233
Cette comédie est une satire contre la chicane d’ Athènes et contre Cléon . Voyez dans la préface générale ce qu’on a dit du temps et du sujet de la pièce.
234
Que fais tu là, malheureux Xanthias ?
Xan.Je commence à cesser de veiller.
Sos.Tu veux gagner quelques coups de nerfs de bœuf. Ne sais tu pas bien quelle espèce de bête nous gardons ?
Xan.Je ne le sais que trop ; mais je veux roupiller un peu.
Sos.Voyons si nous en pourrions faire autant. Je sens je ne sais quoi de si doux qui se répand sur mes yeux.
Xan.Je pense que tu es fou. Qu’as tu ? Es tu en fureur ?
Sos.Non ; ce n’est qu’une petite vapeur bachique.
Xan.J’ai les mêmes vapeurs aussi. Un sommeil ennemi, profitant des ténèbres, est venu surprendre mes paupières, et j’ai fait un songe merveilleux.
Sos.Et moi tout de même ; j’en ai fait un le plus étonnant que j’ai jamais fait, mais dis-moi le tien auparavant.
Xan.J’ai cru voir un grand aigle qui fondait dans la place, et qui enlevait avec ses griffes un bouclier garni d’airain. Il s’est perdu dans
les nues ; et cet aigle, devenu Cléonyme , a laissé tomber le bouclier.
Sos.Il ne faut point aller au destin pour savoir ce que signifie ton songe. Tu n’as
qu’à demander au premier ivrogne
,
:
quel animal dans l’air, sur la
terre et sur l’onde, est ce qui sait mieux jeter son bouclier ; et tu verras si
l’on ne te répondra pas qu’il s’appelle
Cléonyme
.
Mais quel accident sinistre peut m’être annoncé par un songe pareil ?
Sos.Ne t’embarrasse point. Eh ! par tous les Dieux, quel grand malheur y a t-il qu’un homme jette ses armes ?
Xan.Mais dis-moi ton songe à ton tour.
Sos.Dame ! C’est un songe de conséquence et qui regarde tout l’état.
Xan.Dis-le donc, et te dépêche.
Sos.Je me suis trouvé dès mon premier somme au milieu de l’assemblée publique, et j’y ai vu une multitude innombrable de brebis ramassées, qui avaient chacune un bâton et une casaque, et j’ai vu quelles étaient haranguées par (a) une baleine vorace dont la voix ressemblait à celle d’un cochon qu’on grillerait tout vif.
236
(b) Autre trait de Cléon , jadis marchand de cuirs. ►
(c)
Le mot de graisse est en grec :
δῆμος δήμος et δῆμος
veut aussi dire le peuple. C’est ce qui fait que
Xanthias
répond dans le grec :
hélas ! c’est quelle veut séparer le peuple ! C’est à dire, le tenir
toujours éloigné des Lacédémoniens, dont
Cléon
avait fait rebuter les
ambassadeurs deux ans auparavant.
On a cherché un autre sens dans la
traduction, pour badiner sur le mot de
graisse, à l’imitation du grec sur celui de
démos.
►
(d) En grec, corax ce qui fait jeu avec coltax, flatteur. ►
Et Eh fi !
Qu’est ce donc.
Xan.Eh fi, te dis-je ; ne m’en parle pas davantage. Voila un songe qui sent le vieux (b) cuir pourri.
Sos.Bon ! Ce n’est pas encore tout. Cette affreuse et puante baleine tenait une balance et pesait de la (c) graisse de bœuf.
Xan.C’est qu’elle voulait voir le profit qui lui revenait d’avoir dégraissé le peuple.
Sos.J’ai vu de plus Théore assis à terre auprès du monstre, avec une tête de corbeau ; et Alcibiade qui me disait en grasseyant : Legalde, vois-tu ce fripon de Théole ? Il a une tête de (d) colbeau4, il flatte la bête pour attlapé de la glaisse.
Xan.Alcibiade avait raison.
Sos.Mais ne trouves-tu rien d’étrange dans cette métamorphose de Théore en corbeau ?
Xan.Rien du tout.
Sos.Quoi ? rien de mauvaise augure ?
Xan.Rien, te dis-je. Et tout ce que cela signifie, c’est que Théore deviendra la pâture des corbeaux.
237
(e) Caractère chronologique. ►
Et zeste. Ma foi, c’est bien dommage que je n’ai que deux oboles. Ce ne serait pas de quoi payer un si habile interpréteur des songes.
Xan.Laisse-moi dire à présent deux mots aux spectateurs. Messieurs ! Il ne faut point attendre de nous de ces contes de Mégare qui font pisser de rire ; ni de voir ici deux esclaves trainer un panier trainer plein de noix pour jeter aux enfants ; ni un Hercule que l’on fait diner par cœur ; ni que l’on repasse encore Euripide ; ni que Cléon , (e) dans l’état de sa fortune reçoive encore quelques traits nouveaux de satire de notre part. Ce que nous vous présentons est un petit dessin ingénieusement inventé ! Vous devinerez assez quel est notre but, et peut être trouverez-vous notre comédie passable, quoiqu’elle soit un peu plus modérée que ces comédies mordantes qui emportent la pièce. Vous voyez notre jeune maitre qui dort là haut sur la terrasse du logis. Il nous a commandé de garder son bonhomme de père qu’il tient enfermé à la maison. Il est malade, le bonhomme ; mais c’est une maladie que vous ne sauriez deviner, si nous ne vous la disons. Oh ! Devinez pour voir. Cet ancien archonte Amynias, fils de Pronape , que je vois là, dit que c’est l’amour des dés.
Sos.C’est qu’il en juge par lui-même.
Xan.Non, ce n’est point cela. C’en est bien le moitié ; car il y a de l’amour dans le mal du bonhomme.
238
Il y a trois vers omis. ►
(f) Petit coquillage de forme cônique, qui s’attache au rocher par sa partie charnue. ►
(g) Les sentences s’écrivaient sur des tablettes cirées. ►
Ne vois je pas là Sosie qui dit à Dercycle que c’est l’amour du vin ?
Sos.Ce ne serait point une maladie ; ou tout ce qu'il y a d’honnêtes gens ils
rature seraient malades.
Enfin vous ne devinez point. Taisez vous donc, si vous voulez qu’on vous le dise. Notre vieux fou de maitre est possédé de l’amour de la chicane. Il veut juger. Il ne respire qu’après le barreau et les sièges de l’audience . Il ne dort pas un moment tant que les nuits sont longues ; ou si le sommeil le surprend un instant, il ne rêve qu’à l’horloge de sable, et se réveille en serrant les trois doigts pour porter la ballote , comme ceux qui mettent ces grains d’encens sur l’autel à la nouvelle lune. Son coq chantait le soir, l’autre jour, le bonhomme dit qu’un plaideur, mal dans les affaires, avait corrompu par argent ce maudit animal, pour l’éveiller plus tard qu’à l’ordinaire. Il n’a pas plutôt soupé, qu’il demande ses socques et se rend à l’auditoire ; et là il l’attache à la colonne aussi ferme (f) qu’un berni tient au rocher ; il dort d’avance dès la veille. Dans sa mauvaise humeur, il menace tout le monde de la grande ligne qui fait passer le pas. Il est toujours farci de cire (g) comme une abeille ou un frélon, ses ongles en sont pleins ; et de peur que les ballotes lui manquent, sa maison est plus fournie de cailloux et de galets de mer, que le rivage le plus battu des ondes. Voilà quelle est sa manie. On a beau le précher sans cesse, il veut toujours aller juger ; c’est pourquoi nous le gardons. Tout et
239
barré, de peur qu’il ne nous échappe, et cela par ordre de son fils, qui perd sa
peine à l’exhorter à ne point s’inquiéter de manteau ni de procès. Bagatelles !
Le bonhomme veut toujours juger, bon gré, malgré. On lui a fait prendre le bain,
on l’a purgé ; il n’en est que plus fou. 1Son fils l’a
fait embarquer, l’a mené dans
l’ile d’Égine, et lui a
fait passer la nuit dans le
temple d’
Esculape
. Il n’était pas jour que le
bonhomme était à l’auditoire. Depuis ce temps là nous ne l’avons plus porté
nulle part. Mais pendant que nous le gardions avec le plus d’exactitude, il nous
échappait par les privées ; par des trous où l’on ne s’imaginait pas qu’un homme
pût passer. On a donc tout bouché, tout barricadé. Bon ! Il a fait des trous
dans les murs, et
y
ayant fiché des pieux d’espace en espace, comme
ces bâtons qu’on met pour percher les geais, il s’est fait une échelle pour
sauter dehors.
NoNous avons donc été contraints de
couvrir toute la cour de filets, afin d’empêcher notre prisonnier de nous
échapper, et nous passons les jours,
et
les nuits à le garder. Enfin
le bon homme s’appelle
Philo-Cléon
,
comme qui dirait Aime-Chicane ; et le fils,
Bdely-Cléon
, ou Fi-chicane. Si vous le voyez, vous
ne croirez jamais qu’un jeune homme de si bonne mine, qui a si bon air, et qui
parait si bien né, eut pour père un tel fou.
240
※ ►
Hou, Xanthias ! Hou, Sosias ! Dormez-vous ?
Xan.Ahi !
Sos.Qu’est ce ?
Xan.Voilà notre jeune maitre qui se lève.
Bde.Accourez vite l’un ou l’autre. Le bonhomme s'est fourré dans la cheminée comme un rat qui cherche à s’échapper. Regarde, toi, s’il ne se serait point caché dans quelque cuve de bain, pour s’en aller par le trou par où l’on fait écouler l'eau, et toi, fais sentinelle à la porte.
Xan. et Sos.On y va. Roi Neptune ! quel bruit entend-on dans la cheminée ? Qui va là ?
Philocléon.Je suis la fumée qui cherche une issue.
Bde.La fumée ? et de quel bois, s’il vous plâit ?
Phi.De figuier, je pense.
Bde.Il a raison ; c’est la plus insupportable de toutes les fumées. Mais vous ne sortirez pas. Qu’on me donne cette auge de bois pour boucher le trou. Rentrez vite, Monsieur fumée, et cherchez quelqu’autre invention. Que je suis malheureux d’avoir un père comme cela.
Xan.Camarade, prends garde à la porte. Le bon homme
241
(h) Les portes ouvraient sur la rue, et non en dedans. ►
(h) la pousse. Appuie ferme, en attendant que j’aille te seconder .2 Je crois que ce vieux fou veut ronger le verrou.
Phi.Que faites vous là, marauds ? ne vous retirerez vous pas ? Ce méchant Dracontide m’échappera ; je ne pourrai le condamner ; vous en serez cause, mon fils et vous vous repentirez. Car l’oracle de Delphes m’assurait autre fois que je mourrais, lors qu’un prévenu de crime échapperait à la rigueur de mes sentences.
Bde.Favorable Apollon ! détourne l’effet d’un si cruel oracle.
Phi.Je te prie, mon enfant, tire moi d’ici ; je crève.
Bde.Non, par Neptune , non, mon cher père ; je n’en ferai rien.
Phi.Je vas donc ronger le filet.
Bde.Bon ! Si vous aviez des dents.
Phi.J’enrage. Il faut que je te tue. Oui je veux tuer ce coquin. Qu’on me donne tout à l’heure une épée. Non, non ; il suffira d’une paire de tablettes.
Bde.Que veut-il faire ?
Phi.Je ne veux plus tuer personne ; je veux seulement
242
aller au marché vendre le grand baudet ; aussi bien nous voila au premier de la lune.
Bde.Je le vendrai bien moi-même ; ne vous embar r assez point.
Phi.Oh ! que j’entends bien mieux que toi ces sortes d’affaires.
Bde.Il a raison ; je pense que ce sera le mieux. Qu'on fasse sortir l’âne.
Sos.Voyez l’adresse du bon homme, et de quel prétexte il s’est avisé pour trouver occasion de s’en aller dehors.
Bde.Je l’ai bien senti venir ; il ne tient rien. Je vais faire sortir l’âne, et le mettre hors de la maison moi-même, afin que le bonhomme ne s’y attende plus. Tu pleures, mon pauvre baudichon ! est-ce à cause que tu seras vendu aujourd’hui ? Marche plus vîte. Tu souffles comme si tu portais quelqu’ Ulysse .
Xan.À propos d’ Ulysse ; ma foi, j’en vois là une espèce, qui s’est attaché sous le ventre du baudet.
Bde.Que dis-tu ? que je voie ?
Xan.Tenez ;
aije ai-je la berlue ?
Qu’est ce là ? qui es tu ?
Phi.Personne.
243
※ ►
(i)
Démosthène
voyant les juges peu
attentifs à son plaidoyer, leur conta un procès intenté à
Mégare au sujet de l’ombre d’un âne qu’un mégarien voulait faire payer à
un Athénien. Comme il descendait de la tribune, les juges lui
rer demandèrent : que fut il jugé ? Quoi, leur dit il,
vous êtes en peine de l’ombre d'un
âne âne, et vous ne
vous souciez pas de la vie d’un homme ?
►
De quel pays, s’il vous plait ?
Phi.D’ Ithaque, du quartier de l’échappatoire.
Bde.Monsieur Personne, puisque personne y a, vous avez perdu votre peine. Tirez, ôtez
tout cela. Voyez un peu de quoi c’était avisé ce vieux madré ? Il me semble voir
la
bette bête poulinière de quelque vieux
sergent
,
accompagné de son poulain qui la tette.
Battons-nous donc, puisque vous ne voulez pas me céder.
Bde.Et sur quoi nous battre ?
Phi.Ne sais tu pas le proverbe ? (i) Sur l’ombre d’un âne ?
Bde.Qu’il y a de méchanceté dans cette tête là ?
Phi.Il n’y a rien que de bon, maraud ; et tu le saurais, si tu avais l’esprit de goûter ce que c’est que la chicane, les lois, et la justice.
Bde.Faites rentrer l’âne et le seigneur Personne aussi.
Phi.Vengez-moi, mes chers confrères les juges ; venge- moi, fameux Cléon .
Bde.Criez là dedans tant qu’il vous plaira. Qu’on ferme la porte. Pousse le verrou. Et toi, roule ce gros mortier, pour appuyer la barre.
244
(k) Ville de Thrace, qui abandonna les Athéniens pour se joindre aux Lacédémoniens. Thucid. L. 4. ►
Ouf ! D’où m’est tombé ce platras ?
Sos.C’est quelque rat, qui l’aura détaché pour se faire un passage.
Xan.Un rat ? Ma foi, je pense
plutôt
que c’est
plutôt le bonhomme qui se coule sur les tuiles.
Tu as raison. Je le vois. Je pense que ce vieux fou va s’envoler comme un oiseau. Et vite les filets. Chou. Chou. Chou. Parbleu, j'aimerais mieux avoir à garder une ville prête à faire défection, comme (k) Squione, que ce méchant vieillard.
Xan.À présent que nous l’avons rechassé au dedans et qu’il ne peut plus nous échapper, si nous dormions un petit quart d’heure ?
Bde.Il n’est pas temps de dormir, maraud, ne sais-tu pas bien que les vieux camarades du bonhomme vont bientôt passer, et l’appelleront à leur ordinaire ?
Xan.Bon ! Il n’est pas encore jour.
Bde.Je trouve, moi, qu’ils tardent beaucoup. Ils ont toujours coûtume de me réveiller à minuit par leurs vielles chansons, dont ils se servent pour appeler le bonhomme.
Xan.Eh bien s’ils y reviennent, nous les chasserons à coups de pierres.
245
(L) Ceux qui étaient commandés pour aller en faction militaire, faisaient provision de vivre pour trois jours. ►
※ ►
Il ne fait pas bon de les irriter. Ce sont de
vrais
vraies guêpes, qui entrent aussitôt en fureur et dardent leur aiguillon, en
bourdonnant d’une terrible manière. Ils sautent et pétillent comme des
étincelles de bois de châtaigniers.
Ne craignez rien. Je vous chasserai bien toutes ces guêpes, pourvu que les pierres ne me manquent pas.
Chœur de Vieillards conduits par des enfants qui portent des lampes.Avance, marche ferme. Qu’est ce donc,
Comias
, tu vas bien lentement. J’ai vu le temps que tu aurais
devancé le plus ardent lévrier. Maintenan [sic]2, le pesant
Carinade
irait plus vite que toi. Où est ce brave
Strymodore
? Où sont
Euergide
et
Cabès
? Où sont tous nos confrères de la judicature ? Ah ! Où est le
temps que jouissant d’une verte jeunesse, nous étions en garnison à
Bysance, toi et moi, et que marchant gravement la nuit,
nous dérobions la marmite de la bonne femme pour aller faire
la
pot-bouille
? Hâtons nous, mes amis. Il faut aujourd’hui
&
faire le
procès à
Laquès
.
C’est un homme riche, et par conséquent criminel4.
C’est pourquoi
Cléon
nous disait hier
(L)
de faire provision de colère pour
trois jours. Hâtons nous donc, avant qu’il fasse
qu’il
fasse
jour, et regardons de tous côtés, à la lueur de nos lampes s’il
n’y aurait point quelqu’un qui nous dressât des embûches.
246
※ ►
Mon père, prenez garde à cette boue.
Le ch.Cherche-moi quelque fêtu de terre, pour avancer la mèche de la lampe.
Un enfant.Ce n’est pas la peine ; je la tirerai bien avec les doigts.
Le ch.Comment, fripon ! la tirer avec les doigts ? L'huile est si chère ! tu me ruines.
L’enfant.Ah ! Dame, si vous accompagnez encore vos corrections de coups de poings et de soufflets, nous éteindrons les lampes, et nous en retournerons au logis. Après cela, il fera beauvous1 voir barboter dans le margouillis comme des canepetières.
Le ch.J’en ai châtié encore de plus grand. Voyez donc comme ces morveux raisonnent. Ouf. Il me semble que je marche dans la boue. Il est impossible qu’il ne pleuve pas quatre ou cinq jours de suite. Cela ne manque jamais quand le lumignon est ainsi chargé de crasse. Au reste, il n’y aura pas de grand mal qu’il pleuve un peu ; les biens de la terre ont besoin d’eau. Mais qu’est il arrivé au vieillard qui demeure dans cette maison, qu’il ne vient plus avec nous ? Il ne fallait point le trainer. C’était lui qui menait les autres en chantant quelque vaudeville du vieux temps ; car il aimait fort à chanter. Je suis d'avis
247
/du ?2
►
que nous nous arrêtions ici, et que nous chantions un peu, pour voir si nous ne pourrons point l’attirer dehors. D’où vient que nous ne trouvons plus ce vieillard à sa porte ? Est-ce qu’il ne nous entend plus ? a-t’il perdu ses socques ? S’est il heurté le bout du pied ? n’aurait il point la goutte ou quelqu’autre incommodité ? Il était si vif ! C’était le plus acariâtre de tous tant que nous sommes, et le seul qui ne se laissât jamais persuader. Les plus humbles supplications le trouvaient toujours insensible. Il regardait fixement la terre ; et : Serviteur, disait-il aux suppliants ; vous feriez aussitôt cuire un caillou. N’aurait-il point de chagrin de l’accusé qui nous échappa l’autre jour, à force de nous dire qu’il aimait Athènes, et qu’il avait découvert tout ce qui se passerait à Samos ? Oui, ce bon vieillard est homme à en avoir la fièvre de douleur. Mais c’est assez demeurer au logis. Venez, notre cher compagnon de jugerie ; ne vous laissez point ainsi ronger au chagrin. On doit nous amener un de ceux qui ont habité la Thrace. Il est gras, et bon à mettre au pot ; ce sera un friand morceau pour vous et pour nous … allons, mon fils ; marche, marche.
L’enfant.Mon cher père ! Si je vous demandais quelque chose, me le donneriez vous ?
Le ch.Eh ! Qui en doute, mon cher poupon ? Tu n’as qu’à parler. Veux-tu que je t’achète des osselets ?
L’enf.J’aimerais encore mieux des figues, mon cher
248
papa ; cela est bien plus doux.
Le ch.Et zeste. C’est pour tonnez, ma foi ! Dusses-je être pendu, faute de cela tu n’en auras point.
L’enf.Eh ! bien, je ne vous conduirai plus aussi.
Le ch.Mais, mon enfant, il faut entendre raison. Des trois oboles qu’on nous donne par jour pour nos épices et vacations, il en faut mettre une en farine, l’autre en bois, et l’autre en provisions de cuisine. Et tu veux encore des figues ?
L’Enf.Mais, mon cher papa, si l’Archonte ne vous fournissait donc chaque jour des procès à juger, nous serions en danger de diner par cœur et de souper de même ? La république n’a-t elle d’autre ressource pour vous faire vivre que ces trois oboles ?
Le ch.Je n’entre point là dedans, mon enfant ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que, point de procès, point de baffre ; nous ne vivons plus que d’épices.
L’enf.O ! mère malheureuse et déplorable ! Ne m'avez vous donc mis au monde que pour n’y vivre que de chicane et de procès ?
Le ch.O ! Dieux ! peut on souffrir des enfants si sots ?
L’enf.Hélas ! Hélas ! il ne nous reste donc en partage que la liberté de pleurer !
249
(m) Eschine fils de Sellus , pauvre et fanfaron d'où l’on avait fait le proverbe Selliser, pour dire se vanter avec peu de fondement. ►
Mes amis ! Il y a longtemps que je vous écoute par le petit trou, et que je sèche d’ennui. Je ne puis chanter avec vous. Que ferais-je bien ? Je suis exactement gardé. Mais n’importe ; il faut que je voie encore les armes ; que je porte mon suffrage, et que je fasse encore du mal à quelqu’un. O ! Grand Jupiter , lance la foudre et change moi du moins, en fumée dans l’instant. Fais moi devenir aussi vain que le pauvre (m) et glorieux Eschine2, aussi léger que Proxéniade . Aie pitié de ce que j’endure ici. Je te demande en grace un éclat enflammé de ton brulant tonnerre, qui me réduise en cendres ; après cela souffle moi dans quelque plat de sauce toute chaude. Ou, du moins, si je ne puis espérer cette grace de toi, change moi en cette table de pierre sur quoi on compte les ballottes qui décident de la vie et de la fortune de ceux qu’on juge.
Le ch.Qui est-ce donc qui t’enferme ainsi ? Dis le nous ; tu le diras à tes amis.
Phil.C’est mon fils, ne criez point. Chut, il dort, baissez le ton.
Le ch.Mais quelle raison, quel prétexte a t il, pour te retenir de cette sorte ?
Phil.Il ne veut pas me permettre de juger, ni de mal faire ; il veut que je fasse bonne chère, et que je me divertisse. Il ne me plait pas à moi.
250
Est ce que l’on contraint ainsi le monde ?
Phil.1Je vous dis qu’il faut que ce maraud là ait conspiré contre la liberté publique.
Le ch.Profite maintenant de l’occasion, et cherche dans ton esprit le moyen de descendre ici.
Phil.Trouvez le
pour vous mêmes, si vous le pouvez ; car
je meurs d’envie d’aller juger avec vous.
N’y a-t il point quelque trou dans les murs qu'on puisse agrandir, et s’y couler couvert de haillons comme ce roi plein de ruses qu’ Homère a célébré ?
Phil.Tout est bouché. Il n’y a pas de trou à passer seulement un cosson. Voyez ce qu’on pourra faire ; mais il n’y a ni trou, ni boulin.
Le ch.Souviens-toi du temps que tu étais dans le service, que tu volais les broches
toutes garnies de rots, et te laissais ensuite couler du haut des murs d’en bas,
chargé de ta proie. Il me semble que c’était du temps de la prise
dl de
Naxos sous
Pisistrate
.
Je m’en souviens de reste ; mais de quoi cela me sort il ? J’étais jeune en ce temps là, j'avais de la force, personne ne me gardait, et je savais fuir. Mais à présent on a mis des sentinelles sous les armes, qui m’observent sans cesse. En voila deux, surtout qui ne me
251
perdent point de vue. Ils sont armés de broches, et me gardent comme un chat qui voudrait dérober quelque chose au crochet.
Le ch.Tâche pourtant de trouver quelqu’invention, car il commence à faire jour.
Phil.Je n’en trouve pas de meilleur que de ronger les filets, avec la permission de la Déesse de la chasse.
Le ch.C’est fort bien dit et en homme qui ne veut rien négliger pour se procurer la liberté. Courage ; appuie fortement la machoire.
Phil.C’en est fait ; le filet est rongé. Ne faites point de bruit. Prenons garde que Bdelycléon ne se réveille.
Le ch.Ne crains rien. S’il osait seulement souffler, je le ferais repentir comme il faut d’avoir osé manquer au respect qui est dû à dame Justice et dame Chicane. Pends le cable à la fenêtre, attache toi fortement au cable, et l’ame pleine de courage, laisse toi couler jusqu’à nous.
Phil.Mais si ces deux coquins s’aperçoivent de tout ceci, et que me prenant par la tête, ils m’attirent à eux comme on arrache le chaume ; que ferez-vous ?
Le ch.Nous les en empêcherons bien. Vraiment ! C’est bien à eux !
Phil.Je vais donc vous obéir. Mais au moins si
252
(n) Il y avait dans l’auditoire une statue du héros Lycus avec une cloison de cannes. C’était là qu’on distribuait les trois oboles aux juges ; là s’assemblaient les dix dénonciateurs. Là on faisait asseoir les condamnés ; et là aussi les juges pissaient. ►
j’y laisse la vie, ayez soin d’enlever mon corps et de m’enterrer sous les sièges de l’auditoire.
Le ch.Ne crains rien ; il ne t’arrivera aucun mal.
Laiss
Laisse-toi couler hardiment, après avoir fait un petit bout de prière à tes
Dieux domestiques.
Seigneur
Lycus
(n)
! Héros voisin de ma maison, qui te
plais comme moi à voir les pleurs des condamnés qu’on fait asseoir aux pieds de
ta statue ! Sauve moi ; secours ton pauvre voisin et je te promets de ne plus
pisser et de ne plus péter contre les pieux qui entourent ta statue sacrée.
Holà ! quelqu’un. Qu’on se réveille.
Le valet.Qu’y a t’il ?
Bde.J’entends du bruit.
Le vaEst-ce que le vieillard nous échappe par quelque trou ?
Bde.Non. Mais le voilà qui s’en va par la fenêtre et qui se coule tout du long d’un gros cable où il s’est attaché.
Le vaO ! Le méchant vieillard ! Que veut il faire ? Je l’empêcherai bien de descendre.
253
Et vîte, dépêche toi de monter par ici. Donne lui sur le derrière de bons coups de ces branches d’oliviers, afin de le repousser d’où il est sorti, sans virer de bord.
Phil.O ! vous, qui avez le cœur à la chicane ! Secourez-moi. Où êtes vous Smyticion , Tisiade , Cremon et Pheredippe ? Paraissez. Délivrez-moi, avant qu’on m’ait faut rentrer par la fenêtre.
Le ch1.Qu’attendons nous à faire parâitre
[sic] cette colère qui nous anime, quand
on nous irrite
le le moins du monde, nous autres
Guêpes
?
Déploy
Déployons, déployons cet aiguillon pointu dont nous savons percer les
téméraires. Enfants ! Ramassez nos manteaux, et courez vite à
Cléon
lui dire tout ce qui passe ici, et
le prier de venir fondre sur un homme, ennemi de la ville et de l’état, sur un
malheureux qui doit périr, parce qu’il dit qu’il ne faut point
juger
juge.
Ecoutez, bonnes gens, et ne criez point si haut.
Le ch.Nous crierons de manière à nous faire entendre jusque dans les cieux, que nous n’abandonnerons point celui-ci.
Bde.Voilà qui est terrible ! C’est une véritable tyrannie.
254
(x) Flatteur du peuple, collègue de Cléon , et qui avait été envoyé en ambassade à Sitalcès. ►
(n)
Apparre Apparemment ils étaient garnis de
priapes comiques.
►
O ! Ville ! O ! Théore (×) ennemi des Dieux ! O ! vous qui avez coutume de nous flatter chaque jour. Où êtes vous ?
Xan.Par Hercule ! Ils ont de terribles (n) aiguillons. Les voyez vous, mon maitre ?
Bde.C’est avec ces aiguillons qu’ils ont perdu en jugement Philippe fils de Gorgias .
Le ch.Nous t’en ferons tout autant. Approchez vous tous, et vous tournez de ce coté ici. Dressez vos aiguillons contre ce malheureux. Et qu'une triste expérience lui fasse connâitre quel essaim de guêpes il a irrité.
Xan.Voici une espèce de combat qui me fait peur. Ces terribles aiguillons me font frémir.
Le ch.Laisse aller ce vieillard ; sinon je te puis bien assurer que tu envieras le bonheur des tortues d’avoir la peau si dure.
Phil.Courage, mes confrères, courage ; fondez sur ces malheureux ! Plantez leur vos aiguillons dans le derrière, dans les yeux ; piquez leur les doigts.
Bde.À moi, Midas , à moi Phrygion , à moi Masyntias ; accourez tous ; tenez moi bien cet homme, et ne le laissez point aller. Sinon comptez que vous n’aurez à diner que les fers les plus pesants. O ! quel bourdonnement !
255
Quel bruit ! Il me semble que j’entends péter au feu des figuiers.
Le ch.Si tu ne laisses aller cet homme, tu sentiras la force de nos aiguillons.
Phil.O ! Cécrops , héros fameux, dont les pieds finissent en serpents ! Me laisseras tu donc réduire ainsi en esclavage par des hommes barbares, par des ingrats à qui j’ai appris à tirer quatre grands pains d’un boisseau ?
Le ch.Il faut avouer que les vieillards sont bien à plaindre ! Voyez comme ils font violence à leur vieux maitre, sans lui savoir gré des surtout de peaux, des vestes, des chapeaux de peau de chien dont il a eu soin de les couvrir pendant l’hiver, pour les préserver du froid. Ils ne s’en souviennent plus, et n’ont point de respect pour ses vieilles socques.
Phil.Ne me laisseras tu pas, méchante bête ? Ne te souvient il plus que t’ayant trouvé qui dérobais des raisins, je te liai à l’olivier, et t’écorchai de manière à rendre ton sort digne d’envie ! Et toi, ingrat que tu es ! Me laisseras tu avant que mon fils revienne ici ?
Le ch.Ils seront punis l’un et l’autre, et tout à l’heure ; ils éprouveront quelles gens nous sommes, et quelle colère anime notre justice et notre vengeance !
Bde.Frappe, frappe, Xanthias et chasse ces guêpes
256
d’autour de la maison.
Xan.Je fais de mon mieux. Mais toi, Sosias, sers toi de la fumée pour donner la chasse à ces mouches.3
Sos. avec de la paille allumée.Fuyez, fuyez importunes guêpes. Donne du bâton.1
Xan.Et toi, porte la paille allumée jusques dans les yeux du vieil Eschine fils de Selarte . Oh ! Oh ! nous vous ferons enfin faire retraite.
Demi-chœur.2N’est il point fâcheux de voir ainsi traiter de pauvres gens ? C’est une tyrannie. Prétends tu donc, jeune glorieux, plus ennemi du peuple qu’ Amynias , renverser, sans raison, les lois établies depuis si longtemps, et régner seul dans cette ville ?
Bde.Sera-t-il permis de raisonner avec vous sans bruit et sans vacarme ?
Le ch.Raisonner avec toi, tyran, ennemi du peuple, partisan de Brasidas et des Lacédémoniens, que tu imites jusques dans ta longue chevelure ?
Bde.J’aimerais mieux, parbleu, me séparer pour toujours de mon père, que d’avoir tant de maux à souffrir.
Le ch.Oh ! Que tu n’en es pas encore où tu penses ! Le beau du jeu sera quand l’accusateur fera le récit de tes crimes et nommera tes complices.
257
Je vous conjure, au nom des Dieux, de vous retirer et de me lasser en paix. Voulez vous que nous passions le jour à battre et à être battus ?
Le ch.Nous n’en ferons rien, tant qu’il nous restera des forces. Quoi ? Nous épargnerions un conspirateur qui aspire à la tyrannie ?
Bde.N’entendrai-je donc jamais autre chose que tyrannie et conspiration ? Vous avez toujours ces mots à la bouche sans qu’il es soit question. Les places, les maisons ne retentissent que de ces mots odieux, quoiqu’il n’ait été question ni de conspiration, ni de tyrannie depuis plus de cinquante ans. Voit on quelqu’un au marché qui rebute des merlans pour acheter des bars ? La marchande de merlans s’écrie aussitôt : Voilà un homme qui aspire à la tyrannie. Si un homme demande à acheter de l’oignon pour assaisonner son poisson, l’herbière qui vend l’oignon, lui dit : Pensez vous donc, monsieur, à vous faire tyran de cet état, et croyez vous qu’ Athènes ne soit au monde, que pour vous procurer des friandises ?
Xan.Et moi, j’allai l’autre jour trouver une fille de la petite vertu, sur le midi, pour passer un quart d’heure avec elle. Je la priai de se mettre dessus. Elle me dit : Cela s’appelle : le faire à la royale.
Bde.Ils se sont fait une habitude de ces sortes d’accusations.
258
Y a t’il rien de plus impertinent, que de me voir traiter de conspirateur, pour avoir voulu retirer mon père de cette vie misérable qu'il passe à se lever avant jour, courir à l’audience, aimer à voir calomnier les autres, se plaire à les condamner au gré de certaines gens ; pour le faire vivre dans l’abondance et les plaisirs ?
Phil.Et c’est avec justice, malheureux. Tous ces plaisirs et cette abondance, je les estime moins qu’un fêtu, en comparaison de ce que tu veux m’oter. Oui, je préfère un petit procillon1 à l’étuvée entre deux plats, à tout ce qu’il y a de plus délicat à la poissonnerie.
Bde.C’est un effet de la mauvaise habitude. Mais si vous voulez m’écouter
tranquillement, je prétends vous convaincre que vous êtes dans
l’err
l’erreur
.
Je suis dans l’erreur, quand je veux juger ?
Bde.On se moque de vous ; si vous ne le savez pas. Et qui s’en moque ? Des gens que vous adorez, ou peu s’en faut, pendant qu’ils vous traitent en esclave.
Phil.Cesse, mon ami, de m’appeler esclave, moi qui suis l’arbitre de la vie et de la fortune de tous les sujets de cet état.
Bde.Bel arbitre ! ma foi. Sachez que vous n'êtes que le ministre des faveurs de certaines gens.
259
Et puis, apprenez moi quels sont les revenus d’une si grande dignité ?
Phil.Oh ! c’est parler, cela. Je veux bien te l’apprendre, avec la permission de messieurs.
Bde.Et moi, je l’entendrai volontiers, à condition que je ferai voir que vous vous
trompez. Qu’on le laisse, et qu’on m’apporte une épée, afin que je me laisse
tomber dessus, si je ne remporte pas l’honneur de cette dispute. Ces Messieurs seront nos juges.1 Mais vous, de votre
coté, à quelle peine vous condamnez vous si vous refusez de vous
soum soumettre à leur jugement ?
Je consens de ne plus boire de ma vie de ce bon jus de la tonne.
Le ch.Il faut maintenant dire quelque chose de neuf, afin de faire honneur au corps dont tu as l’honneur d’être membre.
Phil.Qu’on m’apporte au plutôt une boite pour y mettre les suffrages.
Le ch.C’est ici une dispute de conséquence, et c’est à toi à prendre garde que ce jeune homme ne remporte l’avantage.
Bde.Je tiendrai registre, article par article, de tout ce qu’il dira, pour le réfuter avec tout l’ordre et toute la clarté possible.
260
Mais s’il remportait l’honneur de cette dispute, qu’en diriez vous ?
Le ch.Nous dirions qu’il ne faudrait pas donner un fêtu de tout le corps des vieillards ; que nous serions désormais un sujet de risée ; et qu’on aurait raison de dire de nous que nous ne serions propres qu’à porter des rameaux d’oliviers aux processions. Mais toi qui entreprends de faire voir l’empire dont nous jouissons, parle hardiment, et ne laisse rien à dire.
Je commencerai d’abord à faire voir qu’il n'y a point de roi qui soit plus roi qui nous. En effet, est il rien de plus heureux qu’un juge ? Est-il un animal plus glorieux et plus insupportable que lui, surtout s’il a les cheveux gris ? Dès le moment qu’il se tire du lit, il est attendu au barreau par de grands messieurs de quatre coudées de haut. Aussitot qu’il parait, ils lui donnent la main, cette main criminelle qui a dérobé les finances de l’état ; et d’un ton de voix lamentable, ils me crient : Aie pitié de moi, mon père, si jamais tu t’es trouvé en pareil état, ou si tu l’as mérité pour avoir fait quelques malversations, comme nous, dans les charges des finances ou de la guerre. Les marauds ignoreraient que je fusse au monde, si je ne leur
261
(o)
Le troisième jour de la
fête des
apaturies
s’appelait
couréotis, à cause que les pères et les mères amenaient leurs
enfants
courous,
devant devant les juges, et disaient : Cet
enfant est né d’une mère attique et a quinze ans ans. Pour s’assurer de
l’âge, les juges maniaient les parties génitales, parce qu’il fallait avoir
toutes ses pièces pour être ministre des choses sacrées. À 15 ans on
présentait les enfants
[illisible]
►
(le reste de la note manque) ►
avais déjà sauvé la vie une autre fois.
Bde.Marquons cet article. Les sollicitations et les requêtes.
Phil.Après avoir essuyé toutes les importunités de ces malheureux, et leur avoir fait assez bon visage pour leur donner à penser que je leur serai favorable ; j’entre, et sans me souvenir de tout ce que je leur ai promis, je prends plaisir à entendre tout ce que disent les accusés. Les uns vous font un portrait touchant de leur misère et de leur pauvreté. Nous savons bien qu’ils en disent plus qu’il y en a. D’autres nous font des contes pour rire. D’autres nous apportent quelque fable d’ Ésope , ou quelque bon mot propre à dérider le front des juges. Quelles flatteries ne leur dit on point ? Si tout cela manque de réussir, on amène les petits enfants, filles et garçons, qu’on nous présente pour nous émouvoir de compassion ; et les pères s’estiment heureux, si quelques larmes qui nous échappent leur sont garants que notre colère est un peu relachée. Ne m’appellera-t-on pas cela une vraie monarchie, de pourvoir ainsi se moquer des riches ?
Bde.Marquons encore celui-ci. Item le plaisir de se pouvoir moquer des gens riches.
Phil.Comptez vous aussi pour rien le plaisir de se pouvoir manier, à la fête des apaturies (o) , ce qui doit faire la ressource de la république ;
262
(p) La flûte des anciens n’était pas à bec, mais s’embouchait comme les flûtes allemandes. Et pour éviter les grimaces, ou pour faciliter l’embouchure, les joueurs de flûtes se bridaient. Minerve , inventrice de la flûte, la quitte, à cause de la grimace qu’elle faisait faire. ►
et d’examiner tout à loisir, des yeux et des doigts, s'il est vrai que les pères et les mères ne nous trompent point quand ils nous disent : Je vous présente un vrai citoyen d’ Athènes de l’âge de quinze ans ? Et s’il arriva que ce célèbre acteur Eagre eût quelqu’affaire à notre tribunal, pensez vous qu’il s’en allât absout, s’il ne nous récitait auparavant la plus belle scène de Niobé ? Si quelque joueur de flûte gagne son procès, il prend aussitôt sa bride (p) , et embouchant son instrument, il reconduit ses juges au son d’une belle marche. Si quelque honnête homme laisse par testament sa fille unique héritière de tous ses biens ; il n’est pas plutôt mort qu’à la première requête qu’on nous fait, nous envoyons promener le testament, et dame Justice, après avoir humé l’huitre, ne laisse à l’héritière que les écailles. Et tout cela, nous le faisons sans être sujet à révision. Y a t-il empire pareil au notre ?
Bde.Vous me dites là d’assez jolie choses, et je vous estime heureux en quelques unes. Mais je ne puis approuver l’huitre de l’héritière.
Phil.Et puis, quand il y a quelque affaire épineux que le grand conseiller du peuple n’a pu terminé, n’a-t-on pas coutume de livrer les accusés aux juges du Sénat ? N’avons nous pas des partisans de renom dans l’assemblée du peuple : un braillard d’ Evathlé un Culaconyme , tant d’autres, qui nous font toujours renvoyer les meilleures causes ? Enfin n’est ce pas un moyen sur de gagner son procès devant le peuple, d’avoir eu
263
un arrêt favorable du Sénat ? Cléon , ce redoutable Cléon , n’a du respect et du ménagement que pour nous. Il nous tient par la main, il chasse les mouches d’autour de nous. En as tu jamais fait autant pour ton père ? Ce fameux Théore , rhéteur aussi considérable qu’ Euphème , prend bien le soin de porter à l’audience un chaudron plein de noir à noircir, avec une éponge, et de frotter et de graisser nos souliers ? Regarde un peu de quels biens tu prétends me priver, en me détournant d’une occupation illustre que tu oses traiter d’esclavage.
Bde.Dites tout et n’oubliez rien. J’aurais mon tour, et vous ferai voir, comme dit le proverbe ; qu’à cul breneux rien ne sert le lavage.
Phil.J’oubliais le plus beau. Quand je retournais au logis avec mon honoraire, il faut
voir comme tout le monde me fait la cour pour l’amour de mon argent. Ma fille
vient, qui me lave les pieds et les parfume ; ensuite elle me saute au cou, et
me baisant amoureusement, elle
ta tâche de
m’escroquer avec la langue, les trois
oboles que j’ai
dans la bouche. Ma femme me flatte de son coté ; elle m’apporte un gateau tout
frais ; et s’asseyant auprès de moi : mange, mon fils, me dit elle, il est bon,
et est tout chaud. Quel plaisir pour moi ? Je n’ai que faire de m’attendre à toi
ni à ton pourvoyeur, pour dîner. Et du vin, si tu oublies de m’en verser, j’ai
toujours à coté de moi mon baudet de terre qui en a le ventre tout plein. Je le
prends par son glouglou, je lui fais faire
264
nargue à ton gobelet ; après quoi je le fais peter à ton nez haut et clair, à la grivoise. Est-il donc royauté pareille à la mienne ? Jupiter même ne devrait-il pas être jaloux de voir que nous partageons ses honneurs ? Ne dit on pas de nous, quand on nous voit dans le tumulte et dans l’agitation : Roi Jupiter ! Comme le Sénat tourne ! Et si je lâche quelques éclairs y a-t-il quelqu’un qui ne fasse en ses chausses de belle peur ? Je dis, les plus hupés tout les premiers. Toi même, tu me redoutes ; oui, par Cérès , tu me redoute. Pour moi, que je puisse périr si je te crains.
Le ch.Je n’ai jamais entendu personne qui s’expliquât avec plus de force et de netteté.
Phil.Vous me faites trop d’honneur. Mais ce fripon là croyait vendanger un clos qui n’était point gardé. Il savait pourtant bien que la raison était de mon coté, et que j’avais bec et ongles pour la défendre.
Le ch.Voyez comme il a épuisé tout ce qui se pouvait dire. Je me redressais en l’écoutant, et le plaisir que j’avais à l’entendre, me faisait imaginer que j’étais constitué juges dans les Iles des bienheureux .
Phil.Regardez comme il s’étend, et comme il balle. Il a des vapeurs, le pauvre jeune homme. Je te ferai voir bien du pays aujourd’hui.
Le ch.Tu n’as qu’à chercher de bonnes raisons pour faire ton apologie. J’ai une colère de dure digestion, quand on ne me dit rien qui me satisfasse. Trouve, si tu peux
265
une bonne meule tout fraichement repiquée, qui puisse briser mon indignation.
Bde.Je sais que c’est une entreprise des plus difficiles, qui passe mes forces, et qui est au dessus de la portée d’un comédien, de vouloir guérir un mal qui a jeté de si profondes racines. Mais, père Jupiter …….
Phil.Il n’est question ici ni de père, ni de Jupiter . Il faut me faire voir que je suis esclave ; si non, tu mourras aujourd’hui, dussè-je n’avoir jamais de part aux entrailles des victimes.
Bde.Écoutez donc, mon cher papa, et ne froncez point les sourcils. Comptez un peu, non pas avec vos jetons, mais par vos doigts, premièrement les revenus fixes que l’état tire des villes sujettes à notre empire ; des mines, des marchés, des ports ; tout ce qui se vend à l’enchère par Cléon1. Cela ne fait-il pas plus de deux mille talents par an ? Comptez maintenant ce qui revient de cette grosse somme à six mille juges, ou environ, que vous êtes, à ne prendre l’année qu'à dix mois, à cause des fêtes, des vacances, et des jours qu’on ne plaide point ; à trois oboles par jour à chacun, n’est ce pas cent cinquante talents par an ?
Phil.Je pense que ce n’est quasi que la dixième partie de la somme totale.
266
Vous avez raison. Et à qui va tout le reste, à votre avis ?
Phil.1À qui ? À tout ce peuple que j’aime et que je ne trahirai jamais.
Bde.Fort bien. Tout le profit est pour cette multitude qui vous maitrise, et à qui
vous vendez votre liberté pour quelques flatteries qui n'ont rien de solide. En
effet, pendant que vous vivez mesquinement de rognures de peaux, ces Messieurs
vos maitres recoivent des présents de certaines villes, jusqu’à des cinquante
talents, et font gronder le tonnerre sur les autres en les menaçant de les
renverser, si elles n’apportent rien. Aussi nos alliés, qui
voyentvoient que v2otre misère va jusqu’à sucer des paniers vides, n’ont aucun
égard pour vous ; pendant qu’ils apportent aux autres, à l’envi, des vases
précieux, du vin, des tapis, du fromage, du miel des épiceries, des oreillers,
des liqueurs, des habits, des couronnes, des colliers, des coupes, enfin toutes
sortes de richesses. Et vous, qui vous croyez maitre de tout, vous dominez, ce
vous semble-t-il, sur la terre et sur l’onde, vous ne trouvez pas qui vous donne
seulement une gousse d’ail.
Ce n’est pas vrai. Car
Eucaride
m’en
envoyait trois l’autre jour. Mais,
monstre montre
moi donc comme je suis esclave, car j'ai une grande impatience de
l’apprendre.
267
Est il donc un esclavage plus grand que le vôtre ? Quoi ? tous ces gens sont dans les charges, ils commandent tous, et ceux qui les flattent sont accablés de présents, pendant que vous vous contentez de trois oboles ? Le moindre goujat n’en gagne t-il pas autant au misérable métier qu’il fait ? Cependant pour une si chétive récompense vous trottez dès le matin. Morbleu, j’enrage, quand je vois venir ce petit morveux, le fils de Chérée , qui marche comme cela, d’une manière effeminée, qui vous vient dire : demain matin, à telle heure, ne manquez pas de vous trouver à l’audience ; le dernier venu n’aura point ses trois oboles. Et lui, le maraud qu’il est, il en a bien dix, entrât-il le dernier. Combien d’affaires s’accommodent par trafic entre l’archonte et l’accusé ? Qu’il se fait entre eux de bons marchés dont vous n’avez que du vent ! Et pendant qu’il se donne là de grosses sommes, vous baillez après le trésorier pour avoir vos trois oboles.
Phil.C’est donc ainsi qu’ils me passent la plume par le bec ? je ne sais plus où j’en suis. O ! que je sens de trouble et de chagrin !
Bde.Il ne tiendrait qu’à vous de faire comme les autres, et de vous enrichie en gagnant la faveur du peuple. Quoi donc ? avoir l’empire sur tant de villes, depuis le Pont jusqu’à Sardes, et mener une vie si misérable ! De tant de biens dont jouit l’état, n’en avoir
268
(q) Le médimne contenait 45 boisseaux. Le chénice était le demi boisseau et contenait de quoi faire quatre pains dont un pouvait nourrir un homme par jour. ►
(r) Dans une famine, les Athéniens obtinrent du froment de Psammetique roi d’Égypte . Ils chassèrent les étrangers qui se trouvèrent 4760 ; et il resta : 4240 citoyens. ►
(contradiction
après le mot :
promis)
►
pour sa part que trois oboles par jour ! Ne voyez vous pas qu’on ne vous donne vos gages, pour ainsi dire, que goutte à goutte, parce qu'on est bien aise que vous soyez toujours pauvres et cependant, pour si peu de choses qu’on vous donne, avec quelques flatteries qu’on y ajoute, vous êtes toujours prêts à vous jeter sur le malheureux qu’on vous donne à gouspiller. Vous me direz qu’il n’est pas possible de vous donner de plus gros gages. Eh ! Morbleu ! Nous avons mille villes sujettes à cet empire, qui nous paient tribut ; qu’on leur donne à chacune seulement vingt hommes à nourrir. Voilà vingt mille citoyens qui vont vivre dans l’abondance et les délices, comme le méritent les trophées qu’ils ont dressés dans la plaine de Marathon. Au lieu de cela, vous êtes comme ces yeux qui gagnent leur vie à cueillir des olives. Vous tendez la main à celui qui a le sac pour payer les journées.
Phil.Ouf ! je sens mes mains s’engourdir ; je ne puis plus tenir l’épée. Les forces me manquent.
Bde.Quand ils appréhendent quelque trouble, ils vous abandonnent l’ile d’Eubée, et vous promettent à chacun cinquante (q) médimnes, qui vous fourniront du pain pour 364 jours. Mais à quoi aboutissent ces belles promesses ? Quand on a chassé les étrangers de la ville (r) et supporté le reste des habitants, on vous donne un chenice d’orge, c’est à dire, tout juste la quatrevingt 4 seizième partie de ce que l’on vous avais promis , et de
269
※ ►
quoi vivre deux jours seulement. C’est pour cela que je vous ai enfermé au logis, dans le dessein de vous bien nourrir, sans que vous ayez besoin de vous attendre à ces affronteurs . En un mot, je vous donnerai tout ce que vous voudrez, excepté les trois oboles.
Le ch.Celui là certes avait bien raison qui disait : ne juge point avant que d’avoir entendu les deux partis. Car il me paraît que celui-ci dit beaucoup mieux que son père. Je ne suis plus irrité ; je m’apaise, et je n’ai qu’à jeter mon bâton. O ! vous, avec qui nous avons vieilli dans le métier, laissez vous persuader ; souffrez qu’un fils qui vous aime, vous fléchisse ! Ah ! Que n’ai-je quelque parent qui me voulût faire autant de bien ! C’est quelque Dieu favorable, sans doute, qui vous visite pour vous rendre heureux. Jouissez, jouissez des douceurs qu’il vous présente.
Bde.J’aurai soin de le nourrir, sans qu’il lui manque rien de ce qu’un vieillard peut
souhaiter. Il aura de
bonscou bons coulis, de
bonnes robes de chambre bien moëlleuses, des fourrures, quelque jeune tendron
bien joli pour le faire rire en lui frottant sa vieille caisse… Mais d’où vient
qu’il ne dit mot ? Est ce qu’il ne se rend pas encore ?
Il combat en lui-même son ancien penchant ; il a de la peine à se confesser vaincu ; mais vous verrez qu’il vous donnera les mains.
Phil.Hélas !
Bde.Qu’avez vous à soupirer ?
270
De grâce, ne me donne rien de tout ce que tu me promets. J’aime le genre de vie auquel je suis accoutumé ; j’aime à entendre crier l’huissier : qui est ce qui n’a pas encore donné de ballote ? Qu’il se dépêche. Je veux aller porter mon suffrage tout le dernier. Courage, mon ame. Mais qu’est il devenu ce courage ? Ne te reverrai-je donc plus, vénérable Sénat ? O ! Dieux ! n’aurai-je point le plaisir de juger un jour ce larron de Cléon ?
Bde.Au nom des Dieux, mon cher père, laissez vous persuader.
Phil.Que veux tu me dire ?
Bde.Demandez tout ce qu’il vous plaira, excepté une chose.
Phil.Qui est ?
Bde.Que vous ne jugerez point.
Phil.Et c’est cela seul que je veux. Non. L’enfer ne m’en ferait pas démordre.
Bde.Eh ! bien, puisqu’il faut absolument que vous jugiez, vous jugerez à la maison.
Phil.Je jugerai ici ? Et que jugerai-je donc ? Plait-il ? Est ce qu’on se moque de moi ?
Bde.Tout s’y passera comme au Sénat. La concierge
271
(+) Il y avait à Athènes neuf magistrats : un roi, un archonte, un polémarque ou capitaine général, et six préteurs ou Thesmothètes ; protecteurs des lois et des jugements. ►
(s) C'est comme qui dirait une poignée, parce que la dragme contenait six oboles, et les oboles, originairement, étaient de petites broches dont la poignée faisait la dragme. ►
※ ►
aura ouvert la porte en cachette ; aussitôt par arrêt elle sera condamnée à l’amende. Quand il fera beau, vous jugerez au soleil. Quand il fera de la neige ou de la pluie, vous verrez auprès du feu les procès par écrit. Quand il vous arrivera de vous lever tard, il n’y aura point de préteur (+) pour vous fermer le chanceau.
Phil.C’est quelque chose que cela.
Bde.Si quelqu’un est trop long dans son plaidoyer, vous ne serez pas obligé de l’entendre jusqu’au bout.
Phil.Mais comment juger une affaire
s el si elle n’est
bien mâchée ?
Vous verrez que vous les jugerez bien plus à votre aise.
Phil.Tu commences à me persuader. Mais tu ne me dis point qui me paîra mes vacations.
Bde.Ce sera moi.
Phil.Fort bien. Ce mauvais railleur de
Lysistrate
ne me fera plus de pièce pareille à celle de l’autre
jour. Il avait reçu une
dragme
(s)
pour nous deux. Il en fit la monnaie
à la poissonnerie, et au lieu de mes trois
ob
oboles, il me mit dans la bouche trois écailles
d’Esturgeon. Je n’en eu pas plutôt senti l’odeur, que je les crachai. Je me mis
à le tirailler.
272
Il me dit que j’avais un estomac d’autruche ; que je digérais l’argent ; et s’en alla avec de grands éclats de rire.
Bde.Voyez combien vous y gagnerez, à demeure.
Phil.Je ne sais pas trop. Mais voyons ce que tu feras.
Bde.Attendez-moi là. Je vais quérir tout ce qu’il faut.
Phil.Nous voici au temps de l’accomplissement de l’oracle qui avait promis aux Athéniens qu’un jour viendrait qu’ils jugeraient dans leurs maisons et que chaque habitant bâtirait dans son vestibule un petit tribunal.
Bde.Aurez vous encore quelque chose à dire ? N’ai-je pas là tout ce qu’il vous faut ? J'ai même plus fait que je ne vous avais promis, car voilà un pot de chambre que vous aurez auprès de vous, pendu à cette cheville.
Phil.C’est sagement imaginé. Aussi bien je souffre beaucoup à ma difficulté d’uriner.
Bde.Voilà aussi du feu, avec un pot de coulis, pour en humer de temps en temps.
Phil.Cela est à merveille. Je pourrai trembler la fièvre tout à aise auprès du feu, sans manquer de gagner mes vacations. Mais pourquoi ce coq ?
273
C’est pour vous réveiller, quand vous dormirez à l’audience.
Phil.Tout cela me plait fort. Mais il me manque une chose.
Bde.Et quoi donc ?
Phil.Il faudrait ici quelque statue de Lycus .
Bde.Eh ! Parbleu, la voilà.
Phil.O ! fameux héros ! qu’il est mal aisé de rien de voir qui ressemble mieux à Cléonyme .
Bde.Est ce à cause que, tout héros qu’il est, il est représenté sans armes ? Asseyez vous s’il vous plait. Plus vous tarderez à prendre séance, plus les causes retarderont.
Phil.Me voilà assis ; qu’on les appelle.
Bde.Quelle cause lui fournirons nous pour commencer. (║) (║) Qui est ce qu’il sait quelque désordre dans la maison ? Je me souviens que la servante de la cuisine a fait brûler un chaudron.
Phil.Attendez. Prétendez vous donc que je juge sans balustre ? Point de balustre, point de jugement.
Bde.Il est vrai que j’oubliais cela. Mais je vais en chercher. Ce que c’est que les vieilles habitudes !
274
(+)
Il y a eu des interprètes qui ont prétendu
que c’était ici un trait de satire contre
Lachès
général d’Athènes, qui ayant mené l’armée contre
l’armée
Théra en Sicile, fut corrompu par un présent de
fromages
. Son nom est déguisé
par dans
celui de
Labès
.
►
※ ►
※ ►
Peste du chien ! Au diable la bête. Pourquoi nourrir un animal comme cela ?
Bde.Qu’y a t il ?
Le valetEst ce que votre chien Labès ne vient pas de manger tout à l’heure un grand fromage de Sicile (+) dans la cuisine ?
Bde.Voilà une affaire criminelle tout à propos pour amuser mon père. Tu feras l’office d’instigateur .
Le valet.Non pas moi ; mais il y a un autre chien qui dit qu’il accusera Labès , si le préteur lui décerne action contre lui.
Bde.Va t’en. Amène les tous les deux.
Le valet.On le fera.
Phil.Qu’est ce là ?
Bde.Ce sont les claies de l’auge aux pourceaux faute de balustres.
Phil.Qu’importe ? Il suffit qu’on les tienne pour balustres.
Bde.Attendez. Il faut encore des tablettes.
Phil.Quel lambin ! Ne sera-ce donc jamais fait ?
Appelez une cause.
Bde.On y va. Mais à propos ; j’oubliais les boites.
Phil.Où vas tu si vite ?
Bde.Je cours chercher les boites.
Phil.Il n’est pas besoin. Voici un pot à puiser de l’eau, qui nous en servira.
Bde.Il ne nous manque donc plus rien qu’une horloge à l’eau.
Phil.Est ce que je n’en ai pas une dans ma culotte ?
Bde.Vous êtes heureux ! Vous trouvez sur le champ tout ce qu’il vous faut. Qu’on apporte du feu des branches de myrte (+) , et de l’encens, afin de commencer par l’invocation des Dieux.
Le ch.Nous joindrons volontiers nos vœux et nos prières aux vôtres, puisque vous avez si heureusement terminé vos différends.
Bde.Paix ! attention à la prière.
Le ch.O ! Apollon Pythien ! Donnez un heureux succès à cette entreprise, et faites la réussir à l’avantage de ces gens-ci et au nôtre. O ! Pean ! faites nous trouver le repos après tant d’égarements.
Bde.O ! Seigneur roi (+) , divinité voisine de mon vestibule !
276
recevez ce sacrifice ; répandez vos bénédictions sur mon entreprise ; amollissez les mœurs austères de ce vieillard ; mêlez un peu de miel parmi sa bile ; faites qu’il revienne plus humain, qu’il ait plus d’indulgence pour les accusés que pour les accusateurs, qu’il soit sensible aux prières des malheureux, que la compassion lui tire quelques larmes ; arrachez les orties de son humeur, et la rendez douce et traitable.
Le ch.Nous faisons la même prière, et nous nous sentons disposés à te favoriser,
puisque nous éprouvons que tu aimes véritablement le peuple plus qu’aucun autre
jeune homme de ton age.
S’il y a encore quelque juge dehors, qu’il entre au
plutot plus tôt, car dès le moment que l’on aura commencé à plaider,
nous ne laisserons plus entrer personne.
Est ce là l’accusé ? À quoi le condamnons nous ?
Le préteur1Or écoutez le libelle de maître Cydathénée , chien d’honneur, qui se rend partie contre Labès , autre chien du canton, d’Aixonne surpris mangeant tout seul un fromage de Sicile ; et conclut à la peine du carcan.
Phil.C’est le condamner à la mort, ou autant vaut, s’il est pris.
277
Voilà l’accusé qui se présente sur les faits et articles dont on le charge.
Phil.Le scélérat ! Qu’il a le regard fripon ! Il a beau remuer la queue, il ne me corrompra pas. Où est le chien Cydathénée ?
Le chien.Hau, hau, hau.
Bde.Voici l’autre aussi, qui ne lui cède point dans l’art d’aboyer méthodiquement, et de bien lécher les marmites.
Le hé.1Paix là ! Silence ! Asseyez vous. Et vous, montez à la tribune, pour plaider votre accusation.
Phil.Et moi, pour mesurer le temps, je vais remplir mon horloge à l’eau, de ce trait que j’avale à votre santé, Messieurs.
Le pré. (pour Cydathénée )Vous avez entendu, messieurs, par l’accusation que je viens de vous réciter, les crimes qu’a commis ce coquin de chien, et le tort qu’il a fait à toute notre petite république, en ravissant un beau fromage de Sicile ; qu’il a mangé tout seul, dans un coin où il a cru que son action détestable demeurerait ensevelie dans les ténèbres.
Phil.Pour moi, je ne puis douter qu’il ne l’ait
man mangé
; car je le vois qu'il vient de vomir je ne sais quoi qui sent le fromage. Le
fripon ! Et si je lui en avais demandé ma part, je gage qu’il n’aurait
278
?2 ►
pas voulu m’en donner.
Le pré.Il n’a jamais rien donné à personne.
Phil.Je le connais ; il est, sur l’article de la proie, plus chaud que mon coulis qui vient de me bruler.
Bde.Au nom des Dieux, mon père, ne le condamnez pas, avant que de l’avoir entendu.
Phil.Mais, mon ami, le fait est clair, il parle de lui-même.
Le pré.N’ayez pas, Messieurs, l’indulgence de l’absoudre. Il ressemble pour les mœurs,
comme pour le nom à celui de nos généraux que vous savez, qui prit tout seul et
an en cachette tant de fromage en
Sicile au lieu de prendre autre chose. C’est le chien de
tous les chiens qui aime le plus à manger seul. Il a tant rodé autour du
mortier
,
qu’il a dévoré tout le fromage des villes. Punissez le, messieurs, comme il ne
l’a que trop mérité. Aussi bien c’est trop de deux voleurs dans un seul bois.
Sinon, je vous jure que je ne me donnerai plus la peine d'aboyer.
Voyez le méchant homme de chien ! Le fripon ! Que t’en semble, monsieur mon coq ? Il fait signe que c’est un grand scélérat. Monsieur le préteur ! Hau ! Où est il ? Qu’il me donne le pot de chambre.
Le pré.Vous pouvez le prendre. Je vais appeler les témoins. Les témoins contre Labès ! Paraissez ; venez déposer contre lui. Voilà le plat, la cuillère, le couteau
279
? ►
le réchaud, la marmite, et tous les autres instruments de la cuisine. Mais vous pissez encore ! Ne voulez vous point passer aussi tout le reste du jour à faire du gros ?
Bde.Tais-toi ; c’en est assez. Il ne faut pas s’acharner sur les malheureux.
Phil.L’accusé n’a-t-il rien à dire pour sa défense ? Qu’il parle au plus tôt, et qu’il essaie de nous faire son apologie.
Bde.Il ne dit rien.
Phil.Il fait donc comme Thucydide fils de Milésias , qui fut si surpris de se voir accusé, qu’il lui en tomba une apoplexie sur la mâchoire.
Bde.Tirez ; laissez moi la place ; je vais lui servir d’avocat. Il est difficile, messieurs, que ce pauvre calomnié puisse répondre aux accusations et aux invectives de sa patrie. Mais il faut pourtant vous dire que c’est un bon chien, et qu’il n’en est point de meilleur pour chasser les loups.
Phil.C’est qu’il est voleur comme eux. Ils s’entre-entendent, comme larrons qu’ils sont.
Bde.Mais n’est il pas vrai qu’il n’a pas son pareil pour garder
son
un
troupeau ?
Qu’importe qu’il garde les moutons, s’il
280
※Il y a ici une phrase omise. /
Il y a ici plus
d'une chose
omise et les
►
personnages ne parlent pas
[?]
attribués
[?]
qui indiquent
[?]
.
~ ►
mange les fromages.
Bde.De plus, il nous défend, il garde la maison. En un mot c’est un bon chien, quoiqu’on en dise. Eh bien , il a fait un larcin ? Pardonnez lui une faute si légère. Il a mangé un fromage, dit-on. C’est qu’il n’a su faire mieux. Que ne lui apprenait on à jouer de la guitare ? L’oisiveté ne l’aurait pas induit à commettre un larcin.
Phil.Ne fallait il point aussi lui apprendre à écrire, pour lui donner moyen de s’excuser dans ses fautes ?
Le préteur.Daignez, je vous prie, monsieur, entendre nos témoins. Levez vous, couteau de cuisine. Déclarez haut et clair qui a mangé le fromage. ※
Bde.Il dit qu’il n’en sait rien, mais qu’il n’en a coupé que pour les gens du logis.
Phil.Il a menti.
Bde.Ayez pitié des malheureux. Ce pauvre Labès est un si bon chien. Il ne vit que d’os et d’arrêtes, il est toujours à la campagne pour la garde de nos troupeaux ; au lieu que son accusateur est un fainéant qui ne bouge d’ici ; qui épie tous ceux qui apportent ici quelque chose, qui les flatte pour en avoir sa part, et qui les mord, s’il ne lui donnent rien.
Phil.Qu’est ce donc que ceci ? Est il donc vrai que je me
281
(a) Il y avait deux capses, la première où l’on jetait des ballotes ou fèves solides ; et seconde où l’on en mettait des percées. La première capse se servait pour absoudre, et la 2eme pour condamner. ►
contradictoire vu le texte ►
laisse fléchir ? O ! Dieux ! Quelle nouveauté !
Bde.J’implore vos bontés pour Labès , ce pauvre Labès . Ayez compassion de lui, mon père ; ne le faites point périr. Où sont les enfants du criminel ? Venez, famille désolée ; attendrissez par vos gémissement et par vos pleurs……..
Phil.À bas, à bas ; virez les d’ici.
Bde.Nous nous en irons, puisque vous l’ordonnez.
Phil.Oui, aux corbeaux, qui vous tirent les yeux. Voyez donc ! Est ce que vous me croyez touché ; parce que j’ai pleuré ? C’est que j’ai avalé mon coulis trop chaud.
Bde.Serons nous donc mis hors de cour ?
Phil.Je ne répond de rien.
Bde.Laissez vous fléchir, mon cher père ; et prenez des sentiments d’humanité. Fermez les yeux et jetez la ballotte dans la boîte (a) qui sert à absoudre.
Phil.Non ; je veux l’autre, qui sert à condamner.
Bde.Il faut ici jouer des gobelets, (bas) changeons les boites. Tenez.
Phil.Est ce là la première ?
Bde.Oui, mon père.
282
Mettons donc notre ballote dans l’autre.
Bde.Le bonhomme a été trompé ; Labès est absous en dépit du juge.
Phil.Répandez les ballotes à terre, et voyons l’issue du jugement.
Bde.Vous voyez que le pauvre chien est absous. Ah ! mon père ! Mon cher père ! qu’avez vous ? Êtes-vous donc évanoui ? Vite de l’eau pour le faire revenir. Levez-vous, soutenez-vous un peu.
Phil.Est-il donc vrai que l’accusé a sa grace !
Bde.Il est vrai, et je vous en remercie.
Phil.O ! quelle honte pour moi !
Bde.Que cela ne vous fasse point de peine. Levez-vous seulement.
Phil.Non ; je ne me le pardonnerai jamais. Avoir absout un criminel, pour la première fois de ma vie ! O Dieux ! Ne m’imputez point cette faute. Je l’ai faite malgré moi, et contre mon ordinaire.
Bde.Ne vous embarrassez pas de cela, mon père, je ne vous en nourrirai pas moins
bien. Je vous mènerai avec moi partout, aux repas, aux assemblées, aux
sep spectacles. Vous passerez la vie dans les
délices, et vous n’aurez plus à craindre les supercheries d’
Hyperbolos
.
283
(b) Il
ave avait donné quelques
pièces sous le nom de
Philonide
, de
Callistrate
, etc.
►
/aurait ? ►
Entrons, s’il vous plait.
Phil.J’y consens, et je me rends à tout ce que tu veux.
Phil.2Allez où votre heureux destin vous appelle. Pour vous, milliers innombrables d’hommes ! Prenez garde de laisser tomber à terre ce que nous allons dire. Des auditeurs peu soigneux manqueraient d’attention ; mais nous attendons autre chose de vous.
Si vous nous honorez de votre affection, Messieurs ; nous vous en demandons une marque, par l’attention que vous nous préterez. L’auteur a des reproches à vous faire, et quelque raison de se plaindre de vous, après avoir rendu service à tant de particuliers en secret, sans faire connaître son nom (b) . Il aidait sourdement les autres poètes, et faisait en cela comme l’esprit qui préside à l’oracle d' Euryclée. Il entrait dans le ventre des autres ; et vous avez ri à plusieurs de ses comédies qui paraissaient sous le nom de quelques autres auteurs. Enfin il a osé paraitre sous le sien, et a fait parler ses propres Muses , après avait animé celle des autres. Il s’est élevé assez haut pour donner de la jalousie, et vous l’avez honoré plus que personne de vos applaudissements. Mais ces heureux succès ne l’ont point enflé ; il n’a point affecté de le montrer dans les lieux d’exercices publics pour mendier des louanges. D’un autre coté, si quelqu’un l’est venu trouver pour le prier de ne point mettre ses amours sur la scène, il n’a pas eu la faiblesse de se laisser fléchir pour épargner le vice. Il eût eu peur de le devenir complice
de ces infames. Ce n’est pas que sa muse soit ennemie des hommes ; elle ne l’est
que des monstres. Il lui a fallu le courage d’un
Hercule
pour entreprendre, comme il l’a fait, de les
attaquer publiquement.
A q Avec quelle hardiesse ne
s’attacha-t-il pas à ce monstre à dents aigues
(d)
et serrées, dont les regards effrontés étaient l’impudence-même ;
dont la tête entourée de cent têtes de flatteurs qui lui léchaient le visage ;
dont la voix ressemblait au bruit d’un torrent qui menace tout le voisinage
d’une ruine prochaine ; dont la puanteur surpassait celle des plus énormes
baleines
;
qui n’était enfin qu’ordure et saleté par devant et par derrière ? Cet objet
affreux ne l’épouvanta point ; et sans se laisser séduire à des libéralités
intéressées, il crut qu’il était de son devoir de le combattre. Il ne s’en est
pas tenu là. Il entreprit encore l’année passée
(e)
d’extirper ces espèces de fièvres qui par le déréglement des
enfants affligent les pères, et leur font passer de mauvaises nuits ; ces
artifices criminels dont on se sert à déguiser la vérité, étouffer la justice,
opprimer l’innocence, excuser le désordre. C’est ce qu’il avait tâché de faire
dans ses premières
Nuées ; mais quelques agréments
que la nouveauté dût donner à cette invention ; comment le traitâtes vous ? Vous
le chassâtes honteusement et le fites céder à deux mauvais poètes (
Amypsias
et
Cratin
). Il est vrai cependant, et buvant mainte et
mainte rasade et prend
Bacchus
à
témoin qu'il n’y eut jamais de plus beaux vers, ni de comédie plus agréable ; et
si vous n’en convintes pas alors tant pis pour vous ; vous avez donné une
mauvaise
285
(f) Priape de cuir. ►
idée de votre discernement, et notre auteur s’est consolé de votre injustice avec
les bons connaisseurs. Nous vous conseillons, pour votre honneur, d’avoir à
l’avenir plus d’égards pour le poètes qui cherchent à vous faire plaisir par les
nouveautés qu’ils inventent. Aimez les, suivez-les, et conservez soigneusement
leurs ouvrages, comme vous conservez vos pommes dans vos coffres, et
vos habits dans vos armoires.
Ranimons nos efforts, nous autres qui étions dans nos jeunes ans de si vigoureux
danseurs et de si vaillants soldats. Le temps n’est plus. Nos cheveux sont
devenus d’une blancheur égale à celle des cygnes. Mais il nous reste encore des
forces, et cette verte vieillesse vaut mieux sans doute que les cheveux frisés,
la taille négligée, et la mollesse féminine de tant de jeunes gens que nous
voyons. Si nonobstant ces cheveux blancs, messieurs, il y a quelqu’un qui
s’étonne de nous voir armés d’aiguillons si raides, il faut lui découvrir ce
mystère. Cette queue
(f)
, Messieurs, fait
voir que nous sommes attiques, c’est à dire enfants de cette même terre, gens
courageux par nature, et qui avons servi l’état comme il faut, quand l’ennemi
vint le
ravagée
ravager
quand il prétendit chasser les abeilles de cette ville avec l’incendie dont il
désolait le pays et les maisons, et emporter en
Perse
tout le miel et toute la cire de nos ruches. Nous sortîmes aussitot, animés de
colère, et armés jusques aux dents. Chacun de nous se mordait les lèvres de
fureur. Le ciel était obscurci de traits. nous combattimes vaillamment, avec le
secours des Dieux. En effet on vit avant le combat un hibou
286
(h) Périclès , qui l’avait bâti pour la récitation des tragédies et le chant de la musique ; et pour la distribution de la farine. L’archonte y tenait son siège. ►
(g) Magistrats qui jugeaient les voleurs et les homicides pris sut le fait. Et ceux qui n’avouaient pas, ils les menaient aux juges. C’était comme le grand prévôt. ►
traverser notre armée. Nous eûmes la victoire sur le soir. Et nous poursuivions les fuyards, en perçant leurs gros ventres, après leur avoir dans un combat opiniâtre de dix mille hommes contre six cents mille, fait voir une vigueur dont ils se souviennent encore avec douleur et admiration ; en sorte qu’ils conviennent qu’il n’est point d'animal plus courageux que les guêpes d’ Athènes. Depuis ce temps là nous avons continué de nous rendre redoutables aux barbares ; nous avons tonné sur leurs côtes, et nos galères y ont porté la désolation. Nous ne nous amusions point alors à cultiver de vaine éloquence ; nous ne nous chicanions point les uns les autres. Toute l’ambition d’un bon citoyen se bornait à être bon homme de mer. Aussi, combien n’avons nous pas pris de villes aux Mèdes ? Et de combien de tributs n’avons nous pas enrichi notre république ? tributs qui sont aujourd’hui la proie de tant de scélérats ! Regardez nous donc bien, et vous conviendrez que nous ressemblons parfaitement à des guêpes. Car premièrement quelque animal que ce soit qui ose nous attaquer, nous faisons voir une colère que rien n’apaise. Du reste nous nous rassemblons par bandes dans nos trous comme les guêpes. Les uns se rendent auprès de l’archonte ; d’autres auprès des onze juges criminels (g) ; d’autres au théâtre de la musique, qui sert présentement d’auditoire, contre l’intention (h) du fondateur. Il y en a qui se tiennent collés contre les murs et regardent fixement la terre. Ne diriez vous pas voir une guêpe logée dans le trou de la gauffre ? Nous vivons comme les guêpes aux dépens du tiers et du quart ;
nous piquons celui-ci, nous suivons celui la . Le malheur est qu’il y a parmi nous des frelons qui n’ont point d’aiguillon, qui ne travaillent point, et qui s’engraissent du fruit de nos travaux. Il est honteux que des gens qui n’ont jamais été à la guerre, qui n’ont jamais manié ni rames, ni lances, qui n’ont jamais eu de poulettes aux mains, jouissent des mêmes privilèges que nous. Nous serions d’avis qu’il fût ordonné une fois pour toute, et dire à cri public ; qui ne portera point d’aiguillon, n’aura point de part aux trois oboles.
Philocléon . Bdelycléon . Le chœur. Philocléon.Non. L’on m’arrachera plutôt la vie que cette vieille bure. Je lui ai l’obligation de m’avoir sauvé le moule du pourpoint2 sur la flotte, quand ce brave Bérée , ce maitre vent, combattait pour nous contre les barbares.
Bde.On a bien de la peine à vous persuader ce qui est à votre profit.
Phil.Ne me parle point de beaux habits. L’autre jour, que tu m’en avais donné un neuf
; je répandis de la sauce dessus. Il
fallait
fâllut l’envoyer au foulon, et je lui dois encore trois
oboles pour l’avoir dégraissé.
Laissez vous conduire, et croyez moi ; vous ne vous en trouverez que mieux.
Phil.Ça, que faut il donc faire.
Bde.Quittez moi ce vieil habit, et prenez cette bonne robe neuve.
288
(i) Lieu de la tribu d’Hippocoon. ►
Et puis, donnez vous la peine d’élever des enfants, afin qu’ils vous étouffent, comme celui-ci veut étouffer son père ?
Bde.Prenez garde et ne jasez point tant.
Phil.O ! Dieux ! qu est ce que ceci ?
Bde.C’est une casaque de Perse : aussi on l’appelle une Persienne.
Phil.Je l’aurais prise pour de la ratine de Thipneté2 (i) .
Bde.C’est que vous n’êtes jamais allé à sardes.
Phil.Assurément. Mais cela me parait cotonné comme le surtout du poète Moryque .
Bde.Je vous réponds que c’est vraie manufacture d’ Ecbatane.
Phil.Est ce qu’on fait de la ratine à Ecbatane ?
Bde.Que me venez vous chanter avec votre ratine ? C'est du plus beau drap qui se fasse en Perse.
Phil.Drap, ou ratine, de Perse, ou d’ailleurs, que faut il donc faire ?3
Bde.Il faut vous mettre cela autour du corps.
Phil.Je n’en ferai, ma foi, rien. J’aimerais autant être
habillé d’un four chaud.
Bde.Que de raisons ! Je vois bien vous le mettre moi. Marchez deux pas. Fort bien.
Phil.Faites donc apporter la grande fourchette.
Bde.À quoi faire ?
Phil.Pour me retirer du four, avant que j’y sois tout fondu de cuire.
Bde.Allons. Jetez ces maudites socques, et chaussez ces souliers mignons de Lacédémone.
Phil.Quoi ! Je souffrirais dans mes pieds une chaussure faite par les ennemis de l’état !
Bde.Poussez, poussez, marchez ferme. Vous faites descente dans le pays ennemi.
Phil.J’avais promis de ne mettre jamais le pied en Laconie.
Bde.Donnez l’autre.
Phi.Je ne saurais. Il y a là un doigt qui est ennemi juré de ce qui vient de Lacédémone.
Bde.Bon ! c’est pure malice.
Phil.Je vous dis que j’ai les mules
290
(k) Il est mention de deux Théagènes ; l’un insigne péteur et acarnien ; et l’autre de Thase, qui portait sans peine une statue d’airain sur les épaules. ►
Autre bourde. Finissez. Marchez hardiment et carrez vous comme moi.
Phil.Regarde un peu ma démarche, et dis à qui est-ce des gros messieurs que je ressemble.
Bde.Vous ressemblez à un
fa rature le furoncle revêtu
d’une emplâtre d’ail.
Par ma foi, je sens déjà que quelque chose me démange.
Bde.Voyons maintenant quels discours vous tiendrez quand vous vous trouverez en compagnie d’honnêtes gens.
Phil.Je leur dirai ce que fait la sèche quand on la veut prendre. Je leur dirai la
fable de la huche et du
pétrin.
prétr
in
……
Point de fables, s’il vous plâit. Parlez naturellement comme nous parlons entre nous à la maison.
Phil.Fort bien. Par exemple, ce que nous disions l’autre jour, qu’il n’y avait encore ni chat ni rat .….
Bde.Homme gauche et mal appris ! Disait Théagène (k) en colère à je ne sais quel lourdaud qui parlait mal ; est ce donc de chats et de rats qu’il faut parler en si belle compagnie ?
PhilDe quoi veux tu donc que je parle ?
291
(l) Le poète les nomme pour faire rire. Car ce 1er était un catamite, et le second un gueux aussi catamite. ►
(m) Ville du
Pont, où le bonhomme pouvait avoir porté
les
arme
armes.
►
(n) Deux lutteurs. ►
(o) Il est parlé de cette cérémonie dans la préface, et ailleurs. ►
De choses magnifiques. Il faut dire : j’étais au spectacle avec (l) Androcle et Clisthène …..
Phil.Je crois qu’ils n’ont jamais fait grande dépense pour les spectacles. Pour moi je n’ai jamais été à aucun ; si ce n’est à Paros (m) , où je trouvai les places à bon marché.
Bde.N’importe ; il faut en parler comme si on y avait été. Il faut dire qu’on a été ravi de voir Asconde (n) vaincu par Ephordion , au jeu de la lutte, et que ce vieux grison avait encore bonne mine et était bien en chair, pour son âge. Voila de quoi les honnêtes gens s’entretiennent ensemble. Dites moi un peu ; quand vous boirez avec des étrangers, et qu’il sera question de parler de la jeunesse ; quelle action de vigueur direz vous que vous ayez faite dans la vôtre ?
Phil.La voici, la voici, la plus belle et la plus courageuse de ma vie, c’est quand j’enlevai les échalas d’ Ergasion . Dame ! J’étais un brave en ce temps là.
Bde.Eh ! Fi ! Toujours des idées basses ! Il faut dire que vous avez tué un sanglier ; que vous avez forcé un lièvre ; que vous avez couru (o) à la lampe ; quelque chose de semblable ou la jeunesse a coutume de briller.
Phil.Je me souviens d’un beau tour, à propos de courir. Je n’était encore qu’un petit garçon, que j’attrapai Phaÿllas le grand et fameux coureur, et le passai
292
de deux suffrages dans un procès où je le poursuivais en réparation d’honneur.
Bde.Vous ferez aussi bien de vous taire. Ça, mettez-vous sur ce lit de banquet, et apprenez de moi les belles manières des gens du monde quand on se trouve en compagnie.
Phil.Comment faut il se mettre ?
Bde.D’une manière honnête et noble.
Phil.Est ce comme cela ?
Bde.Non.
Phil.Comment donc ?
Bde.Etendez les genoux ; tenez vous couché sur les tapis d’une manière dégagée, comme un homme qui se ressent encore de l’académie. Après cela flattez votre hôte sur la proprété de ses meubles ; louez ses vases, son parquet et ses lambris ; admirez ses bâtiments. Qu’on donne à laver. Qu’on serve les tables. Soupons, tout le monde a lavé. Qu’on verse à boire. Répandons cette goutte à l’honneur des Dieux.
Phil.Par ma foi, nous soupons en songe.
Bde.La joueuse de flûte commence à préluder. Les convives sont Théore , Esquine , Phanès
293
(p)
On appelait cela scolies,
al comme qui dirait
obliques ; parce sur l’un des convives commençait un vers, et
celui à qui il donnait la coupe, non pas de suite, mais à la traverse le
finissait en le parodiant.
►
(q)
Solon
établit trois ordres dans
l’
Attique, les
Paraliens,
ou gens des côtes, auxquels fut proposé
Mégaclès
; les
es
Pédiéens, ou gens du plat pays, sous le commandement de
Lycurgue
; et les
Diacriens auxquels commandait
Pisistrate
. On dit que
Pandion
avait ainsi divisé la
Diacrie à ses enfants ; la principauté à
Lycus
; les environs de la ville à
Egée
; les côtes à
Pallas
; et la
Mégarique à
Nysus
.
►
Cléon , et Acestre poète tragique étranger. Voilà les honnêtes gens avec qui vous soupez. Prenez bien garde à finir avec esprit tous ces propos coupés (p) qui vous seront adressez à la ronde.
Phil.J’entends cela à merveille, mieux qu’aucun autre Diacrien (q) .
Bde.Je le saurai bientôt. Supposez que je suis Cléon . Je commence à chanter les premières paroles du cantique d’ Harmodius : Il n’y eut jamais d’Athénien……
Phil.Et moi, je réponds : Si grand voleur que Cléon .
Bde.Osez vous parler de la sorte, et si haut ? Il nous perdra et nous chassera du pays.
Phil.S’il en fait du bruit, je chanterai autre chose.3
Le ch.4Homme ! Tu ne connais donc pas quelle est sa fureur et sa violence ? Veux tu ruiner encore une fois l’état ? Il n’est déjà que trop en danger de périr.
Bde.Théore , qui est à vos pieds, chantera ensuite, et parodiant Admète , vous dira, en vous prenant la main : mon ami, chéris les bons…. À cela que direz vous ?
Phil.Je ne puis flatter personne ; je lui dirai que je ne puis aimer tout à la fois les bons et les méchants.
Bde.Après lui chantera Esquine , homme habile,
294
(r) Ce scolie de Clitagora peut avoir été fait du temps que les Thessaliens donnèrent secours à ceux d’ Athènes contre la tyrannie de Pisistrate . ►
(s) Il était défendu de traduire nommément sur la scène l’archonte régnant. C’est pourtant à lui que le poète en veut, et c’était Amynias fils de Pronape . Il se déguise en le faisant fils de Sellus. ►
*/ ►
et qui sait la musique en perfection : honneur à la savante Clitagora (r) ; c’est la fleur de Thessalie
Phil.À cela je répondrai : c’est un pays dont vous et moi nous avons bien tiré de l’argent.
Bde.Cela ne va pas mal ; vous voilà au fait. Allons souper chez Philoctémon ce fameux traiteur. Holà, garçon ! Qu’on nous serve au plus tôt. Enivrons-nous à loisir.
Phil.N’en faisons rien, si tu m’en crois. Il est dangereux de boire. Quand on a du vin dans la tête, on se querelle, on fait du bruit, on se bat. Après cela la bourse pâtit des folies de la tête.
Bde.Cela n’est point à
crainidre craindre, quand on ne
fait la débauche qu’avec d’honnêtes gens. Ils vous excusent volontiers. Un bon
mot, un petit conte fait à propos, les fait rire, et vous en voilà quittes.
Il faudra donc que je fasse une bonne provision de fables, de contes, et de mots
de gueule, si je veux être quitte sans payer, car j’ai un mauvais vin.
N’importe, allons, que rien ne nous arrête.
Je serais bien faché de dire du mal de personne, mais je sais pourtant bien qu’ Amynias (s) le frisé le fils de Sellus (je ne parle pas de l'archonte fils de Pronape ; Dieu m’en préserve) ce beau frisé, dis-je qui meurt de faim chez lui, comme Antiphon , et qui n’a pas son soûl de pommes
295
(t) Les penestes ou gueux de Thessalie, étaient les naturels du pays asservis par les conquérants, comme les Ilotes par les Lacédémoniens. On accusait Amynias d’avoir traité secretement avec les Penestes. ►
et de grenades, soupe volontiers chez
Léogoras
, ce débauché voluptueux
qui nourrit des
faison faisans pour sa
bouche
.
Qu On dit pourtant que dans son
ambassade à
Pharsale ; comme de gueux à gueux
il n’y a que la main, il mangeait
volontiers et secrètement avec les
ge gueux
(t)
, et l’on sait bien quels gueux je veux
dire. Qu’
Automène
est heureux, d’avoir des enfants
qui lui font tant d’honneur ! Ils sont encore pires que lui. L’ainé joue des
instruments ; il faut voir avec quelle grace ! Quel acteur n’avons nous pas dans
le second ? Comme il est couru !
Ariphrades
(le troisième) est si habile ! Ce qu’il y a d’admirable,
c’est qu’il n’a jamais eu d’autres maitre que la nature. Mais cette nature, il
la va chercher dans les bons lieux ; et vous savez quel usage il y fait de sa
langue abominable. On dit que je me trouve heureux de pouvoir faire ma paix,
quand
Cléon
me causa tant de trouble et
me fit si grand peur. On assure même qu’il y en avait beaucoup qui riaient de
m’entendre crier de toute ma force, pendant que ce bourreau-là m’écorchait.
C’est à dire qu’il ne se
soucien souciaient guère
de moi ; et que pourvu que je les fisse rire par mes bons mots, il ne leur
importait pas beaucoup si j’étais à mon aise, ou non, quand je les disais quand
j’ai vu que l’échelas manquait à la vigne dans l’occasion,
nn’ai je pas bien fait de me sauver, comme le
singe, à la faveur de quelques flatteries ?
296
(x) Il y a eu 4
Phrinique
Phrynique
; un acteur tragique fils de
Corocle
, un poète tragique, le
premier qui ait mis des femmes sur le théâtre, un poète comique, et un général
sous lequel les Athéniens furent battus.
►
Que je porte envie à votre peau, trop heureuse tortues ! Que vous êtes sages de vous être si bien encuirassées ! Vous n’avez rien à craindre pour votre dos et pour vos côtes ; au lieu que je suis moulu des bourrades que le bonhomme m’a données avec son bâton.
Le ch.Qu’y a t’il, mon enfant ? Car il est permis de traiter de la sorte tout homme, quelque vieux qu’il soit, qui se plaint d’avoir été battu.
Le vaC’est ce méchant vieillard dont je me plains le plus facheux ivrogne que la terre
ait porté. Il y avait pourtant à la table avec lui des ivrognes fameux,
Hippyle
,
Antiphon
,
Lycon
,
Lisistrate
,
Théophraste
, et
Phrinique
Phrynique
(x)
. Mon maitre était le plus facheux de
tous. Après s’être bourré le ventre d’importance, il s’est mis à sauter, danser,
péter, et infecter tout le monde comme un jeune baudet qui a mangé tout son soûl
de chardons. Il n’a cessé de me frapper en
me
criant : Garçon ! Oh !
Garçon !
Lisistrate
voyant tout ce
tintamarre a dit au bonhomme : Il paraît qu’il n’y a pas longtemps que vous êtes
à votre aise ; vous ressemblez à la piquette qui bout d’abord qu’elle est
entonnée ; ou plutôt à quelque vieille haridelle de sergent, qui a trouvé un bon
pallier à la campagne. Et toi, s’est écrié le vieillard, tu n’es qu’un gueux ;
tu ressembles à un cousin qui a perdu ses ailes ou à
Stenèle
, ce malheureux poète, qui
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vendait les habits de ses personnages pour vivre ! Tout le monde a frappé des mains, pour témoigner que Lisistrate avait bien dit, excepté Théophraste , qui s’est mis à lui faire la moue. Le bonhomme s’est attaqué à lui : Je voudrais bien savoir, lui a-t il dit, quel sujet tu as de faire ainsi le monsieur ? Crois tu que le gueux te donnera à diner quand tu auras pris son parti ? Enfin il n’a épargné personne de la compagnie. Chacun à son tour a essuyé ses railleries grossières. Il entremêlait tout cela des plus sots contes et de dictons hors de propos. Il est ivre, en un mot, et frappe en revenant sur tous ceux qu’il rencontre. Le voyez vous qui fait des S ? Je me retire, de peur d’être battu.
Philocléon avec une chanteuse. Bdelycléon . Phil.Arretez, donnez. O ! vous me suivez donc ? Je vous en ferai bien repentir. Je vous grillerai tous avec ce flambeau, si vous ne me montrez les talents.
Bde.1Vous nous le
payerez pairez demain. Vous faites le
jeune homme ; mais nous vous appellerons tous en jugement.
Bon ! m’appeler en jugement ? Quel conte vous me faites là ? Ne savez vous pas bien que je ne veux plus entendre parler de procès. Aimer et boire, c’est le métier que je veux faire dorénavant. Jettez au vent tous ces
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(avant que je ne fusse initié aux mystères ) ? ►
instruments de chicane. S’en iront ils les suppots
d
du barreau ? Viens ça, mon petit hanneton doré. Empoigne moi tout à l’heure ce
bout de funain. Tiens, vois comme la main en est remplie. Il aime à être manié.
Ne t’ai-je pas escamotée bien subtilement dans le temps que chacun des buveurs
faisait des desseins sans toi ? Mais m’en sauras-tu gré ? J’ai bien peur que tu
ne te moques de moi. Tu l’as fait à bien
d’autd’autres. Mais si tu veux être une bonne fille ; quand mon coquin de
fils sera mort, je te donnerai la liberté ; tu seras ma concubine, petite
frippone fripone. Car présentement je ne suis pas
maitre de mon bien. Je suis mineur, et mon fils me tient en tutelle. Il est un
peu facheux et taquin. Il a peur que je ne me gâte. Dame ! Il n’a point d’autre
père que moi ; c’est pourquoi je lui dois être cher. Je le vois qui court après
nous. Mais tiens-toi là, prends ce flambeau et laisse moi me moquer de lui comme
il fit de moi
quand il voulut s’initier aux
mystères.
Vous voilà donc, monsieur le débauché ! C’est bien à vous vraiment qu’il faut des filles ? N’avez vous point pris celle-ci pour une bière ? Oh ! Par Apollon ! que je vous empecherai de venir à bout de ce que vous prétendez.
Phil.Est-tu donc en humeur de chicaner ! Veux-tu pour médianoché1 un petit procès à la vinaigrette ?
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(y) Du mont Ida où l’on faisait d’excellente poix. ►
(z) Les flambeaux s’appelaient deta (δαισ) sub. lampades A cause qu’on les liait avec du papier. Par les saletés le grec fait dire au père il paraît que ces flambeaux étaient marqués estigmena ; et qu’ils étaient montés sur une tige de bois. ►
X ►
Voilà des railleries hors de propos. N’avez vous pas de honte, d’avoir dérobé cette joueuse de flûte à la compagnie ?
Phil.De quelle joueuse de flûte me parlez-tu ? Est ce que tu rêves ?
Bde.Je rêve, moi ? n’est ce pas là cette Dardanien ne (y) de tantôt ?
Phil.Non c’est un flambeau de poix de Dardanie qui brule au milieu de la place en l’honneur des Dieux.
Bde.Vous m’appelez cela un (z) flambeau ?
Phil.Ah ! Laisse nous ; tu es importun. Que prétends tu faire ?
Bde.Je veux vous être cette putain là ; aussi bien ce n’est pas votre fait. Elle passerait mal son temps avec vous.
Phil.Ecoute. La dernière fois que je fus aux jeux olympiques, je vis le vieux
Epheidion
qui qui remporta la victoire sur le jeune
Ascondas
;
mais c’était
pour tant un rude lutteur que cet
Ascondas
; mais le vieux lui fit cependant mordre la poussiere.
Prends garde que je ne t’en fasse autant.
Parbleu. Voici les jeux olympiques cités fort à propos !
300
Prétez moi votre secours, au nom des Dieux ; voilà l’homme qui m’a ruinée en me frappant avec son flambeau. Il m’a fait perdre pour dix oboles de pains. Et j’en demande encore quatre pour le dommage de panier.
Bde.Voyez ce que vous avez fait. Il
faut faut avoir un
procès pour vos ivrogneries.
Ne crains rien. Je n’ai pas oublié ce que tu me disais tantôt. Quelque drolerie dite à propos raccom m odera tout cela.
La boulangère.Je veux bien que vous sachiez que Myrtia fille d’ Ancylias et de Sostrate , n’est pas femme à se payer de droleries.
Phil.Ecoute, ma bonne femme, je veux te dire un plaisant conte.
La boulangère.Mon beau monsieur, je le tiens pour tout dit.
Phil.Esope , revenant un soir de souper, fut attaqué par une chienne ivre et effrontée, qui se mit à aboyer après lui. Esope lui dit : chienne m’amie, je te conseille de traquer ta mauvaise langue contre une bonne bribe de pain, ce sera sagement fait.
La bou.Tu te moques encore de moi ? Je t’appelle devant
301
(a) Lasus, fils de Charbin , d’ Achaïe, était un musicien fameux antagoniste de Simonide , du temps d’ Hipparque le Pisistrate . ►
les juges de la police, pour le dommage de mes pains et de mon panier. Et voila le bonhomme Chéréphon qui me servira de sergent.
Phil.Parbleu, écoute encore ce que je te vais dire.
(a)
Lasus
était un poète antagoniste de
Simonide
.
On rapportait à
Lasus
;
Simonide
a dit ceci,
Simonide
d dit cela
.
Lasus
répondait : je ne m’en soucie guère.
C’est bien dit. Mon pauvre
Chéréphon
,
tu peux vouer tes services à cette belle maitresse là. Elle ressemble à l’
Ino d’
Euripide
, qui se laisse tomber du rocher. Mais il me semble que je
vois venir ici une autre signification ; un homme avec un sergent.
Que je suis malheureux ! C’est toi, vieillard, dont je me plains. J’intente contre toi action d’injure.
Bde.D’injure ? Je vous prie, n’ayons point de procès. Je vous fait le juge de votre propre cause, et je vous ferai moi-même telle satisfaction que vous ordonnerez ; encore vous en saurai-je gré.
Phil.Pour moi, je ne serai pas faché de me raccommoder avec lui ; car je confesse que je l’ai frappé assez rudement. Dis moi donc si un peu
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(b) Il y avait une urne d’airain ou même de terre, dans laquelle on ramassait à l’auditoire toutes les pièces des procès. Casser cette urne eût été un grand crime, mais le vieillard parlait d’une urne en général. ►
d’argent pourrait rajuster tout ceci ? Pourra-t-on être de tes amis en payant ?
L’accusateur.C’est à vous de parler. Car pour moi ; je ne m’embarrasse pas de procès.
Phil.Il y avait une fois un Sybarite qui tomba d’un char. C’était sa faute, car il était fort ignorant dans l’art de conduire des chars. Un de ses amis, lui voyant la tête cassée, lui dit si chacun faisait son métier tu n’en serait pas là. Et moi, je te dis : va te faire panser.
Bde.Voilà un homme qui ne se dément point.
L’accusa.N’oubliez pas ce qu’il vous a répondu.
Phil.Ecoute, ne t’en va pas si vite. Il y avait une fois une fois une femme à Sybaris qui cassa (b) l’urne.
L’accusa.Je vous prends tous à témoin…..
Phil.L’urne prit des témoins. La femme lui dit : Par Proserpine laisse-là les témoins et le témoignage, achète une ligature, et tu feras mieux.
L’accusa.Tu te moques encore de nous ? Mais tu verras beau jeu, quand l’archonte fera appeler la cause.
Phil.Ceux de
Delpes
Delphes accusaient
Esope
.
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Et que m’importe ?
Phil.D’avoir dérobé une phiole au temple de leur Dieu. Esope leur dit, qu’il y avait une fois un escarbot …..
Bde.Encore le conte de l’Escarbot ? Ma foi, vous irez à la maison.
Heureux vieillard ! Que je porte envie à l’agréable changement qui vient de se faire en toi ! Mais croyez vous qu’il persiste dans les délices, après s’être accoutumé à une vie dure ? Il est difficile de déraciner des habitudes si vieilles, fondées sur le sang et le tempérament. Celui-ci ne serait pourtant pas le premier qu’une douce persuasion aurait porté à changer ses mœurs. J’estime que son fils mérite les éloges de tout ce qu’il y a de gens raisonnables, pour sa sagesse, et la tendre affection qu’il marque à son père. Je n’ai jamais vu un jeune homme si agréable ; Je l’aime à la fureur. Quel art de persuader n’a t-il pas, quand il veut porter ceux à qui il doit le jour, à vivre d’une manière plus convenable à leur condition ?
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(c) Joueur de Lyre. ►
(d) Phrynique fils de Ellélanthe fut condamné à une amende de 1000 dragmes pour avoir représenté sur la scène la ruine des Milésiens. Cela le rendit timide ; et sa timidité passa en proverbe. Le poète joue ici sur un vers de lui rapporté par Plutarque au sujet d’ Alcibiade dompté par Socrate . ►
(e) Il y avait deux danses hautes, l’une appelée Eclatisme [?] propre aux femmes ; où celles se frappaient l’épaule du talon, et faisaient voir leur mirliton. L’autre était Lacédémonienne, et s’appelait Bibasque2. On s’y donnait plusieurs coups de talon dans les fesses d’un seul saut. ►
Par Bacchus ! Je ne sais quel démon nous a suscité au logis tout ce tracas. Depuis que le vieillard a bu un peu plus que de raison, et qu’il a entendu la flûte, il ne se possède pas de joie. Il veut passer tout le reste de la nuit à danser. Il se moque des vieux airs de Thespis (c) . Il dit que tous ces vieux branles sont trop saturniens ; il ne veut danser que les plus nouveaux.
Phil.Qu’entends-je à cette porte ?
Le vaVoici ce diable d’ivrogne qui vient.
Phil.Qu’on ouvre ces barrières !
Le vaC’est une danse nouvelle qu’il s’est imaginée, ou plutôt c’est une furie.
Phil.Voyez ce lutteur, comme il ouvre les narines ! Voyez comme il mugit, pendant qu’on lui serre les cotés. Le dos lui craque.
Le vaLe bonhomme aurait besoin d’une prise d’ Ellébore.
Phil.Phrynique (d) tremble comme le coq, qui serre les ailes, quand il voit l’oiseau de proie.
Le vaVous avez pensé me donner un coup de pied.
Phil.Peut on (e) mieux lever la jambe ? Le cul en a baillé !
Le vaPrenez garde qu’il ne lui échappe quelque chose.
Je sens que ces membres se ramollissent. Est il de mouvements de cuisse plus souples ?
Bde.Tout ceci tient un peu de l’extravagance.
Phil.Attends un peu que je fasse un défi aux plus beaux danseurs. Y a t-il là quelque acteur qui veuille danser avec moi ? Personne ne veut il parler ?
Bde.Je n’en vois qu’un qui veuille accepter le défi.
Phil.Qui est ce malheureux là ?
Bde.C’est le second des fils du sieur Cancre (f) .
Phil.Je l’avalerai tout d’un seul trait. Je l’écraserai du petit bout du doigt. Il n’entend rien à la cadence.
Bde.Voilà son frère qui se présente à sa place.
Phil.Oh ! Nous souperons donc encore une autre fois.
Bde.Ce sera un souper bien maigre ; il n’y aura que des cancres ; car voila encore un troisième cancre qui parait.
Phil.Qui es tu, toi, qui te traines
à terre
de
travers
? Es tu ecrevisse, homard, crabe, huitre à l’écaille ?
Non c’est un petit limaçon le plus petit
des de tous
les poètes, qui se mêlent de faire des tragédies.
C’est pourtant l’ainé des frères.
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(g) A Philocléon et aux fils de Carcinus . ►
O ! L’heureux père que le monsieur du Cancre ! Quelle belle géniture ! N’importe ; il faut aller à eux. Ecoute, maraud, verse leur de la saumure si je danse mieux qu’eux.
Chœur et demi-chœur . Le ch.Dansons tous ensemble, et laissons leur (g) assez d’espace au devant pour pirouetter comme des toupies.
Demi ch.Fameux enfants du Cancre marin, dansez sur le rivage de la mer profonde. Frères des coquillages à grosses têtes, remuez en rond vos pieds légers, et secouez les gigots à la manière de Phrynique , de sorte que les spectateurs vous voyant la jambe en l’air, s’écrient : O ! O ! que cela est beau !
Demi ch.Tournez, marchez en rond ; avancez le ventre. La jambe en l’air. Faites la pirouette. Voilà le père de tous les cancres, les roi de la mer, qui s’avance. Il est attiré par le plaisir de voir ses trois enfants si bien faire. Retirons nous ; il est temps, et sautons en nous retirant, ce que nul autre chœur n’avait encore fait avant moi.