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f°32

Les oiseaux

Comédie.

On a parlé amplement dans la préface du sujet de cette pièce et du temps de la représentation.

Les personnages sont :

  • Bon espoir.
  • Pisthétaire.
  • Le rasleLe râle, valet d'Epops ou de la Huppe.
  • Epops, ou la Huppe.
  • Des oiseaux.
  • Chœur d'oiseaux.
  • Un prêtre.
  • Un poëte.
  • Un compilateur d'oracles.
  • Un géomètre.
  • Un greffier d'arrêts.
  • Un inspecteur.
  • Un messager.
  • Iris.
  • Un héraut.
  • Neptune.
  • Triballe.
  • Hercule.
  • Un parricide.
  • Cinésias.
  • Un dénonciateur.
  • Prométhée.

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(a) Les étrangers sont ordinairement plus instruits sur les chemins, que les citoyens.

(b) Ornès.

Bonespoir, avec un geai, Pisthétaire tenant une corneille.Bon espoir.

Est-ce tout droit qu'il faut aller ; ou du coté que je vois cet arbre qui est devant nous.

Pisthétaire.

Au diable l'animal ! Elle croasse qu’il faut aller d'un autre côté.

Bon.

Tu te moques de moi ? Nous ne faisons qu’errer haut et bas, çà et là.

Pisth.

Je suis bien fou de m'arrêter à une corneille qui m'a déjà fait parcourir inutilement plus de mille stades de chemin !

Bon.

Et moi, suis-je plus sage, de m'amuser avec un geai, qui m'a déchiré tous les ongles des doigts.

Pisth.

Je ne sais plus où nous sommes.

Bon.

Crois-tu, en bonne foi, retrouver ta patrie d’ici ?

Pisth.

Je suis sûr qu' ExecessideExecestide même (a); tout étranger qu’il est ; ne pourrait pas m'en enseigner le chemin.

Bon.

Hélas !

Pisth.

T'y voilà, dans le chemin d'Hélas.

Bon.

Ma foi, ce fou d'oiseleur Philocrate de la (b) ville aux oiseaux s'est bien moqué de vous.

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(c) Alopodore était de la petite taille, et on l’avait surnommé à cause de cela : le geai.

(d) Il veut parler d’Acestor, poète tragique qu’il fait Saque pour marquer qu’il est étranger.

X

f°33

Il m'avait assuré que ceux-ci nous donneraient le chemin du palais de Térée, maintenant appelé Huppe, parce qu'il est devenu oiseau. Il m'a vendu une obole ce geai de la taille d'Alopodore(c) ; et cette corneille trois oboles ; et ces animaux ne savent autre chose que mordre. Eh ! bien ! D'où vient que tu ouvres encore le bec ? Veux-tu nous mener contre ces rochers ? Car je ne vois point de chemin.

Pisth.

Par Jupiter ! Il n’y a ici ni voie, ni sentier !

Bon.

Et la corneille, ne dit-elle rien du chemin ?

Pisth.

Non. Elle chante toujours la même chanson.

Bon.

Mais que dit-elle ?

Pisth.

Elle dit qu'elle nous mangera les doigts.

Bon.

Que nous reste-t-il, que d'aller servir de pâture aux corbeaux ; puisque nous ne pouvons trouver notre chemin ? Messieurs ! nous sommes tourmentés d'une maladie fort contraire à celle de Sacas(d). Il est étranger, et il veut à toute force être citoyen ; et nous qui sommes citoyens de père et de mère, et des plus considérables, nous fuyons notre patrie à toutes jambes, quoique personne ne nous chasse. Au reste, ce n'est point par haine pour elle ; car nous ne pouvons pas dire que notre ville ne soit grande, heureuse, et capable de fournir à tous de quoi chicaner.

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Mais là les cigales ne chantent sur la branche qu'un mois ou deux, au lieu que les Athéniens passent toute leur vie à ne chanter que procès. C'est pour cela que nous avons entrepris ce voyage ; et armés d'un panier pour bouclier, d'une marmite pour casque, et d'une branche de myrte, nous errons à l'aventure pour chercher à passer le reste de notre vie sans affaire ; et nous allons demander à Térée devenu Huppe si depuis qu'il est oiseau, et il a trouvé, en volant çà et là, une ville telle que nous la cherchons.

Pisth.

L'homme !

Bon.

Qu'y a-t-il ?

Pisth.

Il y a longtemps que la corneille me montre quelque chose en haut.

Bon.

Et ce geai ouvre le bec en haut, comme pour me montrer aussi quelque chose. Il n'est pas possible que nous ne soyons auprès de la ville des oiseaux. Nous le saurons bientôt, et il n'y a qu'à faire du bruit, ne sais tu pas le proverbe des enfants qui voyent des oiseaux : frappe de la cuisse sur la pierre, et il te tombera dans la main ; frappe donc de la cuisse sur cette roche.

Pisth.

Frappes y toi de la tête, le bruit en sera plus grand.

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X

(e) Il y a au grec : le roitelet.

f°34Bon.

Prends un caillou, et frappe bien fort.

Pisth.

Je le veux bien.

Bon.

Holà ! Garçon.

Pisth.

Que dis-tu ? Tu appelles une Huppe garçon? Il fallait dire : pupu.

Bon.

Hou, pupu !

Le râle, valet de la Huppe. Bonespoir. Pisthétaire.Le râle(e).

Qui sont ces gens-là ? Qui est-ce qui appelle mon maître ?

Bon.

O Apollon qui détourne les maux ! Quelle gueule !

Le râ.

Hélas ! Ce sont des oiseleurs.

Bon.

N'as-tu rien de meilleur à nous dire ?

Le râ.

Puissiez vous périr.

Bon.

Ne crains rien ; nous ne sommes pas des hommes.

Le râ.

Et quoi donc ?

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(f) Le coq battu par un autre coq, le suit d'ordinaire.

Bon.

Je suis un Peureux, c'est une espèce d'oiseau de Libye.

Le râ.

Cela ne me contente point.

Bon.

Vois plutôt, si je n'ai pas fait, de male peur.

Le râ.

Et celui-là, quel oiseau est-ce ? Ne parleras-tu pas ?

Pisth.

Je suis un Chiard, espèce de faisan.

Bon.

Mais toi-même, par tous les Dieux ; quel oiseau es-tu ?

Le râ.

Je suis un oiseau valet.

Bon.

As-tu été fait esclave par quelque coq (f) dans un combat ?

Le râ.

Non ; mais quand mon maître devint Huppe, il souhaitait que je devinsse aussi oiseau, afin d'avoir qui le servît dans sa nouvelle condition.

Bon.

Est-ce qu'un oiseau a besoin d'un valet ?

Le râ.

Quand mon maître était homme, il aimait les merlans de Phalère (il les aime encore) et je cours aussitôt lui en quérir un plat. Tantôt il veut manger de la purée et demande le pot et la cuillère ; je cours vite

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f°35

quérir la cuiller....

Bon.

Il faut que ce soir un râle, puisqu'il court si bien. Sais-tu donc, monsieur le râle, ce qu'il faut que tu fasses ? Appelles nous ton maitre.

Le râ.

Pardi, mon maître dort maintenant, pour faire la digestion de quelques baies de myrte et de petits vers qu'il a mangés.

Bon.

N'importe ; éveille le.

Le râ.

Je sais bien qu'il sera faché ; mais pour l'amour de nous, je le réveillerai.

Pisth.

Peste de l'animal ! Qu'il m'a fait grand peur.

Bon.

Ah ! Malheureux que je suis ! Le geai m'a échappé de la peur que j'ai eue.

Pisth.

O ! le plus timide des animaux, tu as donc laissé échapper ton oiseau, de peur ?

Bon.

Et toi, qui raisonnes ; qu'as-tu fait de ta corneille, en tombant ?

Pisth.

Pardi ! Je ne l'ai pas lâchée.

Bon.

Où est-elle donc ?

Pisth.

Elle s'est envolée.

Bon.

C'est donc ainsi que tu me prouves que tu ne

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l'as pas laissée échapper ? Ô ! le Vaillant Champion !

Epops ou la Huppe. Bon espoir. Pisthétaire.Epops.

Ouvre le buisson, que je sorte.

Bon.

O ! grand Hercule ! Quel animal est là ? Qu'est-ce que ces ailes, et cette aigrette à triple étage ?

Epops.

Qui sont ceux qui me cherchent ?

Bon.

Les douze dieux, qui sont venus pour t’écraser.

Epops.

Est-ce que vous vous moquez de moi, à cause que vous voyez mes ailes ? Étrangers ! j'ai été homme comme vous.

Bon.

Ce n'est pas cela qui nous paraîtrait ridicule.

Epops.

Et quoi donc ?

Bon.

C'est ce grand bec pointu, qui nous fait mourir de rire.

Epops.

Prenez vous en à Sophocle qui métamorphose ainsi ce pauvre Térée.

Bon.

Tu es donc ce pauvre Térée ? Mais n'es-tu pas devenu paon, ou je ne sais quel autre oiseau ?

Epops.

Je suis maintenant un volatile.

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f°36Bon.

Où sont tes plumes ?

Epops.

Elles sont tombées.

Bon.

Serait-ce par maladie ?

Epops.

Non. Mais ne voyez-vous pas que l'hiver fait tomber les feuilles des arbres ? La même chose nous arrive. Mais au printemps nous nous remplumons. Apprenez moi qui vous êtes ?

Bon.

Nous ? Nous sommes deux mortels.

Epops.

Etes vous membres de la grande assemblée ?

Bon.

Non ; nous n'aimons pas à nous cuire la tête au soleil.

Epops.

Etes vous beaucoup de votre espèce ?

Bon.

Nous faisons le petit nombre et nous sommes clairsemés à la campagne.

Epops.

Pour quel sujet êtes vous venus ici ?

Bon.

Pour parler avec toi.

Epops.

De quoi s'agit-il ?

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(g) Aristocrate.

Bon.

Nous avons considéré que tu as été homme comme nous ; que tu as dû de l'argent, comme nous ; que tu étais bien aise de ne le point rendre, comme nous. Après cela, devenu oiseau, tu voles sur mer et sur terre ; et comme homme et comme oiseau, tu sais tout ce qui se passe. Tu vois ici deux suppliants qui viennent te conjurer de leur dire si tu as vu quelque part une ville propre à nous reposer aussi mollement qu'on se couche sur un tapis de peaux de mouton.

Epops.

Cherchez vous donc une plus grande ville qu'Athènes!

Bon.

Une plus grande, non ; mais une plus commode.

Epops.

Vous voulez tâter de l'Aristocratie ?

Bon.

Moi ? Point du tout. Je hais le fils à Sellias(g).

Epops.

Quelle plus agréable ville cherchez vous ?

Bon.

J'en voudrais une où les plus grandes des affaires fussent celles-ci. Par exemple, je serais à ma porte le matin, un ami viendrait me dire : Au nom de Jupiter Olympien, je t'invite toi et tes enfants à venir chez moi, après le bain, pour y assister à un repas de noces ; n'y manque pas, je t'en prie, autrement

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(h) Il partait deux galères fameuses d’Athènes, ou y arrivaient en de certain temps. La première était appelé la Salaminienne, qui portait les accusés pour être jugés par les Amphyctions ; l’autre était la Paralienne qui était chargée pour les sacrifices.

?

X

?

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ne viens point me chercher quand mesaffaires iront mal.

Epops.

Par Jupiter ! Tu souhaites-là des choses bien difficiles. Et toi ?

Pisth.

Je souhaite quelque chose de pareil.

Epops.

Comme quoi encore ?

Pisth.

Je voudrais, par exemple, qu'on me fît ce reproche : vraiment, je te croyais des amis de ma maison ; et cependant ayant rencontré mon fils qui sortait de l'Académie bien propre, et bien lavé, tu ne l'as point baisé, tu ne lui as rien dit, tu ne l'as point conduit, tu ne lui as point mis la main sous la robe pour le caresser.

Epops.

Pauvre homme ! Quel chimérique dessein t'es-tu mis dans la tête ? Je vous dirai cependant que sur les bords de la mer Rouge il y a une Ville telle que vous la demandez.

Bon.

Ah ! Ne nous parle point de la mer. Nous y verrions aborder quelque jour la galère (h) de Salamine qui porte malheur aux accusés. N'as-tu point quelque Ville Grecque à nous indiquer ?

Epops.

Que n'allez vous vous établir en Elée à Lépréon ?

Bon.

Sans l'avoir vue ; Mélanthius poète galeux et lépreux m'en donne de l'horreur.

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Epops.

Il y a encore Opunée dans la Locride où vous pourrez vous établir.

Bon.

Moi ? Je ne voudrais pas, pour un talent d'or, devenir borgne comme Opunée. Mais dis nous un peu ; qu'est-ce que la vie des oiseaux ? Tu dois le savoir à fond.

Epops.

La vie est assez douce. Premièrement nous n'avons pas besoin de bourse.

Bon.

C'est bien de l'embarras ôté.

Epops.

Nous nous repaissons dans les jardins de blanc de sésame, de fruit de myrte, de pavot, d'herbes odoriférantes.

Bon.

Vous êtes toujours dans les délices, comme de nouveaux mariés.

Pisth.

O ! qu'il se présente à mon esprit une chose qui rendrait les oiseaux puissants, s'ils me voulaient croire !

Epops.

Qu'est-ce que tu nous voudrais persuader ?

Pisth.

Ce que je voudrais persuader ! Premièrement, je voudrais que vous ne fussiez point réduits à voler çà et là, le bec ouvert ; cela est niais et donne lieu à vous mépriser. Car qu'on vous voit passer là-bas, quelqu'un demandera : quel oiseau est-ce ? Aussitôt un mauvais plaisant tel que

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(i) En grec : Pole.

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Téléas, répondra : c'est un sot animal, inconstant et sans arrêt, qui vole à l'aventure, et qui ne peut demeurer longtemps en un même lieu.

Epops.

Par Bacchus ! Il a raison. Mais que ferions nous donc ?

Pisth.

Il faut habiter tous une même ville.

Epops.

Et quelle ville est-ce que des oiseaux pourront habiter ?

Pisth.

Peut-on dire des pauvretés pareilles ? Regarde là-bas.

Epops.

Eh bien, je regarde.

Pisth.

Regarde en haut.

Epops.

Je regarde.

Pisth.

Tourne le cou de tous cotés.

Epops.

Pardi, j'en serai bien mieux, quand je me serai démis le cou ?

Pisth.

Qu'as-tu vu ?

Epops.

J'ai vu les nues et le ciel.

Pisth.

Eh ! bien, n'est-ce pas là le tour des oiseaux ? (i)

Epops.

Quel tour veux-tu dire ?

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(k) Nicias prit Mèle par famine.

Pisth.

On l'appelle tour, cet espace vaste, parce qu'il tourne tout autour de la terre, si nous nous avisons donc d'y bâtir une ville et d'y élever des fortifications ; du tour nous en ferons un tour et une ville, qui vous soumettra les mortels, comme si ce n'était que des moucherons, et vous donnera de mettre parmi les dieux une famine pareille à celle de Mèle.(k)

Epops.

Comment cela ?

Pisth.

C'est que l'air est entre la terre et le ciel. Or comme parmi nous, quand nous voulons aller sacrifier à Delphes, il faut acheter passage des Béotiens ; de même, si les Dieux ne vous paient tribut pour laisser passer par votre ville la fumée des sacrifices, ils ne sauront plus de quelle odeur est la graisse des victimes.

Epops.

Ah ! Je proteste par la terre, par les lacets, par les pièges, par les filets, que je n’ai jamais rien entendu de plus drôle. Je consens d'habiter avec toi cette ville pourvu que les autres oiseaux le trouvent bon.

Pisth.

Qui est-ce qui leur fera savoir notre dessein ?

Epops.

Ce sera toi-même. Ils étaient grossiers et barbares avant que je ne fusse parmi eux. Mais dans le long séjour que j'y ai fait, je leur ai appris la langue.

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f°39Pisth.

Comment feras tu pour les rassembler ?

Epops.

Cela est aisé. Je m'en irai sur cette touffe de bois, et je ferai chanter ma Philomèle, pour pour les appeler. Aussitôt qu'ils l'entendront vous les verrez tous accourir.

Pisth.

O ! le plus aimable des oiseaux ! Je te prie ne diffère pas de te percher sur ces arbres, et d'exciter ta Philomèle à chanter.

Epops, chante.

Sus, sus, camarade ! C'est assez dormi. Fais résonner les couplets touchants de ces hymnes sacrés dont ta bouche divine célèbre la triste mémoire de notre malheureux Itys ; ces tendres chansons que ton humide gosier fait répéter aux échos de dessus l'if ombrageux. L'harmonie en est portée jusqu'au trone de Jupiter; et le blond Phébus, aussitôt qu'il l'entend, répond à tes élégies par les accords de sa lyre d'ivoire, au son de laquelle tous les Dieux se mettent à danser, et leurs voix immortelles s'accordent ensemble à répéter tes tristes plaintes.



On entend le son d'une flûte.

Bon.

O ! roi Jupiter, quel agréable chantd'oiseau d'oiseau ! Tout le bois est emmiellé.

Pisth.

Holà donc.

Bon.

Que veux-tu ?

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Pisth.

Tais-toi.

Bon.

D'où vient ?

Pisth.

C'est que la Huppe va se remettre à chanter.

Epops.

Epopoi, popoi, popoi, io, io, ïo, ito, ito, et tôt, et tôt, et tôt quelqu’un de mes compagnons emplumés ! Et vous tous qui habitez les fertiles campagnes, toutes les espèces de volatiles qui vivez de grain ! Vous tous qui chantez mélodieusement et qui vous plaisez à fredonner parmi les guérets : tio, tio, tio, tio ; tio, tio, tio, tio ! Vous qui dans les jardins habitez le lierre feuillu ! Vous qui fréquentez les montagnes ! Vous qui vivez des fruits des oliviers, et des arbousiers ! Volez, accourrez tous à ma voix. Trioto, trioto, trioto, to brix. Et vous qui dans les humides vallons dévorez les moucherons piquants, vous aussi qui habitez les lieux rafraichis de la rosée et les aimables plaines de Marathon et vous beau francolin, dont le plumage est admiré de tout le monde ! Et vous qui fréquentez les flots de la mer avec les Alicions. Venez prendre part aux nouveautés que je veux vous apprendre. Nous rassemblons toutes les espèces d'oiseaux, pour donner audience à un nouvel ambassadeur qui veut nous proposer une entreprise extraordinaire. Venez donc, assemblez vous ; et tôt, et tôt,

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(k) C'est pour appeler le chat huant.

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et tôt, toro, toro, toro, toro, torotinx. Kiccabeau (k), Kiccabeau, toro, toro, toro, tolilinx.

Pisth.

Vois-tu quelqu'oiseau ?

Bon.

Par Apollon, je ne vois rien, quoique je regarde le ciel bien fixement et la gueule béante. Mais je pense que la Huppe s'est enfermée dans le bois, pour imiter le Loriot, que l'on vend couvert de peur de la jaunisse.

Epops.

Torotinx, torotinx.

Pisth.

Camarade ! Voilà enfin un oiseau qui nous vient !

Bon.

Je le vois aussi. Mais quel oiseau est-ce là ? Serait-ce un paon ?

Pisth.

Celui-ci nous le dira. Quel oiseau est-ce qui se présente ?

Epops.

Ce n'est aucun de ces oiseaux que vous avez accoutumé de voir chez vous ; c'est un oiseau de marais.

Pisth.

Peste ! Il est beau et bien rouge.

Epops.

En effet, on l'appelle, Phénicoptère, l'oiseau rouge.

Pisth.

Ho ! L'homme !

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Bon.

Qu'as-tu à crier ?

Pisth.

Voilà un autre oiseau.

Bon.

Pardi, je le vois aussi bien que toi ; c’est un oiseau de passage, qui a les couleurs changeantes.

Pisth.

Qui est ce sot animal d'oiseau montagnard ?

Epops.

C'est un mède.

Pisth.

Un mède ! O ! grand Hercule ! Et comment un mède a-t-il pu venir sans chameau ?

Bon.

Et qui est cet autrautre oiseau qui a une Huppe ?

Pisth.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Y a-t-il eu d'autres types de Huppe que toi ?

Epops.

Je suis la Huppe d'Eschyle ; et c’est la Huppe de Philoclèsdans sa tétralogie de Pandion ; en sorte que je suis le grand-père de celui-ci, comme qui dirait : Hipponique fils de Callias, et Callias fils d'Hipponique.

Pisth.

Nous l'appellerons donc Callias, celui là. Comme les plumes tombent !

Epops.

Il est pourtant brave homme ; mais les dénonciateurs le plument, et les femelles lui arrachent jusqu'au duvet.

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(l) Le stade était de 135 pas et l’hippodrome avait deux stades et s’appelait diaule, soit à cause de cela soit à cause que la course armée s’y faisait à l’aller et revenir. La course appelée dolique était de sept tours. Il y avait outre cela d’autres exercices : la course simple, appelée stade ; la course armée simple appelée oplite ; la lutte simple, la lutte armée ou pancras ; le palet ; et le saut.

Noms d'oiseaux.

f°41Pisth.

O ! Neptune ! Qui est cet oiseau peint ?

Epops.

C'est un mange à-terre, un gourmand.

Pisth.

Y en a-t-il d'autres que Cléonyme ? Mais puisque c'et c'est un autre Cléonyme, d'où vient qu'il n'ait pas perdu son aigrette ?

Bon.

Je voudrais bien savoir ce que veulent dire ces huppes et ces aigrettes qu'ont tous ces oiseaux ; se sont-ils équipés de cette sorte pour courir le double (l) stade et s'y donner en spectacle ?

Epops.

Non ; mais c'est qu'ils font comme ceux de la Carie qui se plaisent sur les éminences pour plus grande sûreté.

Pisth.

O ! Neptune ! Vois-tu quelle armée d'oiseaux ?

Bon.

O ! grand Apollon ! Quelle nuée ! Ils volent en si grand nombre, qu'ils nous ôtent la vue de leur marche.

Pisth.

Je reconnais la perdrix ; que voilà, et le francolin aussi.

Bon.

Et voilà le Pénélops ; ensuite la fameuse Alcyone. Mais qui est-ce qui la suit ?

Pisth.

Qui c'est ? Ne vois-tu pas que c'est Céryle ?

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(m) Comme cet oiseau était consacré à Minerve, il y en avait si grande quantité à Athènes, qu'on disait en proverbe : apporter des hiboux à Athènes. Comme qui aurait dit : porter de l'eau à la mer.

Bon.

Est-ce que Ceryle est un oiseau ? Tu veux dire Céyix.

Pisth.

Et voilà le hibou.

Bon.

Bon ! Tu n'y penses pas. Est-ce qu'on apporte des (m) hiboux à Athènes ? Tiens vois-tu la pie, la tourterelle, l'alouette, la grue, le bizet, le pigeon, l'épervier, le coucou, le pied rouge, la tête rouge, le flambant, le butor, le plongeon, la caille, le corbeau, le milan, le pivert ?

Pisth.

O ! Dieux ! que d'oiseaux ! Dieux ! que des merles ! Comme ils piaillent ! Comme ils crient en courant çà et là ! Je pense qu'ils nous menacent ! Hélas ! Comme ils ont tous le bec ouvert ! Ils te regardent et moi aussi.

Epops.

Il semble que tu as raison.

Le chœur. Epops. Pisthétaire. Bonespoir.Le chœur.

Popo, popo, popo, popopoi. Où est celui qui m'appelle ? En quel lieu le trouverai-je ?

Epops.

Le voilà lui-même. C'est moi, mes amis, je ne me cache point de vous.

Le ch.

Quoi, quoi, quoi, quoi, quoi donc ? De quoi

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est-il question ?

Epops.

Il est question d'une affaire commune, sure, juste, agréable, utile. Il est venu deux hommes subtils en discours me trouver.

Le ch.

Où ? Qui ? Comment ? Que dis-tu ?

Epops.

Je dis qu'il est venu de chez les hommes deux vieillards nous proposer une affaire extraordinaire.

Le ch.

O ! la grande faute que tu as faite de les recevoir ! Que dis-tu là ?

Epops.

Ne crains rien.

Le ch.

Ah ! Qu'as tu fait ?

Epops.

J'ai reçu deux hommes qui ont envie de vivre avec nous.

Le ch.

Et où sont-ils ?

Epops.

Ils sont chez moi, comme je suis chez vous.

Le ch.

Voyez, voyez ; nous sommes trahis ; on nous fait injure. Notre ami, qui paissait dans les mêmes plaines que nous, a violé les lois anciennes et faussé le serment des oiseaux ; il nous a fait venir frauduleusement pour nous livrer à cette maudite espèce

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X

d'animaux qui nous font une guerre continuelle. Nous leur parlerons tantôt. Mais pour ce qui est de ces vieillards, il faut qu'ils nous soient livrés tout à l'heure, afin que nous les mettions en pièces.

Pisth.

Nous voilà donc perdus.

Bon.

C'est toi seul qui es la cause de tout ceci. Pourquoi m'amenais-tu ?

Pisth.

Pour me suivre.

Bon.

Hélas ! C'était pour pleurer mes malheurs !

Pisth.

Tu te moques.

Bon.

Comment donc ?

Pisth.

Dis-moi, pleureras-tu quand on t'aura arraché les yeux ?

Le ch.

Sus, sus, allons, fondons sur ces ennemis de notre espèce, joignons nos ailes, enfermons les ; il faut qu'ils périssent tous deux et qu'ils nous servent de pâture. Il n'y a ni montagne ombragée, ni nuage céleste, ni mer blanche d'écume qui puisse cacher leur fuite et les dérober à notre vengeance. Hâtons nous de les assaillir à grands coups de bec. Où est le mestre de camps ? qu'il fasse avancer l'aile droite droite.

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f°43Bon.

Ne voilà-t-il pas ? Hélas ! Où fuirai-je, malheureux que je suis ?

Pisth.

Holà ! Demeureras tu ?

Bon.

Veux-tu donc que je me laisse mettre en pièces ?

Pisth.

Et crois-tu pouvoir prendre la fuite ?

Bon.

Hélas ! Je ne vois pas que cela soit possible.

Pisth.

J'ai à te dire qu'il faut que nous demeurions, pour combattre courageusement. Armons nous de marmites.

Bon.

Et de quoi nous serviront les marmites ?

Pisth.

Premièrement ne craignons point les hiboux : nous sommes Athéniens, leurs ongles ne nous offenseront point la tête. Pour ce qui est des autres, arme-toi de cette broche, et la tiens ferme.

Bon.

Et les yeux ?

Pisth.

Mets au devant un saladier, ou un plat.

Bon.

Ah ! Que tu as d'esprit ! C'est bien imaginé. Tu surpasses Nicias en invention de machines.

Le ch.

Avancez, baissez le bec, ne tardez point, tirez, arrachez, frappez, écorchez, donnez sur la

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première marmite.

Epops.

Dites moi, les plus méchants animaux du monde ! Prétendez vous donc faire périr sans cause deux hommes qui ne vous ont rien fait, et qui sont parents de ma femme ?

Le ch.

Avons nous plus de raison de les épargner que si c'étaient des loups ? Et pouvons nous punir de plus grands ennemis que cela ?

Epops.

Quand ils seraient nos ennemis de nature, ils sont nos amis de volonté. Ils ne sont venus ici que pour nous enseigner une chose très utile.

Le ch.

Comment pourraient-ils nous apprendre quelque chose d'utile, eux qui ont toujours fait la guerre à nos pères ?

Epops.

Les gens sages savent apprendre des choses de leurs ennemis même. La défiance est la source de la sûreté, vous n'apprenez rien d'un ami ; mais l'ennemi vous ouvre l'esprit malgré vous. N'est-ce pas des ennemis que les villes ont appris à élever de hautes murailles, et à fabriquer de grands vaisseaux ? Et c'est cela qui sauve les enfants, les maisons, les biens.

Le ch.

Il parait qu'il ne serait pas hors de propos d'entendre ces hommes. Car en effet on peut apprendre quelque chose de bien de ses propres ennemis.

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458

(n) Ornes : ville du Péloponèse

f°44Pisth.

Il me semble que leur colère commence à se calmer. Tu peux maintenant te reposer sur tes armes.

Epops.

Ce que vous dites est raisonnable ; et il est juste que vous me sachiez gré de ce que j'ai fait.

Pisth.

Tout se dispose à la paix, tu n'as qu'à mettre bas la marmite et le plat, le javelot et la broche ; appuie tout cela sur la marmite ; et par une démarche hardie faisons voir que nous n'avons point de peur ; aussi bien nous est-il impossible de fuir.

Bon.

Fort bien ; mais si nous mourons, où serons-nous enterrés ?

Pisth.

Le Céramique nous recevra dans son sein. Et afin que nos obsèques se fassent aux dépens du public, nous dirons aux généraux que nous sommes morts à la ville aux oiseaux (n), en combattant contre les ennemis.

Le ch.

Reprenez vos rangs ; calmez votre fureur martiale ; mais tenez-vous cependant toujours sur vos gardes. Interrogeons ces étrangers, et sachons d'où ils viennent et ce qu'ils ont à communiquer. Holà, leur hôte ! C'est toi que j'appelle.

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459

Epops.

Que veux-tu savoir de moi ?

Le ch.

Qui sont ces gens, et d'où sont-ils ?

Epops.

Ce sont des étrangers qui viennent de la sage Grèce.

Le ch.

Par quel hasard se sont ils acheminés vers les oiseaux ?

Epops.

Nul autre dessein ne les anime, que l’envie de passer leurs jours avec toi.

Le ch.

Que dis-tu là ? Mais que disent-ils eux-mêmes ?

Epops.

Des choses incroyables.

Le ch.

Sachons donc quels avantages nous retirerons de leur séjour parmi nous. Car à moins de cela, il faut les traiter en ennemis, s’ils ne nous peuvent servir comme amis.

Epops.

Celui-ci nous propose un bonheur qui passe toute croyance ; et c'est que tout ce que nous voyons, à droite, à gauche, dessus, dessous, tout cela sera à nous.

Le ch.

Il faut qu'il soit fou.

Epops.

Au contraire ; on ne peut mieux raisonner qu'il raisonne.

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460

(o) Il était petit et mal fait, et sa femme grande et qui le faisait cocu, et ne s'embarrassait pas d'être prise sur le fait.

X

f°45Le ch.

Il a donc de l'esprit ?

Epops.

Comment, de l'esprit ? C'est un vrai renard tout pétri de finesse et de malice.

Le ch.

Dis-lui que je veux l'entendre. Et vite, et vite. Je vole, je ne me possède pas d'impatience.

Epops.

Maintenant, vous deux, prenez vos armes, et les pendez au croc à la cuisine, pour les consacrer à la bonne fortune. Et toi apprends-nous ce que tu m'as promis de dire à ces oiseaux, quand je les aurai rassemblés.

Pisth.

Par Apollon, je m'en donnerais bien de garde, à moins que nous ne fassions auparavant le marché que le petit singe (o)Panetius le ferrandinier fit avec sa diablesse de femme, de ne me point mordre, de ne jouer ni du bec, ni des griffes, de ne me point venir farfouiller.

Epops.

Ne crains rien.

Pisth.

J'entends les yeux.

Le ch.

Je te le promets.

Pisth.

Il en faut jurer.

Le ch.

Je jure par tous les juges et les spectateurs, que je souhaite qui me soient favorables

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461

(q) On a déjà vu ci-dessus dans les femmes à la fête de Cérès que ceux qui voulaient haranguer, prenaient des couronnes. On en prenait aussi pour se mettre à table, etc.

X

d'un consentement unanime.

Pisth.

Je l'espère.

Le ch.

Et si je ne tiens pas ma parole, je veux ne remporter la victoire qu'au jugement d’un seul de toute cette grande assemblée.

Pisth.

Écoutez, peuples. Il faut d'abord que tous ceux qui sont armés emportent leurs armes au logis. Après cela nous verrons ce que nous écrirons sur nos tablettes.

Le ch.

Il faut avouer que l'homme est un méchant animal plein de malice. Mais parle cependant, tu ne laisseras pas de dire quelque chose de bon, car tu pourrais bien voir que je ne vois pas, et découvrir ce qui est caché à mon peu d'esprit. Expose donc au public ce que tu as dans l'ame, et rends commun ce que tu nous apportes de bon. Parle hardiment, et assure-toi que nous garderons fidèlement la trève.

Pisth.

Je meurs d'envie de parler, parler et j'ai là-dedans un discours tout à partir. Garçon ! Apporte moi une (q) couronne, et qu'on me donne à laver.

Le ch.

Est-il donc question de souper !

Pisth.

Non, parbleu ; mais je me dispose à vous débiter un grand et large discours qui

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462

était ?

f°46

vous chatouillera l'âme. En effet, vous me faites compassion. Vous étiez autrefois des rois.

Le ch.

Nous des rois ? Et de qui ?

Pisth.

De qui ? De tout, de moi, de lui. Vous êtes plus anciens que Jupiter, plus vieux que Saturne, que les Titans, que la Terre même.

Le ch.

Plus vieux que la Terre ?

Pisth.

Oui, par Apollon.

Le ch.

Pardi, je n'avais jamais entendu parler de cela.

Pisth.

C'est que tu es un ignorant, un innocent, qui n'a point lu Esope. Il dit que l'alouette fut faite la première avant la Terre. Après cela son père mourut de maladie, et comme il n'y avait point de terre où lui donner sépulture, quoiqu'il y eût déjà cinq jours qu'il fut trépassé , la pauvre alouette, ne sachant où le mettre, elle l'ensevelit dans sa tête, et c'est d'où vient la huppe qu'elle y a. Si vous êtes donc plus anciens que la Terre et les Dieux ; n'est-il pas évident que vous êtes les rois de l'univers ?

Bon.

Par Apollon ! Tu mérites après cela d'avoir un bec crochu.

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463

(r) Le Roi seul parmi les Perses portait la thiaretiare droite. Les autres la portaient penchée.

(s) Ce festin du 10e jour se faisait pour nommer l'en l'enfant.

Epops.

Je ne pense pas cependant que Jupiter veuille abandonner son sceptre au pic-vert.

Pisth.

Or pour vous prouver que ce n'étaient pas d'abord les Dieux qui régnaient sur les hommes mais les oiseaux ; je commencerai par le coq et je vous ferai voir comme il a été notre roi. Premièrement il a régné sur les Perses, sur Darius et sur Mégabyse. Car n'est-il pas vrai qu'on l’appelle oiseau de Perse. Et d’où vient cela si ce n’est qu’il n’a régné sur les Perses ?

Epops.

C'est donc pour cela qu'il marche encore comme le grand roi ; et de tous les oiseaux il est le seul qui porte la thiaretiare(r) droite.

Pisth.

De là vient encore pour montrer quelle était alors sa puissance et sa grandeur, que maintenant même au moment où il fait entendre sa voix le matin, tout le monde se lève pour travailler, forgerons, potiers, cordonniers baigneurs, boulangers, tourneurs, armuriers, luthiers et quoiqu'il ne soit pas encore jour, vous les voyez courir de tous cotés à leur besogne.

Bon.

Demandez moi ce qui en est. Ce diantre d’animal est cause que j'ai une fois perdu ma casaque qui était de bonne laine de Phrygie. On m’avait invité au festin du (s) dixième jour de la naissance d'un enfant. Je m'amusai à boire dans la

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464

(t) Cette coutume n'était que parmi les pauvres qui se réjouissaient de voir l'hiver passé, qui est toujours fort rude pour eux.

f°47

ville, et je m'endormis avant que les autres eussent achevé de souper. Le coq chanta, et comme je crus qu'il serait bientôt jour ; je pris le chemin de mon village. À peine étais-je hors des murs, que je fis rencontre d'un filou qui me fit tomber d'un grand coup de massue. J'allais crier, mais le drôle était déjà bien loin avec ma casaque.

Pisth.

Et le milan n'a-t-il pas autrefois régné sur tous les Grecs ?

Epops.

Sur tous les Grecs ?

Pisth.

Sans doute ; et c'est lui qui a établi la coutume de (t) se rouler de joie, quand on voit le milan au retour du printemps.

Bon.

Par Bacchus ! Je me roulais une fois, à l'aspect du milan ; et comme j'étais à la renverse, j'avalai par mégarde l'obole que j'avais dans la bouche, et je rapportai mon sac vide de provisions.

Pisth.

Le coucou a aussi régné dans l'Egypte et dans toute la Phénicie ; et la preuve de cela est, qu'aussitôt qu'il dit : coucou ; vous voyez tous les Phéniciens courir dans les champs et scier les blés.

Epops.

C'est donc d'où vient le proverbe : coucou, aux champs, circoncis !

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465

(u) Ce fut lui qui conduisit la colonie des Athéniens à Sybarès.

Pisth.

Une autre preuve convaincante du régne des oiseaux, c'est que tous les rois des villes grecques comme Agamemnon et Menelaus, portaient des oiseaux sur leurs sceptres, pour témoigner que les rois ne recevaient point d'honneurs dont il ne fallut que les oiseaux eussent leur part.

Bon.

Voilà ce que je ne savais pas. Aussi je m’étonnais pourquoi dans toutes les tragédies, Priam paraît avec un oiseau sur son sceptre, qui, planté là-dessus, regarde, comme le capitaine Lysicrate si on ne lui fera point quelque présent.

Pisth.

Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que Jupiter même, qui règne à présent, a un aigle sur sa tête, tout roi qu'il est, sa fille une chouette et Apollon, comme valet de Jupiter, a un épervier, moindre qu'un aigle.

Bon.

Par Cérès, tu dis vrai ! Mais d'où vient qu’ils ont ces oiseaux ?

Pisth.

Ne vois-tu pas que c'est afin que lorsqu’on leur fait des sacrifices, et qu'on leur met en main les intestins selon la coutume, les oiseaux goûtent avant eux ? Il a été un temps qu'aucun mortel ne jurait par les Dieux ; mais tous juraient par les oiseaux. Et nous voyons encore le devin Lampon(u), qui ne jure que par le canard quand quelqu'un l’a trompé. Voilà quels étaient autrefois vos honneurs. Mais à présent vous êtes au-dessous

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f°48

des plus vils esclaves. On vous traite comme des enragés ; on vous tire des flèches et des pierres jusques dans les temples ; les visiteurs vous tendent des pièges, des filets, des pantières, des tirasses, des nuées, des piquets. Quand on vous a pris, on vous vend à tas. Ceux qui vous achètent vous manient le ventre et la poitrine pour voir si vous êtes gras. Ils ne se contentent pas de vous embrocher et de vous faire rôtir, ils rapent encore sur vous du fromage ; ils y répandent de l'huile, du vinaigre, de la moutarde, de la sauce toute chaude ; enfin c'est une cruauté, une boucherie...

Le ch.

Ah ! Quel triste discours nous fais-tu là ? Les larmes m'en viennent aux yeux, quand je fais réflexion sur le malheur de nos pères qui ont laissé perdre les honneurs de leurs ancêtres. Heureuse rencontre, qui nous donne en toi un homme capable de les rétablir ! Je te confie mes enfants ; je me livre moi-même à ta conduite. Mais que faut-il faire ? Apprends le nous. Je ne daigne plus vivre si je ne recouvre mon ancienne royauté.

Pisth.

Je vous dirai qu'il faut faire une ville où nous rassemblerons tous les oiseaux ; et puis tout cet air qui nous environne, il faut l'enclorre [sic] de bons murs bâtis de briques, comme ceux de Babylone.

Epops.

Oh ! Mes amis ! Que cela sera magnifique !

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467

(x) Fille de Cercyon violée par un fils de Neptune, Hippothoon.

(y) Il y a au Grec : à la Phaleride. C'est un oiseau de marais que le poète oppose à Vénus, à cause du jeu de mots entre phalle et phaleris.

(z) En grec ορχιλος oiseau ennemi du hibou. Le poète joue sur le nom, et l'on tâche d'imiter son idée en substituant un autre oiseau.

Pisth.

Quand cet édifice sera élevé, il faudra redemander notre royaume à Jupiter, et s’il ne veut pas le rendre de bonne grace, il faudra lui déclarer la guerre, et faire savoir à tous les Dieux qu'ils n'aient plus à passer par les contrées que nous occupons ; comme ils faisaient autrefois pour aller débaucher les Alcmènes, les Alopes(x), les Sémélés ; et si on les y attrape, on leur mettra un cachet sur ce que vous savez, pour les empêcher de mal faire. D'un autre côté, l'on enverra un hérault vers les hommes pour leur dire que ce sont désormais les oiseaux qui règnent et que c'est à eux qu'il faut sacrifier par préférence ; après cela on pensera aux dieux. Il faut donc avertir les hommes de rendre aux oiseaux, à proportion, les mêmes honneurs qu'ils voudront rendre aux Dieux. Par exemple s'ils veulent sacrifier à Vénus, qu'ils sacrifient[?] auparavant des grains (y) aux colombes, s’ils veulent sacrifier un porc à Neptune, qu'ils commencent par faire une offrande au canard. S'ils veulent offrir un bœuf à Hercule, que ce soit après avoir sacrifié des pains d’épices au cormoran oiseau vorace. Enfin s'ils ont dessein d'immoler un bélier au roi Jupiter, qu'ils se souviennent d'offrir quelque insecte garni de testicules au royal oiseau nommé : (z) Hoche-queue.

Bon.

L'insecte sacrifié me fait mourir de rire. Qu’il tonne maintenant, ce grand Jupiter, je m’en moque.

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468

f°49Epops.

Et comment les hommes nous prendront ils pour des Dieux, nous qui volons et avons des ailes ?

Pisth.

Tu te moques. Eh ! Pardi, Mercure ne vole-t-il pas, tout Dieu qu'il est, et n'a-t-il pas des ailes ? Tant d'autres ! La victoire, par exemple, qui a des ailes d'or, et Iris qu'Homère compare à une colombe.

Epops.

Mais si Jupiter en colère nous lance son foudre ailé ?

Pisth.

Bagatelle. Et si les hommes ne nous reconnaissent pas et s'en tiennent toujours à leurs Dieux de l'Olympe ; il faudra qu'une nuée d'oiseaux fonde sur leurs champs et dévore tous leurs grains. Après cela, que Cérès leur en fournisse d'autres si elle veut.

Epops.

Bon ! C'est bien ce qui l'embarrasse ! La bonne dame dira qu'elle n'a pas le temps. Après cela les corbeaux n'auront qu'à tirer les yeux aux bœufs d'attelage, et aux brebis, pour faire voir à ces marauds d'hommes si nous sommes à respecter. Apollon guérira peut-être le mal que nous aurons fait ; car il se mêle de médecine, et est aux gages des hommes.

Bon.

Attendez un peu que j'aie vendu un couple

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de bœufs que j'ai là-bas.

Pisth.

Au lieu que s'ils vous reconnaissent pour dieux si vous leur tenez lieu de Saturne, de Neptune, de la Terre ; vous les comblerez de toutes sortes de biens.

Le ch.

Dis moi un seul de ces biens que nous leur ferons.

Pisth.

Premièrement les sauterelles et les tiques ne désoleront point leurs vignes en fleurs, car nous leur donnerons la chasse avec un détachement de hibous et d'autres oiseaux de nuit. Les pucerons et les vers ne rongeront point les figues ; nous détruirons ces insectes pernicieux avec une brigade de Grives.

Epops.

Mais comment leur donnerons-nous des richesses ? C'est là le hic; ils en sont fort friands.

Pisth.

Quand ils chercheront des mines d'or, et d'argent, vous les leur enseignerez. Quand ils consulteront le devin sur les voyages de long cours et les plus lucratifs, vous instruirez le devin ; et par ce moyen il ne se perdra plus de vaisseaux.

Le ch.

Comment l'empêcher ?

Pisth.

Quand un marchand consultera l’oracle sur le sujet de son voyage, un oiseau lui dira : ne te mets point en mer ; il y aura du

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470

f°50

gros temps ; mets toi en mer, il y a présentement du profit à faire.

Bon.

Si cela est, j'achèterai une barque, et je me jetterai dans le trafic. Je ne demeurerai pas ici.

Pisth.

Vous leur montrerez les trésors que les anciens ont cachés ; car vous devez savoir où ils sont. Et la preuve, la voici : quand quelqu'un a caché un trésor ne dit-il pas : personne ne sait où je l'ai mis, si ce n'est quelque oiseau ?

Bon.

J'achêterai un oiseau et un pic ; et j'enlèverai les trésors.

Epops.

Et la santé ? Comment la donner aux mortels ? Puisque c'est un présent des Dieux.

Pisth.

S'ils sont heureux dans leurs entreprises, n'auront-ils pas la santé de reste ? Sache qu'un homme qui fait mal ses affaires, ne se porte jamais bien.

Le ch.

Et la longue vie, que l'on croit un don de ces messieurs de l'Olympe, comment la leur donnerons-nous ? Faudra-t-il voir les hommes mourir dès l'enfance ?

Pisth.

Pardi ! Vous voilà bien embarrassés ! Vous avez tant d'années à leur donner ! Des trentaines, s'il le faut.

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Le ch.

Et où les prendre ?

Pisth.

Où ? Chez vous-même. Ne savez-vous pas que la corneille criarde vit cinq âges d'homme ?

Bon.

Parbleu, ceux-ci sont plus dignes de régner que Jupiter.

Pisth.

Je le crois, vraiment. Premièrement il ne sera point besoin de leur bâtir des temples de pierre à porte d'or. Ils se contenteront d'habiter de simples buissons ; et au pis-aller il suffira d'établir les plus considérables dans des oliviers, qui leur serviront de temples. Il ne faudra plus faire le voyage de Delphes, ni d'Hammon, pour y sacrifier. On s’arrêtera sous le premier olivier, sous le premier sauvageon d'olivier qui se rencontrera ; et présentant une petite quantité de grain nous ferons notre prière à ces nouveaux dieux et notre dévotion de peu de dépense attirera sur nous toute sorte de bonheur.

Le ch.

Aimable vieillard, que je chéris maintenant, autant que je te haïssais ! Tu m'as tellement persuadé, que je ne puis m'écarter de tes sentiments. Tu m'as élevé par tes discours ; je me sens rempli de hardiesse, prêt à menacer, à jurer ; et si tu continues à seconder mes desseins, sans fraude, je m'assure que les dieux ne jouiront pas longtemps de mon sceptre nous vous nous chargerons de l'exécution de tout ce qui

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f°51

ne demande que les forces du corps. Pour ce qui est du dessein et du conseil, nous nous en reposons sur toi.

Epops.

Il ne faut point ici lanterner ; il faut au plus tôt mettre la main à l’œuvre. Mais auparavant donnez-vous la peine d'entrer dans ma petite maison, et dites moi comment vous vous appelez.

Pisth.

Je m'appelle Pisthétaire.

Epops.

Et celui-là ?

Bon.

Bonespoir de Trie.

Epops.

Salut à tous deux.

Bon.

Grand merci.

Epops.

Entrez donc, s'il vous plaît.

Pisth.

Allons, conduis nous.

Epops.

Marche.

Pisth.

À propos, il se présente une petite difficulté.

Epops.

Qu'est-ce ?

Pisth.

Dis nous un peu, comment lui et moi vivrons nous avec des oiseaux, nous qui ne volons point ?

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473

Epops.

À merveille.

Pisth.

Je me souviens d'une fable d'Esope qui nous apprend la mauvaise société qu’il y eut une fois entre un renard et un aigle.

Epops.

Ne crains rien. Nous avons une petite racine dont vous n'aurez pas plutôt mangé, qu’il vous viendra des ailes à tous deux.

Pisth.

Entrons donc. Holà Xanthias ; Hau Ménodo prenez les hardes.

Le ch.

Ecoute.

Epops.

Que me veux-tu ?

Le ch.

Mène ces gens-là chez toi ; et donne leur à dîner, mais laisse nous cette petite chanteuse afin que nous nous réjouissions avec elle.

Pisth.

O ! Pardi ne leur refuse pas cette faveur, fais descendre de ces joncs ce petit oiseau si joli, afin que nous le voyions aussi bien qu'eux.

Epops.

Il faut le faire, puisque vous le voulez. Descends ma chère Procné, fais-toi voir à ces Messieurs.

Pisth.

O ! vénérable Jupiter ! Le joli oiseau que voilà ! qu'il est douillet ! Qu'il est blanc !

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474

f°52Bon.

Quel plaisir il y aurait à lui faire ouvrir les jambes ! O ! qu'elle a d'or sur elle ! Vous la prendriez pour une fille de bon lieu.

Pisth.

Pour moi, je crois que je la baiserais volontiers.

Epops.

Mais ne vois-tu pas, pauvre homme ! Que son bec ce sont deux broches pointues ?

Pisth.

Quand on veut humer un œuf, on casse la coque ; de même pour baiser les minois, je saurai bien ôter le dessus de ce masque pointu.

Epops.

Allons.

Pisth.

À la bonne heure. Mène nous.

Le chœur.

Chère amie, que je préfère à tous les autres oiseaux mes camarades ! Agréable musicienne ! Te voilà donc venue ! Tu te laisses voir à moi, et ne refuses pas de me faire entendre les doux accents de ta voix ! O ! toi, qui sais gazouiller avec tant d'agrément, prends ta belle voix de printemps, et nous mets en train de chanter nos anapestes.



Aux Spectateurs.

Hommes qui vivez dans les ténèbres et qui ressemblez à des feuilles légères ! Êtres faibles pétris de boue ! Ombres vaines ! Animaux

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475

sans plumes, dont la vie n'est que d'un jour ! Malheureux mortels ! dont les jours passent comme un songe ! Prêtez nous attention, à nous autres immortels, qui ne vieillissons point et qui ne savons ce que c'est que corruption, afin qu'instruits par nous de toutes choses, de la nature des oiseaux du ciel, de la naissance des Dieux, de l'origine des fleuves, de l’enfer, et du caho chaos, vous puissiez envoyer promener Prodiquecus et toute sa philosophie. Il n'y avait d'abord que le chaos et la nuit, le noir enfer, et le large Tartare. Il n’y avait ni terre, ni air, ni ciel. La nuit aux ailes noires produisit un œuf, sans le secours d'aucun mâle, et le déposa dans le sein immense du vaste enfer, d'où sortit à son terme le charmant amour, qui parut avec des ailes d'or, et se remuait avec la même vitesse que les tourbillons que forme le vent. De ses embrassements nocturnes avec le chaos ailé sur les bords du large Tartare, sortit notre race, qui fut la première qui parut au jour. Car avant nous et avant que l'amour ait mélé toutes choses, il n'y avait aucun être vivant. Mais de ce mélange de toutes choses furent formés le ciel, l'océan, la terre, et l'heureuse race des Dieux immortels. C’est ainsi que nous sommes plus anciens que tous les Dieux. Une preuve manifeste que nous descendons de l'amour, c'est que nous volons comme lui, et passons la vie avec les amours. Ajoutez à cela que ce n'est que par notre moyen que plusieurs amants viennent à bout de ces

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f°53

beaux garçons rebelles qui se font trop prier. Il n'y à qu'à donner à l'un une caille, un faisan à l'autre, un halebran à celui-ci, un coq à celui-là ; crac l'affaire est faite. Avec cela, quels biens ne faisons nous pas aux mortels ? C'est nous qui leur marquons les saisons, le printemps, l'hiver, l'automne. Nous leur marquons le temps de semer, quand la grue en criant prend le chemin de la Libye. Alors elle avertit aussi le pilote de prendre le gouvenail gouvernail au croc ; et Oreste qui fait l'insensé, de dépouiller les passants, pour ne pas mourir de froid. Après cela, le milan, par son retour, annonce une meilleure saison. Alors il est temps de tondre les moutons. L'hirondelle, d'un autre coté, vous avertit quand il faut acheter des habits chauds et faire vos provisions. En un mot nous vous tenons lieu, d'Hammon, de Delphes, de Dodone, d'Apollon. Vous consultez d'abord les oiseaux ; puis vous entreprenez tout hardiment. Et quand il s'agit de trafic, d'acquets, de mariage, tout ce qui vous sert à juger favorablement de l'avenir, ne l'appelez vous pas : oiseau de bon augure ? La renommée n'est-elle pas un oiseau ? L'éternuement, la première chose que vous rencontrez, un mot lâché au hasard, un valet qui survient à propos ; un âne qui tombe et qui se relève ; tout cela, sous le nom d'augure, reçoit de vous la qualité d'oiseau. Il est donc constant que nous vous tenons lieu d'Apollon devin. Et si vous estimez

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(a) Il y a eu quatre Phryniques. Le poète fils de Polyphrademon, et dont la musique était douce, le 2e fils de Chrocle, et acteur. Le 3e auteur comique plagiaire. Le 4e capitaine dont il est parlé dans les Grenouilles.

donc que nous vous soyons des Dieux, vous aurez à votre gré le secours de nos muses divinatrices. Vous jouirez à votre souhait des vents, des saisons, de l'hiver, de l'été ; d'une douce température ; nous ne nous retirerons point par gloire au dessus des nues, comme Jupiter ; nous demeurerons avec vous, et nous donnerons à vous, vos enfants, et les enfants de vos enfants, les richesses, la santé, le bonheur, la vie, la paix, la jeunesse, les ris, les danses, les jeux, le lait de poule ; enfin vous serez si riches que vous vous plaindrez que vous serez accablés de biens. Viens ici, Muse des bois, tio, tio, tio, tio, tinx, avec ton plumage de diverses couleurs, avec qui sur ces coteaux et ces montagnes, tio, tio, tio, tio, tinx, gonflant mon tendre gosier et perché sur les branches de fresne, tio tio tio tio, je chante à Pan des hymnes sacrés et des chansons champêtres à danser à la mère des Dieux. Toto, toto, toto, toto, totototo, tinx. Et c'est d’où Phrynique(a), à la façon d’une abeille, s'étant nourri de la douce ambroisie de nos chants modulés, rapporte aux mortels ses agréables chansons, tio, tio, tio, tinx.

Aux Spectateurs.

Messieurs ! Si quelqu'un veut passer agréablement la vie, il n'a qu'à venir vivre avec nous. Tout ce que les lois vous font passer là-bas pour honteux, passe pour bon et honnête parmi nous autres oiseaux. La loi vous dit là bas qu'il est bien vilain de battre son père ; mais

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/esclave

X

X

(b) Cette pièce est la plus longue de toutes celles d'Aristophane.

f°54

parmi nous il est beau d'entendre un fils qui court sur son père, et le bat, lui dire : donne de l'éperon, si tu veux combattre contre moi. Un valet fuyard et marqué en plusieurs endroits, est estimé beau parmi nous ; c'est un francolin, dont les diverses couleurs font plaisir à voir. Un étranger inconnu, tel que pourrait être Spinthar, c'est un oiseau de passage, comme PhilemPhilémon, un esclave de Carie, tel qu'ExecissideExecéstide, trouvera parmi nous des parents de son pays. Si le fils de Pisias, en imitant son père, veut livrer les portes à des gens de rien, il tient cela du naturel de la perdrix, qui apprend de sa mère à se motter dans le guéret.

Venez Cygnes, tio tio tio tio tio tinx ; melez vos cris au bruit de vos ailes, pour célébrer Apollon, tio tio tio tio tinx. Sur les bords de l'Hebre, tio, tio tio tio, à travers un nuage céleste, a retenti la voix d'une multitude infinie de toutes sortes d'animaux, et l'air tranquille a calmé les flots, toto, toto, totototo, tototinx. Tout l'Olympe a retenti ; les Dieux ont été saisis d'étonnement ; et les Grâces de l'Olympe ont fait avec les muses un concert mélodieux, tio, tio, tiotinx.

Aux Spectateurs.

Il faut convenir qu'il n'est rien de plus agréable, ni de plus commode, que d'avoir des ailes. En effet, messieurs, si quelqu'un d'entre vous se trouvait tourmenté de la faim, à cause de la longueur de ces spectacles, (b) et

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(c) Preuve que cette pièce fut représentée le matin.

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/※

qu'il eût des ailes ; il volerait vite au logis et (c) y dînerait ; après quoi il reviendrait ici bien pansé, si quelque Patroclide d'entre vous, avait envie de pisser du gros, il ne lâcherait pas le paquet dans ses chausses ; il s'envolerait quelque part et se rafraichirait, et puis revolerait en sa place. S'il y a quelqu'un qui soit dans les bonnes graces de la femme de son voisin ; quand il verra son mari sur les bancs du Sénat, il prendra son vol auprès de la femme, et après lui avoir donné un quart d'heure de ses soins viendrait en volant reprendre sa place. Avouez donc que c'est la plus belle chose du monde que d'avoir des ailes. Eh ! Ne voyez-vous pas ce Diitrèphes, qui n'en ayant que de douelles de barique s'est élevé premièrement à la dignité de Phylarque, et puis à celle de Mestre de camps de la cavalerie ? Enfin lui qui n'était rien est devenu grand, et nous le voyons aujourd'hui un bel oiseau blond, qu'on peut appeler coq-cheval.

Pisthétaire. Bonespoir. Epops.Pisthétaire.

Par ma foi, je n'ai jamais rien vu de plus ridicule.

Bon.

De quoi ris-tu ?

Pisth.

Je ris de ces nouveaux oiseaux. Sais-tu à quoi tu ressembles ? Tu ressembles dans la perfection à une cannepetière.

Bon.

Et toi à un merle tondu.

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480

(d) Ville des nuées et des coucous.

/nom ?

f°55Pisth.

Nous pouvons nous appliquer à ce qu'Eschylefait dire à l'aigle frappée [sic] d'une flèche : ce ne sont point les autres qui nous le font, ce sont nos propres plumes.

Epops.

Voyons maintenant ce qu'il y a à faire.

Pisth.

Il faut commencer par donner à la ville un nom grand et célèbre. Après cela nous sacrifierons aux Dieux.

Epops.

J'en suis d'avis.

Pisth.

Considérons un peu quel nom nous donnerons à notre ville. Voulez-vous que nous empruntions de Lacédémone le grand nom de Sparte ?

Epops.

Eh ! Quoi ! Par Hercule ! Je donnerais à ma ville un lien équivoque qui signifie un lien de jonc ; moi qui n'ai pas seulement une natte pour me coucher !

Pisth.

Quel nom lui donnerons-nous donc ?

Epops.

Il en faut prendre ici un parmi les nues et dans le voisinage.

Pisth.

Voulez-vous un nom long d'une aune ? Nous l'appellerons (d) : Nephelococcygie.

Epops.

Ah ! Tu as trouvé par hasard un grand et digne nom. Oui. Elle s'appellera Nephelococcygie ;

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481

X

(e) Fils de Sellus.

(f) Le coq.

ville propre à resserrer les biens imaginaires du pauvre, mais fanfaron Théagène, et ceux (e) d’Eschine aussi riche que l'autre.

Pisth.

Il vaut bien mieux qu'ils soient déposés ici qu'à Phlègre, dans ce canton de Thrace, où les Dieux défirent les enfants géants de la Terre.

Epops.

O ! la belle ville ! Mais qui prendrons-nous pour Dieu tutélaire ? À qui broderons nous un voile ?

Pisth.

Nous pourrions prendre Minerve.

Epops.

Et quel ordre espérer dans une ville, où l’on verrait une déesse pucelle armée de pied en cap et Clisthène manier la navette ?

Pisth.

À qui donnerons-nous donc la protection de la citadelle.

Epops.

Nous avons parmi nous l'oiseau (f) de Perse qu'on appelle fils de Mars.

Pisth.

O ! beau fils de Mars !

Epops.

C'est un Dieu très propre à se percher sur les pierres.

Pisth.

Marche donc à l'air, et fournis à ceux qui bâtissent, du moëlon, du mortier, du ciment. Dépouille-toi ; porte l'oiseau et le baquet ; descends de l'échelle, mets des sentinelles, couvre le feu ;

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f°56

fais la ronde avec la sonnette ; dors là, envoie deux héraults, l'un aux Dieux là haut, et l'autre aux hommes là-bas ; et que l'on vienne me rendre réponse.

Epops.

Fort bien ; et toi, demeure ici.

Pisth.

Et toi, sais-tu où je veux t'envoyer ? Je ne veux rien faire sans toi. Va t'en me quérir un prêtre, afin que je sacrifie à ces nouveaux Dieux. Holà, garçon ! Prends ce panier et cette aiguière.

Le chœur.

Je donne mon consentement à toutes ces choses ; je les approuve, je les loue. Chantons les louanges des Dieux, et les honorons. Immolons une victime prise dans un innocent troupeau. Elevons nos voix, et faisons des concerts comme aux sacrifices de la Pythie, et que le symphoniste Chaïris nous accompagne.

Pisthétaire. Epops. Un prêtre.Pisth.

Cesse de souffler. Par Hercule, qui est ce là ? Pardi, j'ai bien vu des choses, et des plus étranges ; mais je n'avais pas encore vu un corbeau emmuselé pour jouer de la flûte.

Epops.

Monsieur prêtre ! C'est à toi maintenant à sacrifier aux Dieux nouveaux.

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(g) On lui avait donné ce nom, d'un certain Colénus qui lui avait bâti un temple.

(h) En grec : Phrygite, oiseau inconnu.

(i) Il y avait communion de prières entre Athènes et ceux de Chio.

Le prêtre.

Je le ferai. Tout est prêt ? Où est celui qui porte le panier ? Adressez donc vos vœux à la Vesta des oiseaux ; au milan gardien de Vesta ; aux oiseaux Olympiens, et Olympe, tous, et toutes. Je te salue, roi Cigognien, oiseau de Neptune ! Honneur au cygne Pythien et Délien. Respect à Latone la caille ; respect à Diane, non plus Colénitide (g) mais fauconnitide ; à Bacchus(h) épervier, ; à la grande autruche mère des Dieux et des hommes ; Reine Cybèle ! Grande Autruche ! Mère de Cléocrite ! donne aux Néphélococcygiens salut et santé, à eux et à ceux de (i)Chio.

Pisth.

Cela me fait rire, d'entendre toujours ajouter dans les prières publiques : et à ceux de Chio.

Le prê.

Aux héros et aux oiseaux, et aux enfants des héros, au flambant [sic], au pélican, à la bécasse, à la bécassine, au tiercelet, au paon, à la grive, à la tourterelle, au pinçon, au cochevis, au héron, au goëland, à la tête noire, à la mésange.

Pisth.

Au diantre... c'est assez. N'en appelle pas davantage. À quel sacrifice les invites-tu ? Feras-tu venir les aigles et les vautours à ce festin qui ne suffirait pas à un milan seul ? Va-t'en, avec toutes tes couronnes et ton équipage. Je sacrifierai bien sans toi.

Le prê.

J'avais encore d'autres invocations religieuses

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(k) Les esclaves étaient rasés.

f°57

à faire, pour appeler les bienheureux à laver les mains, si vous aviez eu de quoi pour tous ; mais je ne vois ici que du poil et des cornes. Cela est bien maigre.

Pisth.

Offrons nos prières et nos sacrifices aux Dieux ailés.

Un poète. Pisthétaire.Le poète.

O ! Muse ! Dans les chants nouveaux, appelle heureuse la ville de Nephelococcygie.

Pisth.

Qu'est ce que ceci ? D'où es tu, qui es tu ?

Le poète.

Je suis un fidèle et zélé serviteur des Muses, qui fait résonner des chants emmiellés.

Pisth.

Si tu es serviteur ; d'où vient que tu as une grande (k) chevelure ?

Le poète.

Je ne suis point esclave ; mais je suis maître poète. Cependant tout maître que je suis, je me fais honneur d'être serviteur très humble des Muses.

Pisth.

Très humble et très déguenillé ! Mais à quel dessein t'es-tu fourré ici, monsieur le poète ?

Le poète.

J'ai fait des vers sur cette magnifique ville de Néphélococcygie, de belles stances, et des odes virginales, et d'autres pièces, à l'imitation de Simonide.

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(l) Ἱερῶν, sacrées.

X

Pisth.

Depuis quand as-tu fait tout cela ?

Le poète.

Il y a longtemps que je célèbre cette ville.

Pisth.

Eh ! Je fais actuellement le sacrifice du dixième jour, pour l'imposition de son nom ; car c’est un enfant qui ne vient que d'être nommé tout à l'heure.

Le poète.

Je l'avais déjà su par les nouvelles, que les muses font courir plus vite que les chevaux les plus légers. O ! toi ! Fondateur d'Œtna ! Vénérable Hiéron, dont le nom nous rappelle l'idée des choses les plus (l) sacrées ! Donne nous ce qu'il te plaira, à moi et à toi.

Pisth.

Nous n'aurons point de patience, si nous ne lui donnons quelque chose. Holà, toi qui as, outre ta robe, un bon surtout de peau. Dépouille-toi, et donne ton surtout à ce savant homme. Prends ce surtout, car il me semble que tu dois avoir froid.

Le poète.

La Muse amie ne reçoit pas ce présent mal volontiers. En récompense, écoute ce morceau de poésie Pindarique, et le mets dans ta mémoire.

Pisth.

Nous ne pourrons nous défaire de cet importun.

Le poète.

Parmi les Schythes nomades on voit errer Straton, qui ne peut voler avec un simple

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tissu. Le surtout est sans gloire, s'il n'est pas accompagné de la robe. À bon entendeur salut.

Pisth.

J'entends fort bien qu'il demande aussi une robe. Dépouille-toi ; il est juste d'assister ce pauvre poète. Va t'en avec cela.

Le poète.

Je me retire ; mais voici comment je célébrerai cette ville, quand je serai de retour ; o ! toi qui reposes sur un trône d'or, je suis venu dans une ville tremblante et gelée ; j'ai vu des campagnes couvertes de neige, mais fertiles. Hai, avant. Mais je me suis dérobé à la fureur de ce froid saisissant, avec le secours de cette bonne petite robe.

Pisth.

Pardi, je n'eusse pas cru que l'on fût si tôt informé de l'existence de cette ville. Avance, marche en rond, avec cette aiguière.

Un prêtre. Un compilateur d'oracles. Pisthétaire.Le prêtre.

Paix ! Silence.

Le com.

Ne frappe pas encore le bouc.

Pisth.

Qui es-tu ?

Le com.

Qui je suis ? Je suis un compilateur d'oracles.

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(l) Comme il y a eu trois Sibylles , la sœur d'Apollon, l'Erythrée, et la Sardienne ; il y a eu aussi 3 Bacis, le premier d'Eleone en Béotie, le 2eme Athénien, et le 3e d'Arcadie. C'était comme Nostradamus.

(m) C'est la terre ; car elle donne tout.

X

Pisth.

Va te promener.

Le com.

Malheureux ! Ne méprise point les choses Divines. Il y a un oracle de Bacis(l) qui parle expressément de Néphélococcygie.

Pisth.

Et d'où vient que tu ne l'as pas dit avant que j'eusse bâti cette ville ?

Le com.

Dieu m'en empêchait.

Pisth.

Est il permis d'entendre ces beaux oracles ?

Le com.

Mais quand les loups et les corneilles grises habiteront ensemble entre Corinthe et Sicyon.

Pisth.

Qu'ai-je affaire des Corinthiens ?

Le com.

C'est une façon de parler énigmatique par laquelle Bacis a voulu marquer l'air... On sacrifiera premièrement à Pandore(m) un bélier au poil blanc et le premier qui récitera ces vers, on lui donnera un manteau bien net et des souliers neufs.

Pisth.

Quoi ? L'oracle parle effectivement des souliers ?

Le com.

Tu n'as qu'à lire toi-même dans le livre. On lui donnera aussi une bouteille et on lui remplira la main de tripes.

Pisth.

Il est donc aussi marqué dans la prophétie

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f°59

qu'il faut donner des tripes ?

Le com.

Vois dans le livre... Jeune homme que les Dieux favorisent ! Si tu fais ce que je t'ordonne, tu deviendras un aigle qui vole dans les nues. Mais si tu ne donnes rien, tu ne seras ni tourterelle, ni aigle, ni pivert.

Pisth.

Quoi ? Tout cela est là dedans ?

Le com.

Lis plutôt toi-même.

Pisth.

Cela ne ressemble point à un autre oracle que j'ai copié moi-même, et qui m'a été donné de la propre bouche d'Apollon. Quand un importun se présentera sans être appelé, troublera les sacrifices, et demandera des tripes, il lui faudra graisser les aloyaux avec des étrivières.

Le com.

Tu ne dis rien qui vaille.

Pisth.

Lis toi-même... et qu'on ne l'épargne point, fût ce un aigle qui vole dans les nues, fût-ce Lampon lui-même, ou le grand Diopithe, ces deux fameux devins.

Le com.

Tout cela est là-dedans ?

Pisth.

Lis toi-même. Hors d'ici ; aux corbeaux.

Le com.

Ah ! Que je suis malheureux !

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(n) Excellent astronome, inventeur d'un nouveau calcul pour les cours du soleil et de la lune.

(o) Lieu près d'Athènes. Cependant Methon était de Leuconie.

Pisth.

N'iras-tu pas au plus tôt porter tes oracles ailleurs ?

Un géomètre. Pisthétaire.Le géomètre.

Je viens vers vous...

Pisth.

Autre du dit jour. Que viens-tu faire ? Quel est ton dessein ? Quelle est ta pensée ? Où vas-tu, que te voilà si bien botté ?

Le géom.

Je veux vous toiser l'air, et le diviser en place[?].

Pisth.

Par tous les Dieux ! Qui es-tu ?

Le géom.

Qui je suis ? Je suis le fameuxMathonMethon(n)connu de toute la Grèce et de Colone(o).

Pisth.

Dis moi, qu'est ce que tout cela ?

Le géom.

Ce sont les tables logarithmiques de l’air. L'air est une espèce de four. Je mettrai en haut cette règle courbe, en appuyant ensuite le compas.... Entends-tu ?

Pisth.

Ma foi, je n'entends rien.

Le géom.

Je tournerai la règle et le compas de manière que je ferai un cercle carré, et au milieu du cercle une place, et de tous côtés des rues qui aboutiront au centre, comme les rayons des astres, qui sont moins ronds que ce centre,

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f°60

jettent leur lumière de tous côtés par des lignes droites.

Pisth.

C'est un autre Thalès. Methon !

Le géom.

Qu'y a-t-il ?

Pisth.

Sais tu que je te porte une affection singulière ? C'est pour cela que je te prie de te retirer au plus vite.

Le géom.

Qu'y a-t-il à craindre ici pour moi ?

Pisth.

C'est tout comme à Lacédémone ; on chasse les étrangers et les bouches inutiles ; on donne des coups ; il en pleut.

Le géom.

Y a-t-il ici quelque sédition ?

Pisth.

Non, par Jupiter !

Le géom.

D'où vient donc que l'on bat ici les gens ?

Pisth.

Il a été résolu d'un commun accord de donner la chasse à tous les hableurs.

Le géom.

Je me retirerai donc, parbleu.

Pisth.

Je ne sais si tu en auras le temps, avant que l'on tombe sur toi.

Le géom.

Hélas ! Que je suis malheureux !

Pisth.

Je te l'avais déjà dit. Retire toi, et toise ton chemin

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(p) Général persan.

autre part.



Un inspecteur. Pisthétaire.L'inspecteur.

Où sont ceux qui viennent au devant des gens ?

Pisth.

Qui est cette espèce de Sardanapale ?

L'insp.

Je suis un inspecteur, à qui le sort a donné la commission de venir à Néphélococcygie.

Pisth.

Un inspecteur ? Et qui est-ce qui t'envoie ?

L'insp.

C'est ce méchant petit morceau de papier.

Pisth.

Si l'on te donnait quelque présent, t'en irais-tu et nous laisserais-tu en repos ?

L'insp.

Par tous les Dieux ! J'ai bien affaire au logis. Il faut que je sollicite l'Assemblée pour un traité que j'ai fait avec (p)Pharnace.

Pisth.

Tiens, et va t'en. Voilà de quoi payer tes peines.

L'insp.

Qu'est-ce ?

Pisth.

Le frappe. C'est ce que tu sollicites pour ton traité avec Pharnace.

L'insp.

Quoi ? L'on me bat ? Messieurs ! Je vous prends à témoin qu'on maltraite un inspecteur.

Pisth.

Tu ne t'en iras pas ? Tu n'emporteras pas avec toi tout ton équipage de chicane ? Cela est-il

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(r) Les uns veulent que ce soit Mars ; d'autres Janvier, ou selon d'autres le 10e mois.

f°61

supportable ? Envoya-t-on jamais des inspecteurs dans une ville, avant qu'on y ait encore offert le premier sacrifie aux Dieux ?



Un greffier d'arrêts. Pisthétaire. L'inspecteur. Le prêtre.Le greffier.

Et si le Nephelococcygien fait quelque tort à l'habitant d'Athènes...

Pisth.

Oh ! Oh ! En voici d'un autre. Quel diantre de brinborion est-ce là ?

Le gref.

Je suis un greffier d'arrêts ; et je viens vous vendre des lois nouvelles.

Pisth.

Qu'est-ce ?

Le gref.

Les Néphélococcygiens se serviront désormais de ces poids et de ces mesures, et suivront les mêmes règlements que les Olophyxiens.

Pisth.

Et moi, je te ferai bientôt suivre ceux des Pleurardiens.

Le gref.

À l'inspecteur Qu'as-tu, toi ?

Pisth.

Tu ne t'en iras pas avec tes lois ? Je te ferai aujourd'hui une distribution d'incommodité.

L'insp.

J'assigne Pisthétaire à répondre en justice sur les mauvais traitements que j'en ai reçus, et cela dans le mois de MounoirguionMunychion(r).

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(s) au prêtre

/mandibules ? ※

Pisth.

Ah ! Ah ! Te voilà donc encore ?

Le gref.

Et si par hasard on chassait les Archontes, ou si l'on déclinait d'eux, j'afficherai l'arrêt à la colonne.

Pisth.

Et toi aussi, te voilà encore en ces lieux ?

L'insp.

Je te perdrai ; je t'en ferai coûter plus de dix mille dragmes.

Pisth.

Et moi je jetterai à l'air toutes tes boîtes de scrutin.

L'insp.

Souviens-toi d'un soir, que tu fis tes ordures au pied de la colonne.

Pisth.

Holà ! Qu'on le prenne, qu'on l'arrête. (s)[?] Eh toi, où vas-tu ? demeure.

Le prêtre.

Allons hors d'ici ; nous sacrifierons le bouc là dedans.



Le chœur.

Je puis me flatter que désormais tous les mortels m'offriront leurs sacrifices avec leurs ardentes prières, à moi qui vois tout et qui domine sur tout. J'observe toute la terre je sauve les fruits que la sève fait germer, par le soin que je prends d'exterminer toute la race des insectes nuisibles, dont les gencives meurtrières font mourir sur la terre tout ce qui sort du tendre

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f°62

calice, et qui assiégeant les arbres, en rongent les productions. J'extermine de même tous les insectes qui désolent les parterres odoriférants, tous les reptiles, toute la vermine ; tout cela succombe sous les efforts de mon aile secourable. Nous publions dans ce jour célèbre, comme en publiant autrefois ; si quelqu'un peut tuer Diagoras de Mélèsce fameux athée, il aura un talent pour sa récompense ; il y a un talent pour tout homme qui pourra donner la mort à quelqu'un de ces vieux tyrans (qu'il y a déjà longtemps qu'ils ne sont plus au monde) ainsi nous faisons crier : quiconque pourra tuer Philocrate l'autruche, il aura un talent ; et quatre s'il peut le prendre vif. Et la raison, c'est que tendant aux moineaux et en prenant quantité, il en donne sept pour une obole ; il souffle les grives, pour les faire paraitre plus grasses, et le tout pour leur destruction. Il passe des plumes aux merles à travers les narines ; il prend les pigeons, les enferme dans des cages, et les lie dans un filet pour les faire servir d'appeau. Nous ordonnons donc à tous ceux qui nourrissent des oiseaux en cage ou en volière, qu'ils aient à les mettre au plus tôt en liberté ; sinon, les oiseaux vous prendront à votre tour, vous lieront, vous feront servir d'appeau pour prendre d'autres hommes. Heureuse condition, que celle des oiseaux ! L'hiver, ils n'ont point besoin de robe fourrée, et ne cherchent point à se réchauffer à la vapeur pénétrante du fourneau qui darde ses rayons de tous côtés. Nous reposons dans le

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/ le texte dit : Les oréades X

X

X

(t) Les anciennes didragmes avaient un bœuf pour marque. Depuis on les fit doubles, c'est à dire de 4 dragmes, et on y mit pour marque un hibou.

(u) Lieu dans l'Attique où il y avait des mines d'or.

sein des feuilles des campagnes fleuries, dans la saison que la cigale bruyante, pénétrée des rayons brûlants du midi, fait entendre sa voix. L'hiver, nous le passons dans les autres creux, où nous badinons avec les Divinités pisseuses des montagnes et au printemps, nous paissons les myrtes virginaux garnis de leurs blanches fleurs, et nous vivons du jardinage des Grâces.



Aux Spectateurs.

Nous dirons quelque chose aux juges, pour les porter à nous être favorables ; et, nous leur promettrons toutes sortes de biens, si leurs suffrages nous donnent la victoire. Ils peuvent s'assurer que leur jugement favorable sera mieux récompensé que celui de Paris. Premièrement (et c'est la chose dont chacun est ordinairement le plus touché) il ne lui manquera point de ces hiboux dont les belles doubles didragmes (t) de Laurion(u) sont marqués. Ils y feront leurs nids dans leurs sacs, y multiplieront, et le gain croîtra peu à peu. Après cela vos maisons seront comme des temples, car nous y ferons des ailes. Ceux qui seront nommés pour quelque emploi, et qui voudront faire leur main, nous leur donnerons pour les aider quelque oiseau de proie. Quand vous souperez nous vous enverrons des jabots. Mais si vous ne jugez pas en notre faveur, vous n'avez qu'à faire provisions de ces petites lunes qu’on met sur la tête des statues ; car celui qui n'en aura pas, peut s'assurer quelques

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(x) Le cheval de Troie était de bois. Il y en avait un d'airain à la citadelle d'Athènes, de la grandeur de celui de bois.

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beaux habits qu'il porte, que les oiseaux se vengeront de lui, en le conchiant.



Pisthétaire. Un messager.Pisth.

Oiseaux ! Le sacrifice a réussi au gré de nos souhaits. Tout va bien. Mais d'où vient que je ne reçois aucun message des murs, et que nous ne savons point ce qui s'y passe ? À la fin j'en vois un qui court avec la même rapidité que l'amoureuxAlphée.

Le messager.

Où est il ? Où est il ? Où est il ? Où trouverai-je l'archonte Pisthétaire ?

Pisth.

Le voici.

Le mess.

Le mur est achevé de bâtir.

Pisth.

C'est bien dit.

Le mess.

L'ouvrage est d'une beauté et d'une magnificence surprenantes. Il est si large que Proxenide et Théagène y feraient rouler de front deux chariots attelés de chevaux aussi grands que celui de Troie(x).

Pisth.

Est-il possible ?

Le mess.

Et la longueur (car je l'ai mesuré) est de cent arpents.

Pisth.

O ! Neptune ! Quelle longueur ! Qui sont

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/?

ceux qui l'ont bâti de cette sorte ?

Le mess.

Les oiseaux seuls. Il n'est venu ni cuiseur de briques d'Egypte, ni tailleur de pierre, ni architecte. Les oiseaux ont tout fait, et j’étais saisi d'admiration. Il est venu de Libye environ trente mille grues, dont chacune avait au bec une pierre fondamentale ; et ces pierres ont été taillées par des oiseaux à long bec. Dix mille cigognes ont porté les pierres d’assises ; et les oiseaux de rivière ont apporté l'eau.

Pisth.

Et le mortier, qui est ce qui l'a porté ?

Le mess.

Les oiseaux, vraiment.

Pisth.

Et comment faisait on le mortier ?

Le mess.

Par la plus jolie invention du monde, les oies après l'avoir démélé, se servaient de leurs pattes comme de truelles pour le jeter dans les baquets.

Pisth.

Ce n'est donc plus des mains, mais des pieds qu'il faut dire ; de quelle entreprise leur adresse ne viendra-t-elle pas à bout ?

Le mess.

Vous eussiez vu les cannes retroussées porter gaîment les pierres ; et les hirondelles garnies de leur bourrelet, voler après, comme des petits qui suivent leur mère, le bec tout plein de mortier.

Pisth.

Après cela, quel besoin de louer des journaliers ?

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(y) Jeu de mot sur πελεκύς qui signifie une hache.

f°64

Mais je voudrais bien savoir comment on est venu à bout de la charpente et de la menuiserie.

Le mess.

Ce sont encore les oiseaux qui ont fait tout cela. Les pélicans (y) avec leurs grands becs, au lieu de haches, de cognées et de doloires, ont charpenté les portes, et le bruit qu'ils faisaient ressemblait à celui que l'on entend sur le port, quand on y bâtit des vaisseaux. Enfin tout est fait ; les portes sont mises avec leurs barres qui les ferment ; les sentinelles sont placées de tous cotés ; on fait les rondes avec la sonnette, et les tours sont garnies de corps de garde et de fanaux. Je m'en vais me nettoyer. Le reste vous regarde.



Le chœur. Pisthétaire. Un autre messager.Le ch.

Que fais-tu là ? Tu admires sans doute avec quelle vitesse ce mur a été bâti.

Pisth.

Il est vrai, et j'ai raison de m'en étonner ; car cela a plus l'air de mensonge, que de vérité. Mais ne vois je pas accourir un de nos gardes avec précipitation ?

Le mess.

Hélas ! Hélas ! Hélas !

Pisth.

Qu'y a-t-il ?

Le mess.

Nous sommes perdus. Je ne sais quel Dieu qui vient de chez Jupiter, a trompé les geais qui étaient chargés de faire sentinelles

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le jour, et il a volé par les portes dans notre air.

Pisth.

Quiconque en a usé de la sorte, en a agi bien malhonnêtement, et son entreprise est digne de blâme. Mais quel Dieu est ce ?

Le mess.

Nous ne savons ; nous savons seulement qu'il a des ailes.

Le chœur.

Il fallait faire un détachement pour l'arrêter.

Le mess.

Aussi avons-nous détaché trente mille éperviers, archers à cheval, qui se sont avancés avec leurs ongles crochus, pour chercher ce téméraire, soutenus d'aigles, de vautours, d'émouchets et d'autres oiseaux de proie. L'air est agité par le mouvement de leurs ailes et l'impétuosité de leur vol. On cherche le dieu, et je pense qu'il n'est pas loin.

Le ch.

Que l'on s'arme de frondes et de javelots.

Le mess.

Avancez, ministre de notre vengeance ; lancez vos traits, qu'on me donne une fronde.

Le ch.

La guerre s'allume, une guerre incroyable entre moi et les Dieux. Que tous fassent bonne garde dans l'air rempli de nuages, fils du vaste Erèbe. Regarde de tous côtés, et qu'aucun Dieu ne puisse passer à insu. J'entends ici près le mouvement d'un tourbillon qu'excite le vol d'un Dieu qui s'élève.

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500

X

X

f°65 Pisth.

Holà ! Toi ! Où voles tu ? Arrête ; demeure là. Qui es tu ? D'où es tu ? Parle.



Iris. Pisthétaire. Le chœur.Iris.

Je viens de la part des Dieux, habitants de l'Olympe.

Pisth.

Quel nom te donne-t-on ?

Iris.

Je m'appelle Iris la légère.

Pisth.

Qu'on la saisisse.

Iris.

On m'arrêtera ? moi ? Qu'est ce donc que ceci veut dire ?

Pisth.

Tu seras punie.

Iris.

Qu'est ce donc que tout ceci ?

Pisth.

Insolente ! Par quelle porte es-tu entrée ?

Iris.

Pardi, je ne connais point vos portes.

Pisth.

Entendez vous la dissimulée ? As tu parlé à la garde ? Les cigognes t'ont-elles donné le passe avant ?

Iris.

Je n'entends rien à tout cela.

Pisth.

Quoi ? Tu ne l'as point ?

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501

Iris.

Tu n'es donc pas dans ton bon sens ?

Pisth.

Quoi ? Aucun Caporal ne t'a donné le passe avant ?

Iris.

Pardi, mon beau Monsieur, je n'ai que faire que l'on me donne le passe avant.

Pisth.

Tu prétends donc ainsi passer tranquillement par une ville étrangère, et traverser impunément ce vaste chaos ?

Iris.

Il faut bien que les Dieux passent par-là, puisqu'il n'y a pas d'autre chemin.

Pisth.

Je ne sais, s'il y en a d'autres ; mais je sais bien qu'ils ne passeront pas par celui-ci. Tu nous as fait une insulte, et ton supplice en sera la punition. Tu mourras.

Iris.

Je suis immortelle.

Pisth.

N'importe ; c'est fait de toi. Il me semble que nous serions bien malheureux, si régnant sur tous les autres, nous étions impunément insultés par vous autres Dieux, et si vous n'appreniez pas qu'il faut enfin céder à ceux qui valent mieux que vous ? Dis-moi un peu : où navigues-tu avec tes ailes ?

Iris.

Moi ? Je vais dire aux hommes, de la part de mon père, de sacrifier aux Dieux de l’Olympe,

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502

X

(a) L'un des géants.

f°66

d'égorger des victimes sur leurs autels, et de remplir les places de fumée que produit la graisse enflammée.

Pisth.

Que dis-tu ? À quels Dieux ?

Iris.

Belle demande ! À nous qui habitons dans le ciel.

Pisth.

Êtes vous donc des Dieux ?

Iris.

Est ce qu'il y en a d'autres ?

Pisth.

Les hommes n'ont plus maintenant d'autres Dieux que les oiseaux, qui sont seuls désormais à qui il faut sacrifier.

Iris.

Pauvre insensé ! N'excite point la colère des Dieux, de peur que le hoyau vengeur de Jupiter ne reverse de fond en comble ta damnable race, et que la foudre effroyable n'enflamme ta maison, et ne réduise ton corps en cendres.

Pisth.

Ecoute. Crois-moi ; ne fais point tant de bruit. Tiens-toi là en repos. Voyons un peu. Me prends tu pour quelque sot de LidyeLydie, ou de Phrygie, que tu puisses épouvanter par tes grands mots ? Apprends, ma belle amie, que si Jupiter me fâche, je ferai porter le feu jusques dans son palais par les aigles ; et je lui enverrai jusques au ciel plus de six mille oiseaux-tigre qu'on nomme Porphyrions. Il peut n'avoir pas oublié la peine que lui fit un seul homme (a) de

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503

ce nom. Et toi, si tu me mets en colère, toi qui n'es que sa servante, je te ferai voir, à sa barbe, que pour être vieux, je n'en suis pas moins redoutable.

Iris.

Puisses tu crever, avec tes insolents discours.

Pisth.

Tu ne t'en iras pas ? Et vite, et vite.

Iris.

Va ; mon père saura bien réprimer ton insolence.

Pisth.

Va t'en ailleurs faire peur à de plus jeunes que moi.

Le chœur.

Nous défendons aux Dieux, fils de Jupiter, de passer par cette ville ; et aux mortels, de leur envoyer par ici aucune fumée, ni aucune vapeur de sacrifice.



Pisthétaire. Un hérault.Pisth.

Il est étonnant que nous ne voyions point revenir le hérault que nous avons envoyé vers les hommes.

Le hérault.

O ! Pisthétaire ! o ! l'homme sage ! O ! l'homme heureux ! Trois fois heureux ! faites moi faire silence.

Pisth.

Que dis-tu ?

Le hé.

Tous les peuples en récompense de ta sagesse, te mettent sur la tête cette couronne d’or.

Pisth.

Je la reçois volontiers. Mais d'où vient qu'ils me font tant d'honneur ?

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504

f°67 Le hé.

Sage fondateur d'une ville aérienne ! Sais-tu à quel point les hommes t'honorent, et combien de gens aspirent au bonheur de vivre ic ici ? Avant que cette ville fût bâtie, chacun admirait les Lacédémoniens ; c'était une fureur ; il n'y avait personne qui n'affectât, à leur imitation, de nourrir une grande chevelure, de mourir de faim, d'être malpropre comme Socrate, de porter des bâtons pesants. Mais à présent c'est la fureur des oiseaux qui est en règne. On prend plaisir à les imiter en tout. Premièrement, aussitôt qu'un chacun est sorti du lit, ils volent, comme nous, dès le point du jour, à la mangeaille, ils se perchent sur les cordages, comme nous sur les branches ; enfin la rage s'y est mise, de telle sorte, qu'il y en a quantité qui ont pris des noms d'oiseaux. Il y a un cabaretier boiteux, qui s'est nommé Perdrix ; Ménippe la maquignon, s'appelle l'Hirondelle ; Opunée, qui n'a qu'un œil et un grand nez, s'appelle Corbeau ; Philoclès, l'Alouette huppée ; Théagène, l'Oison ; Lycurgue, l'Ibis ; Chéréphon, la chauve-souris ; Syacusius, la Pie, et Midias, la caille, à cause qu'il ressemble à ce qu'on appelle la caille battue dans un jeu d'enfant. La passion qu'ils ont pour les Oiseaux leur fait chanter à tous des chansons où il est parlé d'Hirondelle, de Colombe, d'oie, de pigeon ; en un mot, tous les airs où il est fait mention d'ailes ou de plumes. Voilà ce qui se passe là bas. Je n'ai qu'une chose à ajouter, c'est qu'il en viendra

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505

ici plus de dix mille pour demander des ailes et des griffes ; ainsi vous n'avez qu'à en faire bonne provision.

Pisth.

Pardi, nous les contenterons. Va t'en vite remplir d'ailes et de plumes tout ce que nous avons de paniers et de mannes. Holà ! Garçon ; Qu'on apporte ici tout ce plumage. Je recevrai ceux qui se présenteront.



Le chœur. Pisthétaire.Le ch.

On appellera bientôt cette ville, une ville remplie d'hommes.

Pisth.

Laissez seulement faire à la fortune.

Le ch.

On soupire après ma ville.

Pisth.

Apportez vite ces paniers.

Le ch.

Quel avantage n'y a-t-il pas à l'habiter ? On trouve ici sagesse, plaisirs, bonne chère, et toutes les graces, avec l'agréable visage d'une heureuse tranquillité.

Pisth.

Que tu sers lâchement ! Ne te hâteras-tu pas ?

Le ch.

Qu'on apporte vite une manne remplie de plumes. Retourne en quérir une autre ; et toi fais marcher les paresseux à force de coups. En voilà un qui est lent comme un âne ; il faut le battre pour le faire marcher.

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506

f°68 Pisth.

Le coquin !

Le ch.

Arrange moi ces plumes par ordre ; les musicales à part ; les divinatrices d'un autre coté ; les maritimes ensembles. Après cela nous les placerons à chacun par raison.

Pisth.

Par les vautours ! Tu es si lent, et si peu de service, que tu m'impatientes furieusement.



Un parricide. Pisthétaire.Le parricide.

Ah ! Que ne puis-je devenir un aigle, pour m'envoler sur les bords les plus reculés de la mer indomptable !

Pisth.

Il me semble que notre Envoyé ne nous a pas trompés ; car en voici un qui chante les aigles.

Le par.

Ah ! qu'il est doux de voler ! Je suis enthousiasmé de la police des oiseaux ; j'ai la fureur des oiseaux ; je vole ; je veux vivre avec vous et suivre vos coutumes.

Pisth.

Quelles coutumes ? Car il y en a de toutes sortes.

Le parr.

Je les aime toutes, mais particulièrement celle qui permet parmi vous au fils de mordre et d'étrangler son père.

Pisth.

Pardi, nous estimons que c'est une marque de courage, quand les petits battent leur père.

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507

Le parr.

C'est pour cela même que je veux m'établir chez vous, afin de pouvoir étrangler mon père et avoir tout son bien.

Pisth.

Mais nous avons aussi une loi gravée sur les tables d'airain des cigognes, et qui est fort vieille, qui porte, qu'après que le père a élevé ses petits, les petits devenus grands sont obligés de nourrir leur père.

Le parr.

Je ne suis pas mal avancé, après la peine que j'ai prise de faire tant de chemin, s'il faut que je nourrisse mon père.

Pisth.

Puisque tu as tant fait, que de venir jusques ici, mon enfant, j'aurai soin de toi. Je vais t’équiper en Oiseau orphelin, et je te donnerai un bon conseil pour ta conduite, tel que je l'ai pratiquée autrefois quand j'étais à ton âge. Laisse ton père en repos, et ne le frappe point. Tiens, prends-moi cette plume de coq et ces éperons, avec cette crête fais toi soldat, et gagne ta solde pour te nourrir. Laisse vivre ton père, et puisque tu as du courage, envole toi du coté de la Thrace, et y fais la guerre.

Le parr.

Par Bacchus ! Tu parles à merveille ; je ferai ce que tu me conseilles.

Pisth.

Tu feras un homme d'esprit.



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508

69

?

Cinésias. Pisthétaire.Cinésiaschantant.

Je vole au ciel avec des ailes légères, et je vole de côté et d'autre, en chantant sur différents modes.

Pisth.

Qu'est ce que ceci ? Il nous faudra bien des plumes.

Cin.

D'un courage intrépide, mon corps se porte vers ces lieux.

Pisth.

Salut à Cinésiaspoètede tillau. Que vient faire ici ton pied tordu ?

Cin.

Je veux devenir un oiseau, un rossignol à la voix douce.

Pisth.

Cesse de fredonner, et dis moi ce que tu souhaites.

Cin.

Je demande que tu me donnes des ailes, afin que, m'élevant sur les nues, je puisse attraper des billevesées aériennes toutes neuves.

Pisth.

Est-ce qu'on pêche des billevesées dans les nues ?

Cin.

Est ce que tu ne sais pas que c'est là que notre art prend tous ces beaux dithyrambes, que nous y trouvons pendus au croc ; ces belles pensées bleues qui n'ont point de corps ; ces idées ténébreuses qui font la pirouette par le secours de leurs ailes ? Tu le sauras bientôt.

Pisth.

Je ne pense pas.

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509

Cin.

Par Hercule ! Tu vas voir. Je parcours ces espaces aériens, remplis de fantômes de volatiles trotte-l'air, et d'oiseaux à long-cous.

Pisth.

Holà !

Cin.

Poussé du souffle des vents, je saute, je coule comme un vaisseau qui fend les flots.

Pisth.

Parbleu, j'arrêterais bien ta course.

Cin.

Tantôt je m'approche des humides plages et tantôt je me porte du côté d'où souffle Borrée et je trace dans les airs des sillons qui n'ont point de bornes. Mais tu m'as épousseté, bonhomme, d'une plaisante manière.

Pisth.

Si je me suis servi d'un plumail, ce n’était pas dans le dessein de te faire plaisir.

Cin.

Comment ? Oses-tu maltraiter un fameux auteur d'odes et de dithyrambes ; un homme que les tribus se disputent avec émulation ?

Pisth.

Puisqu'il faut que chaque tribu nourrisse un poète de dithyrambes, tu peux demeurer ici pour être celui de la tribu Cécropide des Oiseaux, comme le sot fils de Léotrophe l'est là bas de celle des hommes.

Cin.

Tu te moques de moi, sans doute ; mais n’importe ; sache que je ne te donnerai point de

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510

X

f°70

repos que je n'aie attrapé des ailes pour parcourir les airs.



Un dénonciateur. Pisthétaire.Le dénonciateur.

Quels oiseaux sont-ce que ceux-ci ? qu'est-ce que ce plumage de différentes couleurs ? Quelles sont ces hirondelles bigarrées de tant de plumes ?

Pisth.

Quel importun nouveau vient se présenter ici, en chantant je ne sais quoi ?

Le dénon.

O ! toi, hirondelle à longues plumes bigarrées !

Pisth.

Voici une chanson qui aboie après un habit ; car il me semble que comme une hirondelle ne fait pas le printemps, il lui en faudra plusieurs pour lui faire sentir la chaleur que son méchant habit ne lui donne pas.

Le dénon.

Qui est-ce qui a soin de donner des ailes à ceux qui se présentent ?

Pisth.

Il n'est pas loin d'ici. Mais que veux-tu ?

Le dénon.

Des plumes, des plumes, ne me fais pas d'autre question.

Pisth.

N'aurais tu pas envie de voler à Pellène, où l'on fait de si bonnes robes fourrées ?

Le dénon.

Non, par Jupiter ? Je suis un bon porteur d'exploits dans les Iles, qui fait le métier de dénonciateur.

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(a) On dit que les grues dans leur passage ont des cailloux dans le bec. Les hableurs de naturalistes en donnent deux raisons. La 1ere pour ne pas crier, et passer sans être aperçues. La 2eme afin que laissant tomber leur caillou, elles sentent par le bruit qu'il fera, si elles sont sur la mer ou sur la terre ; pour pouvoir faire halte et se reposer si elles sont sur la terre.

Pisth.

O ! l'heureuse profession !

Le dénon.

Je ne cherche qu'à faire des affaires à tout le monde ; et c'est pour cela que je demande des ailes, afin de faire plus à mon aise le tour des villes, pour y répandre mes significations.

Pisth.

O ! la belle chose, que de voir un homme ailé donner des ajournements !

Le dénon.

C'est de peur que les voleurs ne me dévalisent. Je reviendrai avec les grues, et au lieu de Cailloux (a) j'aurai nombre de procillons dans le bu ?

Pisth.

Mais quel infâme métier fais-tu là ? Tu es jeune et vigoureux, et tu t'amuses à inquiéter les étrangers.

Le dénon.

Que ferais je ? Je ne saurais bécher.

Pisth.

Il y a d'autres occupations honnêtes, qui peuvent faire subsister un homme de bien tel que tu le pourrais être, au lieu de t’amuser à faire des affaires à tout le monde.

Le dénon.

Point de conseils, je t'en prie ; donne moi seulement des ailes.

Pisth.

Je t'en donne, en te disant tout ceci.

Le dénon.

Donne-t-on des ailes par le discours ?

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512

X

f°71Pisth.

On n'en donne pas autrement.

Le dénon.

Et comment cela ?

Pisth.

N'as tu jamais entendu dans les boutiques de barbiers, des pères dire à de jeunes gens : ce Diitrephe, qui de tonnelier est devenu colonel de cavalerie, a si bien enjôlé mon fils, qu'il lui a donné des ailes et l'a fait cavalier ? Un autre dira : j'aime la tragédie, et quand j'y assiste, il me semble que j'ai des ailes et que mon ame s'envole.

Le dénon.

C'est donc par des discours qu'on donne des ailes ?

Pisth.

Je le soutiens. C'est par là que l'esprit s'élève et qu'un homme se met au-dessus des autres. Ainsi je veux user de ces moyens pour te donner des ailes par mon bon conseil, et te porter au bien.

Le dénon.

Je ne le veux pas, moi.

Pisth.

Que veux-tu donc faire ?

Le dénon.

Je ne déshonorerai pas ma race. Nous sommes tous dénonciateurs de père en fils. Donne moi vite des ailes légères, des ailes d'épervier, ou d'Emouchet, afin que je fasse ma tournée pour assigner je ne sais combien d'étrangers. Mon expédition faite, je reviendrai ici.

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513

(b) Les étrivières de Corcyre étaient passées en proverbe. Les Corcyriens étaient remuants, et avaient souvent besoin d'être châtiés.

/ toupie ?

X

Pisth.

J'entends. Tu veux qu'un pauvre étranger soit assigné avant que d'avoir seulement paru sur nos frontières.

Le dénon.

Tout juste.

Pisth.

Et pendant que le pauvre homme navigue encore, tu t'en reviendras chargé de ses dépouilles.

Le dénon.

Tu l'as deviné. En effet il faut se tourner plus vite qu'une trompe d'enfant, pour faire quelque profit.

Pisth.

A propos de trompe ; j'ai ici de quoi la fouetter, ce sont de bonnes plumes (b) de Corcyrefaites du plus vigoureux cuir.

Le dénon.

Hélas ! Ce sont des étrivières.

Pisth.

Ce sont les ailes que je te destine, qui te feront pirouetter comme une trompe.

Le dénon.

Hélas ! Est ce que tu ne me donneras point d'ailes ?

Pisth.

Retire-toi, coquin, si tu ne veux pas que je châtie ta méchanceté. Allons, qu’on emporte ces plumes.

Le chœur.

Nous avons, en volant, découvert des choses bien curieuses et bien étranges. Il y a quelque

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514

f°72

part un certain arbre sans cœur, appelé Cléonyme, qui n'est bon à rien, quoiqu'il soit assez grand, parce que le cœur lui manque. Dans la belle saison on lui voit pousser force branches de calomnie ; mais l'hiver, qu'on ne fait plus la guerre, il est chargé de boucliers comme de feuilles. D'un autre coté, dans le pays des ténèbres, bien loin, dans la solitude des lampes, où les hommes dinent avec les héros, et vivent avec eux jusqu'au soir ; il ne fait pas sûr de passer par là ; car si l'on y rencontre la nuit l'Oreste moderne fils de Timocrate, on sera en danger d'être dépouillé et battu, sur le dos, sur le ventre, et partout.



Prométhée. Pisthétaire.Prométhée.

Hélas ! Si Jupiter pouvait ne me point voir ! Où est Pisthétaire ?

Pisth.

Qui est ce qui se cache ainsi ?

Prom.

Ne vois tu pas quelqu'un des Dieux derrière moi ?

Pisth.

Pardi, non. Qui es tu ?

Prom.

Quelle heure est il ?

Pisth.

Quelle heure ? Il est un peu plus de midi. Mais qui es-tu ?

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Prom.

Serons nous bientôt entre chien et loup ?

Pisth.

Ah ! Que tu m'ennuies !

Prom.

Que fait Jupiter ? Fait il marcher les nues ? Fait il tomber de la neige ?

Pisth.

Va te promener.

Prom.

Il faut enfin que je me découvre.

Pisth.

O! mon cher Prométhée ! C'est donc toi !

Prom.

Tais toi ; ne crie point.

Pisth.

Qu'y a-t'il ?

Prom.

Tais-toi encore un coup, et ne dis point mon nom. Je serais perdu si Jupiter savait que je fusse ici. Je veux te dire tout ce qui se passe là-haut. Mais tiens bien ce voile sur moi, afin que je ne sois point vu des Dieux.

Pisth.

Ce n'est pas mal inventé. Tu es toujours Prométhée. Dépouille-toi, et parle hardiment.

Prom.

Jupiter est ruiné !

Pisth.

Depuis quand ?

Prom.

Depuis que vous avez bâti en l'air, personne

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f°73

ne sacrifie plus aux Dieux ; et depuis ce temps là, il n'a pu passer à nous autres Dieux le moindre filet de fumée. Enfin c'est un jeûne double, comme aux Thesmophories ; et les Dieux barbares, claquant des dents comme les Illyriens, jurent qu'ils feront la guerre à Jupiter, s'il ne fait ouvrir les marchés, et s'il ne fait venir à l'ordinaire les tripes sacrées.

Pisth.

Est-ce qu'il y a là-haut, parmi les Dieux, barbares et étrangers ?

Prom.

Il se fourre des ExessideExecestides partout.

Pisth.

Et comment appelle-t-on ces Dieux barbares ?

Prom.

Comment on les appelle ? Des Triballes.

Pisth.

Voilà de beaux Dieux de balle.

Prom.

Cela est vrai. Mais j'ai à te dire qu'il doit venir ici des ambassadeurs de la part de Jupiter et des Triballes, pour faire la paix. Si vous m'en croyez, vous ne la ferez qu'à condition que Jupiter rendra le sceptre aux oiseaux, et te donnera à toi la souveraine autorité pour femme.

Pisth.

Qu'est ce que cette créature là ?

Prom.

C'est une drolesse fort belle, qui pétrit la foudre de Jupiter, et qui a le maniement de toutes ses

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affaires ; qui dispose du conseil, des lois, des académies où l'on élève la jeunesse, du bureau des consignations, du salaire des juges, enfin qui est maitresse de tout.

Pisth.

C'est donc sa trésorière générale.

Prom.

Tu l'as dit ; et si tu peux l'avoir de lui tu peux te vanter que tu auras tout en elle. C'est pour cela que je suis venu t'en avertir, car j'aime toujours les hommes.

Pisth.

Il est vrai que tu es le seul des des Dieux de qui nous tenons la grillade.

Prom.

Et tu sais que je hais tous les Dieux.

Pisth.

Pardi, je sais de reste que tu es leur ennemi.

Prom.

Je suis à leur égard un vrai Timon. Mais afin que je me retire en sûreté, rends-moi mon voile. Si Jupiter jette les yeux sur moi de là haut, il croira que je suis cortège de quelque dévote de Cérès, d'une porteuse de corbeille.

Pisth.

Prends aussi cet escabeau, afin qu'il en soit d'autant plus persuadé.



Le chœur.

Dans le pays de ces gens qui se mettent tout le corps à l'ombre, hors un de leurs pieds il y a un étang sans eau, où Socrate mène les

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(c) La timidité de Pisandre avait passé en proverbe.

(d) Il appelle les philosophes : Chauvesouris, à cause de leurs études nocturnes.

(c) Les Thraces portaient leur gaban du côté gauche.

X

f°74

ames. Pisandre(c) s'y vint un jour pour chercher la sienne qui l'avait abandonné tout vivant. Il avait pour victime un jeune chameau, en guise d'agneau, dont après qu'il eut coupé la gorge, on vit sortir de la saignée, comme un autre Ulysse par l'antre de Polyphème, et rentrer par là dans le même instant, Chéréphon, la chauve-souris.(d)



Neptune. Triballe. Hercule. Pisthétaire.Neptune.

Voilà les murs de Néphélococcygie, où nous allons en ambassade. Que fais-tu, toi, avec ton marteau du coté gauche ? (c) Ne le tourneras tu pas de l'autre coté ? Va donc droit ; tu marches tout de travers. O ! gouvernement populaire ! Où nous réduis-tu ? Faut il que les Dieux aient fait choix d'un tel ambassadeur !

Triballe.

Doucement.

Nep.

J'enrage. Il n'est pas possible de voir un dieu plus barbare. Ami Hercule! Que ferons nous ?

Hercule.

Je te l'ai déjà dit, que je voulais étrangler le coquin qui a bâti ces murs entre les Dieux et les hommes.

Nep.

Mais, mon ami, nous sommes ambassadeurs pour la paix.

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(e) Grec : Rape moi du benjoin.

X

Hercule.

Et c'est pour cela même que j'ai encore une plus forte envie de l'étrangler.

Pisth.

Qu'on me donne la rape. Apporte du persil, donne moi du fromage ; souffle ces chardons.

Her.

Nous sommes trois Dieux, qui saluons monsieur.

Pisth.

(e)Hache-moi ce persil.

Her.

Quelles viandes sont-ce là ?

Pisth.

Ce sont des oiseaux séditieux qui s’étaient élevés contre les autres oiseaux et on les a punis.

Her.

Est-ce pour cela que tu les parsèmes de persil ?

Pisth.

Eh ! Bonjour Hercule, Qu'y a-t-il ?

Her.

Nous venons en ambassade de la part des Dieux, pour faire cesser la guerre, par une bonne paix.

Pisth.

Ah ! Il n'y a plus d'huile dans le pot.

Her.

Il serait bon cependant que ces oiseaux fussent bien arrosés.

Nep.

Nous ne gagnons rien, nous autres, à

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f°79

faire la guerre ; et vous, de votre côté, si vous aviez les Dieux pour amis, vous auriez toujours de l'eau de pluie dans vos mares, et tous vos jours seraient des jours alcyoniens ; car cela dépend absolument de nous.

Pisth.

Ce n'est pas nous qui avons commencé la Guerre. Cependant il y a des moyens de s'accommoder, si vous voulez vous rendre à la raison, nous n'avons rien à vous demander qui ne soit juste. Que Jupiter nous rende le sceptre et nous ferons la paix. À cette condition là j'invite Messieurs les ambassadeurs à diner.

Her.

Pour moi, j'y donne les mains.

Nep.

Quoi donc ? Vilain gourmand ! Tu consens de dépouiller ton père de l'empire ?

Pisth.

Y penses-tu ? Est-ce que le pouvoir des Dieux ne sera pas plus respecté quand les oiseaux règneront en bas ? Les mortels se dérobant à vos yeux à la faveur des nuesnues font de faux serments avec impunité. Mais si vous avez les oiseaux pour allliésalliés quand un scélérat aura juré Jupiter et le corbeau ; le corbeau s'approchant tout doucement du parjure, lui crèvera un œil ou deux.

Nep.

Par Neptune ! Il semble que tu as raison. Je me rends.

Pisth.

Et toi, que dis-tu ?

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Triballe.

Na bai sa treu.

Nep.

Vois-tu ? Il dit qu'il y consent.

Pisth.

Ecoutez encore avec un autre plaisir que nous vous ferons. Quand un homme, après avoir promis une victime à quelque Dieux, dira ensuite : les dieux attendront bien ; je m’en moque. Savez vous ce que nous ferons ?

Nep.

Dis-le moi, que je le sache.

Pisth.

Quand ce maraud-là sera à compter de l'argent, ou qu'il se sera dépouillé pour entrer dans le bain ; un épervier, volant secrètement auprès de lui, enlèvera la valeur de plus de deux moutons, et l'apportera au dieu que l'on aura fraudé.

Her.

Je suis encore d'avis qu'on rende le sceptre aux oiseaux.

Pisth.

Demandez au Triballe.

Her.

Penses-tu que le Triballe en soit faché ?

Triballe.

Saunaca bactari crousa.

Her.

Il dit que tu as raison.

Nep.

Si c'est votre avis, c'est le mien aussi.

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522

X

f°76 Her.

Eh ! Bien voilà le sceptre cédé, n'est ce pas tout ?

Pisth.

À propos. Je me souviens d'une autre chose. Je laisse Junon à Jupiter ; mais pour la souveraine autorité, cette jolie demoiselle, il faut me la donner pour femme.

Nep.

Tu ne veux point la paix. Retirons nous.

Pisth.

Que m'importe ? Hola ! Cuisinier, qu'on donne ordre à cette sauce douce.

Her.

O ! malheureux Neptune, où vas tu ? Faudra-t-il avoir la guerre pour une femme ?

Nep.

Que ferons-nous donc ?

Her.

Ce que nous ferons ? La paix.

Nep.

Ne vois tu pas que tout cela est contre toi ? Tu te fais tort à toi-même. Si Jupiter vient à mourir, après avoir donné cette femme, tu ne seras qu'un gueux. Ne sais-tu pas que Jupiter mort, tout ce qu'il a doit t'appartenir ?

Pisth.

Hélas ! le pauvre homme ! Comme on le trompe ! Viens un peu à moi, que je te dis deux mots. Ne vois tu pas bien que ton oncle se moque de toi ? Les lois ne permettent pas que tu hérites seulement d'un fétu

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(f) Flatterie pour Minerve. Elle n'était pas seule fille héritière. Mars et Vulcain étaient nés de Jupiter et de Junon.

(g) Cela s'appelait l'argent bâtard, qui consistait en 5 mines valant à peu près 150 ou en 100 dragmes selon Harpocration dans son dictionnaire des dix rhéteurs.

de tous les biens de ton père, puisque tu es bâtard.

Her.

Je suis bâtard ? moi ? Que me dis tu là ?

Pisth.

Pardi, et qu'es tu donc, toi qui as pour mère une femme étrangère ? Et Minerve à ton avis serait-elle seule héritière (f), si elle avait des frères légitimes ?

Her.

Mais au moins mon père ne me refusera-t-il pas en mourant le présent qu'on fait aux bâtards (g).

Pisth.

Les lois ne le permettent pas ; et ton oncle que voilà, qui te met présentement le cœur au ventre, sera le premier à s'y opposer et à s'emparer de ce qu'il pourra de la succession, en disant qu'il est le frère légitime du défunt. Et je te dirai là-dessus la loi de Solon : Le bâtard n'héritera point, tant qu'il y aura des enfants légitimes ; et s'il n’y a point d'enfants légitimes, les parents les plus proches auront la succession.

Her.

Je n'aurai donc point de part aux biens de mon père ?

Pisth.

Pardi, cela est bien sûr. Mais dis-moi un peu ; ton père t'a-t-il fait reconnaître à tes parents.

Her.

Pas encore ; et j'en ai toujours été surpris.

Pisth.

À quoi t'amuses-tu ? Tu regardes en haut, et

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f°77

tu en cherches vainement la raison. Crois moi, demeure avec nous. Je te ferai roi, et je te donnerai du lait de poule.

Her.

Il me semble que la demande que tu fais de la femme en question est juste ; et quant à moi, je te la donne de bon cœur.

Pisth.

Et toi, qu'en dis tu ?

Nep.

Je suis d'avis contraire.

Pisth.

Tout roule à présent sur Triballe ; ce sera lui qui décidera l'article. Que dis-tu ?

Triballe.

Li choli crante fame souférine, moi redonne elle à l'Osio.

Her.

Tu la donnes ?

Nep.

Non, ce n'est point cela ; il a dit qu'elle vole comme un hirondelle.

Pisth.

Si cela est, il faut la donner aux hirondelles.

Nept.

Je vois bien que vous voulez tous deux faire la paix. Puisque c'est votre avis, c'est à moi de me taire.

Her.

Tu vois qu'il consent enfin à tout ce que tu veux. Viens-t'en avec nous au ciel, pour y recevoir la femme que tu demandes, et tout ce qu'il y a.

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(h) Phanês dans l'Ile de Chio.

(i) Clepsydre, nom d'une fontaine salée et sans fond, qui était dans la citadelle d'Athènes ; d'autres disent à Argos.

(k) Les Sycophantes, ou dénonciateurs.

(l) On a expliqué dans la préface cette cérémonie du sacrifice.

Pisth.

Voilà de la viande apprêtée fort à propos pour le festin des noces.

Her.

Je demeurerai si vous voulez, et j'aurai soin de la faire cuire.

Nep.

Quelle gourmandise ! Pourquoi ne pas venir avec les autres ?

Hercule.

Je suis fort bien ici.

Pisth.

Qu'on apporte mon habit de noces.



Le chœur.

Dans un lieu que l'on appelle, Découverte(h), auprès de la fontaine qui fait comme l’horloge (i) d'eau dont on se sert à l'audience il y a une race maligne de gens (k) qui ont le vent dans la langue. Ils sèment avec la langue, ils moissonnent avec la langue ; ils vendangent avec la langue ; ils cueillent leurs figues avec la langue. Du reste ce ne sont que des barbares d'origine, des Gorgias, et des Philippes ; et c'est à ces Philippes qui ont le ventre dans la langue, qu'il faudrait faire ce qu'on fait aux victimes(l) dans l'Attique ; leur couper la langue à part.

Un messager.

Heureux en tout, plus que je ne le puis dire O ! trois fois heureux les oiseaux ! Recevez votre

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roi dans vos splendides maisons. Le voilà qui s'avance plus brillant qu'un astre qui reluit dans un palais doré. Le soleil même ne répand point de rayon plus éclatant que lui. Ah ! Qui pourrait exprimer la beauté de la femme qu'il amène ! Il branle avec majesté la foudre, le javelot ailé de Jupiter. Une odeur inexprimable se répand autour de lui. O ! les agréables parfums ! Un vent léger fait faire des évolutions merveilleuses aux volutes de la fumée. Le voilà lui-même. Ouvrez vos bouches sacrées, muses favorables  !



Le chœur. Pisthétaire.Demi-chœur.

Avancez, reculez, tournez, suivez, conduisez, volez autour de cet homme heureux et favorisé d'une fortune heureuse. O ! quelle beauté ! Que de charmes ! Que d'agrément ! Quel heureux mariage !

Autre demi-chœur.

La fortune favorise la nation des oiseaux, par le moyen de cet excellent homme. Recevez avec des cantiques nuptiaux, lui et son épouse royale.

Le chœur.

Les parques célébrèrent autrefois un mariage pareil, quand le grand Dieu qui occupe le trône suprême épousa Junon l'olympienne. L'amour aux ailes dorées, et qui a père et mère, conduisait les rênes du chariot sur lequel était porté l’époux Jupiter avec son heureuse

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épouse. Hymen ! Hyménée ! O ! Hymen !

Pisth.

Vos chants me font plaisir ; vos chansons me charment ; vos louanges me ravissent. Continuez ; appelez à votre secours les foudres et les éclairs de Jupiter qui font trembler la terre.

Le ch.

O ! lumière dorée des éclairs éblouissants ! O ! javelot immortel et enflammé de Jupiter ! O ! Tonnerres bruyants et orageux ! Ah ! Quelles secousses tu donnes à la terre ! C'est par toi que celui-ci règne présentement sur toutes choses et qu'il a pour épouse la souveraine autorité de Jupiter.

Demi-chœur.

O ! hymen ! O ! Hyménée ! Volatiles de toutes espèces, célébrez sur le parquet de Jupiter ces heureuses noces et les plaisirs du lit nuptial. Donne ta main, belle reine, prends mon aile et danse avec nous ; je te ferai sauter légèrement. La, la, la : Io pean. La, la, la, la. Victoire au plus grand des Dieux.



Fin des Oiseaux.