?

Ne dit-on pas que la patrie est partout où l'on se trouve bien ?

Mais quel service rendras-tu ici ?

Vous me planterez à la pointe comme au Dieu qui détourne les maux.

Nous n'avons rien à détourner.

Comme le Dieu de la marchandise.

Nous sommes riches. À quoi bon nourrir un Mercure courtier ?

Du moins, comme le Dieu des fraudes.

Des fraudes ? Il ne nous en faut plus : nous allons vivre rondement.

Comme le Dieu qui montre le chemin.

Le Dieu Plutus voit maintenant : nous n'avons plus besoin de guide.

Je serai là comme le Dieu des Jeux. Que diras-tu à cela ? Il convient à Plutus de donner des jeux, des spectacles, des concerts.

Qu'il est bon d'avoir plusieurs surnoms ! Car enfin il s'en trouve quelqu'un qui nous fait avoir du pain. Je ne m'étonne plus si messieurs les juges veulent être écrits sur tant de roles différents.

Entrerai-je donc ?

Va-t-en au puits, laver ces tripes, afin qu'il paraisse que tu es aussi le Dieu qui sait servir.

Qu'est-ce qui me dira où est Chrémyle.

Qu'y a-t-il, mon bon monsieur ?

Tout va fort mal. Depuis que ce Plutus a recommencé de voir, je n'ai pas de quoi mettre sous la dent, et je meurs de faim, moi qui suis prêtre de Jupiter Sauveur.

Et la cause, de par tous les Dieux.

Personne ne daigne plus sacrifier.

D'où vient.

Parce qu'ils sont tous riches. Auparavant, quand il n'avaient rien, le marchand qui avait fait un heureux voyage venait offrir un sacrifice. Un autre, qui avait gagné un procès en faisant autant. Et tous ceux qui sacrifiant appelaient le prêtre au festin. À présent, il ne vient personne au temple pour offrir des victimes, et l'on n'y vient plus que pour se décharger le ventre.

Prends-tu aussi tes droits sur ces derniers ?

J'ai donc résolu de laisser là planté Jupiter Sauveur et de venir m'établir …...

Prends courage ; tu ne seras pas mal en cette maison, s'il plait à Dieu. Et à dire le vrai nous avons un Jupiter Sauveur qui vaut mieux que l'autre.

Tu dis fort bien.

Nous allons le planter dans son temple. Demeure pour faire la cérémonie, et le mettre où il était auparavant ⁽ⁿ⁾ dans l'arrière maison, où il gardait la Déesse. Qu'on apporte des flambeaux allumés, afin que tu

puisses marcher devant le Dieu.

C'est comme il faut faire.

Qu'on fasse donc venir Plutus de là-dedans. Holà quelqu'un ; qu'on l'appelle !

Et moi, que ferai-je ?

Tu porteras sur la tête les marmites pleines de légumes dont nous allons nous servir pour mettre le Dieu à sa place en cérémonie ; aussi bien as-tu tes beaux habits.

Mais l'affaire pour laquelle j'étais venue ?

Ta requête est accordée : le jeune homme ira chez toi ce soir.

Je porterai volontiers les marmites, puisque tu m'es caution qu'il viendra.

Il arrive ici tout le contraire des autres marmites. Les autres marmites portent sur la surface de la bouillie qui est dedans la peau ridée qui s'y forme ; et celles-ci sont portées par une peau ridée.

Nous n'avons plus rien à attendre. Suivons les autres et fermons la marche en chantant.

Fin.