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La paix

6e

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f°01

La paix.

Comédie.

Cette comédie fut représentée la troisième treizième année de la guerre du Péloponèse, l’an du monde 3553, comme on l’a dit dans la préface générale. Le bonhomme Vendange ou Trygée (qui est la même chose) veut avoir la paix ; et pour l’aller dénicher au ciel, il se souvient d’avoir lu dans Esope , ou entendu dire, la fable de l’escarbot, qui monta jusqu’au giron de Jupiter pour demander justice de l’aigle. Il fait donc provision de cette espèce de monture, et l’ouverture de la scène se fait par deux valets qui fournissent à l’escarbot sa nourriture spécifique, c’est à dire de la fiente.

Les personnages sont :

  • Un valet de Trygée.
  • Un autre valet.
  • Trygée, laboureur vigneron.
  • Les enfants de Trygée.
  • Mercure.
  • La guerre.
  • Le tumulte.
  • Choeur de Laboureurs.
  • IéroclèsHiéroclès.
  • Un faucheur.
  • Un plumassier.
  • Un armurier de cuirasses.
  • Un marchand de trompettes.
  • Un faiseur de casques.
  • Un faiseur de lances.
  • Un valet de Lamachus.
  • Un valet de Cléonyme.

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La paix. Comédie.



Deux valets qui em ap pâtent un escarbot. Le 1er valet.

Vite ! Une boule de fiente pour l’Escarbot.

Le 2ème valet.

La voilà.

Le 1.

Donne lui toi-même.

Le 2.

Peste soit de l’animal et de sa nourriture.

Le 1.

Encore une autre !

Le 2.

On y va.

Le 1.

Oh ! Qu’est devenue celle que tu lui avais donnée ?

Le 2.

Ce qu’elle est devenue ? Ma foi, ne vois tu pas comme il tortille ?

Le 1.

Allons vite, pile comme il faut.

Le 2.

O ! pile toi même, si tu veux. Je n’y puis plus tenir. Dieux ! Qui me donnera un nez qui n’ai point de trous ? Au moins si ce diable d’Escarbot était comme les pourceaux ou les chiens, qui mangent le paquet dès qu’il tombe du moufle ! Mais il lui faut encore piler : Ma foi, je vais lui donner le mortier et le pilon avec toute sa drogue. Pile davantage qui voudra.

Le 1.

Camarade, j’ai peur qu’il ne s’engoue ; je vais

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f°02

lui donner à boire.

Le 2.

Donne lui à manger aussi, si tu veux. Pour moi, ma patience est épuisée. Messieurs ! Vous êtes peut être bien en peine de savoir quel mystère il y a dans tout ceci ? Je vous dirai que notre maitre est fou, mais d’une folie toute singulière. Vous le verriez tout le long du jour, la gueule ouverte comme cela, et les yeux dans les nues, qui dit des injures à Jupiter , en le priant de quitter le balai dont il a si bien balayé toute la Grèce jusqu’à présent. Mais chut … il me semble que je l’entends.



Trygée. Un valet. Trygée (au dedans)

O ! Jupiter ! Que voulez vous donc faire de ce pauvre peuple ? Y pensez vous de détruire ainsi nos villes ?

Le valet.

Tout juste, messieurs, voila un échantillon de la folie dont je vous parlais. Mais il faut que je vous dise ce qu’il s’est mis dans la tête. Il a résolu d’aller trouver Jupiter . Le premier moyen qu’il a tenté pour faire ce voyage, a été de mettre bout à bout plusieurs échalles échelles et il s’est hasardé de monter ainsi dans le ciel. Mais il est tombé et s’est cassé la tête en plusieurs endroits. Hier étant sorti pour aller je ne sais pas où, il nous ramena au logis, une grande peste d’Escarbot d’une taille gigantesque, et m’a chargé de l’appâter.

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Il le caresse de la main, comme vous feriez avec un cheval, et lui dit : mon cher petit Pégase ! Mon ami ! Tu me porteras, oui, tu me porteras chez Jupiter ... Mais il faut que je regarde par ce petit trou ce qu'ils font ensemble.… Miséricorde ! À moi nos voisins, à moi ! Voilà l’Escarbot qui transporte mon mâitre.

Trygée (à cheval sur l’Escarbot)

Doucement, mon cher petit Pégase ! Ne prends pas le grand galop d’abord, avant que de t’être dégourdi : par quelques caracoles. N on [?] surtout, que ton souffle ne me vienne point au nez ; ou je te laisse au logis.

Le valet.

Mon maitre ! Mon cher maitre êtes vous fou ?

Trygée.

Tais-toi.

Le va.

Mais où allez vous donc comme cela, en l'a ir ? [?]

Trygée.

Je vole pour le salut de toute la Grèce.

Le va.

Vous volez ? Hélas ! Avez vous perdu l'esprit ?

Trygée.

Qu’on se taise, et qu’on ne murmure point. Que l’on batte plutôt des mains.

Le va.

Moi, me taire, et vous voir dans un si grand danger ? Je serais plutôt pendu ! Mon sieur cher maitre ! Où allez vous ?

Trygée.

Où veux tu que j’aille, animal ! Si ce n'est

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f°03

chez Jupiter .

Le va.

Et que faire là ?

Trygée.

Lui demander ce qu’il veut faire de nous.

Le va.

Et s’il ne veut pas le dire ?

Trygée.

S’il ne veut pas le dire, je le déférerai comme un traitre qui vend la Grèce aux Mèdes.

Le va.

Parbleu, ce ne sera pas de mon consentement.

Trygée.

Cela est pourtant résolu.

Le va.

Hélas ! Hélas ! Pauvres enfants ! Voilà votre père qui s’en va dans les nues et vous laisse orphelins. Venez vîte et tâchez de fléchir son opiniatreté !



Les filles de Trygée. Trygée. Le valet. Les filles.

Mon père ! Mon père ! Est il donc vrai que vous vous envolez de la maison ? Un petit mot, mon cher père.

Trygée.

Vous l’avez deviné mes filles. J’enrage, quand vous me demandez du pain, de voir que je n’ai pas une obole au logis pour vous en acheter. Mais si je réussis dans mon entreprise, vous aurez du gâteau et du pâté tout votre soul.

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Les filles.

Mais comment ferez vous ce chemin là, mop mon père ?

Trygée.

Comment, mes filles ? Ce sera ce nouveau Pégase qui me portera dans les cieux.

Les filles.

Un escarbot voler aux cieux ! Eh mon père ! Qui vous a mis dans l’esprit une pensée si ridicule ?

Trygée.

N’avez vous pas lu dans les fables d'Ésope la querelle de l’Escarbot et de l’aigle, et que l’Escarbot vola jusque dans le giron de Jupiter pour se venger ?

Les filles.

Mais mon cher père, il eût bien mieux valu monter sur Pégase .

Trygée.

Vous y êtes, ma foi ! Pégase est un animal de grande nourriture, et il m’eût fallu double provisions pour moi, et pour lui, au lieu que me servant de cet Escarbot, ce que j’aurai mangé, sera encore bon pour lui.

Les filles.

Prenez bien garde, au moins, de ne pas tomber car si vous alliez vous casser quelque jambe, vous fourniriez un nouveau boiteux à Euripide .

Trygée.

C’est mon affaire, mes filles. Adieu, jusqu'au revoir. Allons, mon Pégase ; vole comme il faut ; vite, vite, le nez en l’air. Mais

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Il y a ici beaucoup de saletés laissés de côté par le traducteur.

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sérieusement, monsieur le machiniste, prenez bien garde à moi, au moins. J’ai si grand peur que je me sens une furieuse envie de donner l’ordinaire à ma monture. Mais il me semble que je vois la maison de Jupiter . Hola ! Ho ! Y a t-il quelqu’un là ? Ouvriront ils ?



Mercure. Trygée. Mercure.

Quel mortel a l’audace de frapper ainsi à cette porte ? Qui est là ?

Trygée.

C’est un homme à cheval sur un Escarbot.

Mer.

Vilain ! Téméraire ! Insolent ! Puant ! Double-puant ! Triple puant ! Comment as tu osé venir ici ? Comment as tu nom ?

Trygée.

Triple-puant.

Mer.

D’où es-tu ?

Trygée.

De triple-puant.

Mer.

Le nom de ton père ?

Trygée.

Triple puant.

Mer.

On se moque donc de moi ? Coquin ! Par la mort… je l’écrase tout à l’heure si tu ne me dis qui tu es.

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(a) Hameau de la tribu de Cécrops .

Trygée.

Ne vous fâchez point, Seigneur Mercure . Je m’appelle Trygée ; je suis un bon vigneron d’ Athmon (a) , et je ne me suis jamais melé de rapporter ce que j’ai vu, pour m’élever aux dépens des autres.

Mer.

Et que viens tu faire ici ?

Trygée.

Monsieur ! Je vous apportais ces viandes là.

Mer.

Pauvre bon-homme ! Et comment es tu venu pauvre malheureux ?

Trygée.

Voilà que je ne suis plus Triple-puant. Mais Monsieur Mercure ! si vous vouliez m’appeler Jupiter ?

Mer.

Jupiter ? O ! ma foi, tu n’y es pas. Tous les Dieux délogèrent hier.

Trygée.

Et où sont ils allés ?

Mer.

Bien loin d’ici ; jusqu’à la plus haute voûte des cieux.

Trygée.

Et d’où vient qu’ils vous ont laissé ici tout seul ?

Mercure.

C’est pour garder le reste de leurs meubles, les marmites, les tables, les bouteilles.

Trygée.

Et dites moi, je vous prie, qui les a obligés à déménager de la sorte ?

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f°05 Mer.

Ils sont fâchés contre les Grecs. Ils ont logé ici le dieu de la guerre, et vous ont livrés à lui ; après quoi ils se sont retirés, aux extrémités du ciel, afin de n’être plus obligés de vous voir vous battre, et de ne point entendre vos prières.

Trygée.

Mais pourquoi nous traiter ainsi ? je vous prie.

Mer.

Parce que vous êtes des scélérats, qui avez violé les traités dont ils étaient les garants. Les Lacédémoniens étaient-ils en état d’entreprendre quelque chose ? Il faut nous venger des Athéniens disaient ils aussitôt. Les Athéniens se sentaient-ils flattés par quelque succès avantageux ! Il n’avaient autre chose à répondre aux Lacédémoniens, quand ils venaient leur demander la paix, sinon : l’on nous trompe il ne faut point les croire. Ils reviendront encore, si nous pouvons prendre Pyle. Voilà votre caractère aux uns, et aux autres ; et pendant que vous serez les mêmes, vous ne devez point espérer de voir la paix.

Trygée.

Et où est elle donc allée, cette pauvre paix ?

Mer.

Le dieu de la guerre l’a enfermé dans un antre profond.

Trygée.

Et quel antre ? s’il vous plâit.

Mer.

Tiens. Le vois tu là-bas ? Vois tu aussi de quel monceau de pierres il en a bouché l’entrée afin

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(a) Petite ville sur la côte du Péloponèse, prise et ruinée par les Athéniens.

(b) Ville ennemie des Athéniens, et la source de la guerre à cause du décret de Périclès contre elle.

que vous ne puissiez jamais l’avoir.

Trygée.

Mais, je vous prie que veut il donc faire de nous ?

Merc.

Ma foi, tout ce que j’en sais, c’est qu’il apportait hier au soir un mortier d’une grandeur prodigieuse.

Trygée.

Et pour quoi faire ? Grands Dieux !

Mer.

Pour broyer dedans, à ce qu’il dit, les villes de la Grèce. Mais je me retire ; car il me semble que je l’entends qui vient.

Trygée.

Hélas, Seigneur Mercure , permettez que je l’évite aussi ; car j’ai entendu comme vous le son du pilon et du mortier. du mortier et du pilon.



Le dieu de la guerre. Trygée. Le tumulte. Le dieu de la guerre.

À moi, mortels ; malheureux mortels ; que je vous traite comme vous le méritez.

Trygée.

O ! Dieux ! Quel prodigieux mortier ! Quels regards ! Quels yeux ! Quelle taille !

Le D. de la G.

Mettez ici Prosie (a) petite ville du Péloponèse. Malheureuse bicoque ! Que je ne te broie comme il faut !

Trygée.

Au moins, cela ne regarde t il que les Lacédémoniens.

Le D. de la G.

Allons, Mégare (b) , Mégare ! En poudre cette malheureuse Mégare .

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X

X

f°06 Trygée.

Grands Dieux ! Comme il brise cette malheureuse ville !

Le D. de la G.

Et toi, Sicile, éprouve quelle est ici la force de mon bras. Allons ; mêlons à cette masse un peu de miel attique.

Trygée.

De grace, monsieur , épargnez celui là : vous en trouverez assez d’autre à meilleur marché !

Le D.

Laquais ! Laquais ! Où est-il ce fripon de Tumulte !

Le tumulte.

Que voulez vous, monsieur ?

Le D.

Comment, coquin ! Tu demeures les bras croisés pendant que je travaille ! (il lui donne un soufflet) Voilà pour t’apprendre ton devoir.

Le tu.

Monsieur ! Je ne vous demandais rien.

Le D.

Et moi, je te dis que tu coures me quérir l’égrugeoir au sel.

Le tu.

Mais vous ne songez pas que nous ne sommes ici que d’hier, et que nous n’avons pas encore la moitié de ce qu’il nous faut.

Le D.

Cours en emprunter chez les Athéniens. Cléon est toujours prêt à le donner à ses amis.

Le tu.

Monsieur, vous frappez si diablement fort, qu’il faut bien vous obéir.

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(c) La mort de Cléon arriva l’an 3550 ou 3551.

(d) Mort en même temps que Cléon .

Trygée.

Hélas que deviendrons nous, pauvres malheureux que nous sommes ! S’il peut avoir l’égrugeoir ? Comme il va mettre toute la Grèce en feu ! Ah ! que le valet puisse se casser le cou avant que de revenir !

Le D.

Laquais !

Le tu.

Eh bien, qu’est ce !

Le D.

Tu n’as point l’égrugeoir ?

Le tu.

Ma foi ! Le marchand de cuir qui brouillait toute la Grèce (c) est mort, et je m’en suis revenu les mains vides.

Trygée.

Dieux ! Quel bonheur pour nous, et quelle heureuse conjecture !

Le D.

Va-t’en en demander chez les Lacédémoniens, à Brasidas (d) . Marcheras tu ?

Le tu.

Tout à l’heure, mon maitre.

Le D.

Es tu revenu ?

Trygée.

C’en est fait, si ce coquin revient. Hélas ! messieurs, n’y a t-il point quelqu’un d'entre vous qui ait été initié aux mystères des cabires d' Hécate , et de Cérès en Samothrace ? Qu’il essaie de fléchir la colère des Dieux, et de faire casser les jambes au messager.

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[illisible]2

f°07 Le tu.

Malheur ! Mon maitre, malheur ! Et encore un fois malheur !

Le D.

Qu’y a t’il ? N’as tu rien apporté ?

Le tu.

Il n’y a plus d’égrugeoir chez les Lacédémoniens.

Le D.

Et comment l’entends tu ?

Le tu.

Ils l’avaient envoyé jusqu’en Thrace à d’autres, et il s’est perdu à Amphipolis (f) avec Brasidas .

Trygée.

Courage, courage. Ah ! Que c’est bien fait !

Le D.

Qu’on ôte tout cela d’ici. Je m’en vais faire un égrugeoir et un pilon, moi, puisque nous n’en trouvons point à emprunter.

Trygée.

Ah ! Que je me sens soulagé, après avoir eu de si vives terreurs ! Allons les amis ; c’est ici qu’il faut user de diligence pour délivrer la paix avant que le dieu de la guerre ait fait ce qu’il a en tête. Où êtes vous laboureurs ? Où êtes-vous, marchands ? À moi maçons ! À moi ouvriers. Venez tous ; que tout le peuple s’assemble, muni de cables et de leviers ; et profitons de l’absence de notre ennemi pour enlever la paix.



Le chœur. Trygée. Le chœur.

Assemblons nous tous, unissons-nous, puisqu’il

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s’agit de nous délivrer une fois pour toutes de la guerre et de toutes ses suites. Et toi, Trygée , dis nous ce qu’il faut que nous fassions. Préside au travail et à l’entreprise, et périsse celui qui s’en dédira, avant qu'à force de leviers et de machines nous ayons mis au jour la Déesse qui fait l’objet de tous nos désirs.

Trygée.

Mais si vous ne vous taisez, vous ferez revenir ici le Dieu de la guerre.

Le ch.

Et comment se taire, quand on a si grand sujet de se réjouir ?

Trygée.

Réjouissez-vous, à la bonne heure ; mais prenez garde de rappeler par vos cris ce détestable Cerbère , qui ne manquerait pas de rompre notre entreprise.

Le ch.

Lui ? Quand tous les Dieux y seraient, ils ne nous ôteraient pas la paix des mains, si nous la tenons une fois.

Trygée.

Ah ! Vous me faites mourir. Se tairont ils ? Voulez vous donc que le Dieu de la guerre revienne et qu’il brouille tout plus que jamais !

Le ch.

Qu’il renverse, qu’il brouille, qu’il confonde, nous voulons nous réjouir.

Trygée.

Eh ! Mes amis ! Tenez-vous en repos, au nom des Dieux ! Vous perdez tout par vos sauts.

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f°08 Le ch.

En bonne foi, c’est malgré nous que nos jambes dansent, sans que nous le leur commandions.

Trygée.

C’est assez, mes amis. Eh ! Finissez donc.

Le ch.

C’est fait ; nous ne dansons plus.

Trygée.

Bagatelle. Et vous dansez plus que jamais.

Le ch.

Mon petit bonhomme ! Encore un saut ; et puis nous cessons.

Trygée.

Faites-donc, et finissez.

Le ch.

Nous ne danserons plus, quand tu nous en prierais.

Trygée.

Vous vous moquez ; vous recommencez de plus belle.

Le ch.

Cette petite pirouette sur le pied gauche ; et c’est fait.

Trygée.

Je vous le permets ; car il faut vous accorder quelque chose.

Le ch.

Mais le pied droit se plaindrait, si on ne lui faisait la même grase grâce. Dansons. Chantons. Gambadons, puisque nous nous voyons à la veille d’être délivrés des misères de la guerre.

Trygée.

Ce n’est pas encore le temps de nous réjouir. Mais

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(g) C’est ce qu’il répondit à celui qui lui demandait : que fais-tu ? Depuis, comme il marchandait de la via viande à la boucherie, et allongeait la main, pour marquer d’où il en voulait, le boucher Théagène la lui coupa, et dit : Cette main ne livrera plus de villes. Le nom de Cillicon avait passé en proverbe pour moquer un traitre ; comme celui de Démoclide , pour l’hôte adultère ; celui d’ Euribate pour marquer un scélérat ; et celui de Timaque , pour indiquer un homme accoutumé au crime. etc.

quand nous tiendrons la paix ; ce sera alors que chacun pourra se donner du bon temps.

Le ch.

O ! Paix ! Heureuse paix ! Quand pourrons nous te posséder ? Quand pourrons nous vivre en liberté, quitter des embarras d’une obéissance importune qui nous rend sujets aux caprices de commandants ? Quand pourrons-nous changer notre paille en de bons lits ? N'avons nous d’autre soin que de nous donner du bon temps, et ne nous occuper que de ce qui nous regarde ? Quand quitterons nous le javelot et la rondache ? Dis nous, Trygée , ce qu’il faut faire : nous t'obéirons exactement.

Trygée.

Il faut commencer d’abord par voir où nous mettrons les pierres qui bouchent l’entrée de la caverne.



Mercure. Trygée. Le chœur. Mercure.

Scélérat ! Insolent ! Téméraire ! Que penses tu faire ici ?

Trygée.

Je vous répondrai comme Cillicon (g) ; lorsque vendait l’ Ile de Milet à ceux de Prienne : Rien de mauvais.

Mer.

Rien de Ma mauvais ! Misérable !

Trygée.

Et non, monsieur Mercure , si la fortune m'assiste, et j’espère qu’elle m’assistera.

Mer.

C’est fait de toi, malheureux ; tu es perdu, tu mourras.

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(h) Quoiqu’il y eût plusieurs condamnés, on n’en faisait mourir qu'un par jour. On tirait au sort, et celui qui tirait le mauvais passait le pas. On appelait ce mauvais sort Mercure à cause que Mercure conduit les ames aux enfers.

f°09 Trygée.

Et quand, s’il vous plait ?

Mer.

Tout à cette heure.

Trygée.

Je vous demande pardon. Je n’ai pas tiré le mauvais (h) sort, et puisque vous présidez à cette décision du hazard [sic], je me flatte que vous me ferez mettre la main en bon lieu. D’ailleurs je n’ai pas encore fait mon paquet.

Mer.

Il n’y a point à rire ; c’est une chose résolue chez Jupiter , qui le premier qui fouillera là dedans périra.

Trygée.

Il faut donc de nécessité que je meure ?

Mer.

Bien entendu.

Trygée.

Prétez moi donc, je vous prie, trois dragmes pour acheter un petit cochon ; car je veux me faire initier avant que de mourir.

Mer.

O ! Jupiter ! Où sont vos foudres !

Trygée.

Mon cher petit maitre ! Au nom des Dieux, ne nous décèlez pas.

Mer.

Non, je ne puis me taire.

Trygée.

Au nom de la viande que je vous ai apportée.

Mer.

Mais mon bon homme, Jupiter me rossera, si

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(i) On en parle comme d’un homme timide.

si je ne jase.

Trygée.

Mon pauvre petit Mercure ! Je vous en prie ne dites rien. Et vous, que je ne pouvais faire taire tantôt, ne joindrez vous pas vos prières aux miennes ?

Le chœur.

Monseigneur Mercure ! Eh ! Ne dites rien de tout ceci ! Souvenez vous des morceaux dont nous vous avons fait part.

Trygée.

Mon seigneur ! Mon maitre ! Mon roi ! n’entendez vous pas ce qu’il vous disent ?

Le ch.

Ne vous fâchez pas, mon seigneur Mercure , contre des suppliants qui invoquent votre secours. Aidez nous à retirer la paix de la caverne où elle est enfermée. Nous vous en prions par la haine que vous avez toujours eue pour (i) Pysandre et ses plumets. Et par les sacrifices et les présents dont nous avons toujours eu soin de vous honorer.

Trygée.

Eh ! Monseigneur Mercure ! Ayez pitié d’eux : écoutez favorablement leurs prières. Ils vous honorent plus que jamais.

Mer.

C’est qu’ils n’ont jamais été si larrons qu’à présent.

Trygée.

En récompense je vous découvrirai une conspiration qui s’est faite contre tous les Dieux.

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f°10 Mer.

Oh ! Pour cela, je me sens fléchir. Mais dis-moi donc vite ce secret.

Trygée.

Je vous dirai que la lune, et ce méchant soleil nous en veulent depuis longtemps, et qu’ils livrent par trahison la Grèce aux barbares.

Mer.

Et pourquoi cela ?

Trygée.

Par jalousie : parce que nous adorons les Dieux. Les barbares n’adorent que ces deux astres ; et ces deux traitres voudraient bien qu’ils fussent maitres de la Grèce, afin que tous les honneurs que l’on vous rend à vous autres, ne s’adressassent plus qu’à eux.

Mer.

Ah ! Oh ! Je ne m’étonne plus s’il y a si longtemps qu’ils s’entr'entendent à rogner les mois par leurs éclipses prétendues, par leurs conjonctions et leurs irrégularités.

Trygée.

C’est cela même ; et ils n’ont pu s’empêcher de faire voir leur mauvaise volonté. C’est pourquoi, mon cher Mercure , aidez-nous à retirer cette pauvre paix ; et nous vous rendrons un culte extraordinaire dont toutes les villes de la Grèce. Par avance je vous fais présent de cette coupe d’or.

Mer.

Ah ! Vous me gagnez ! J’ai toujours aimé les présents (je voulais dire les hommes) allons ; qu’on travaille et qu’on ôte ces pierres.

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Trygée.

Mercure ! Pour commencer, prenez cette coupe, et faites les libations pendant que nous allons invoquer les Dieux.

Mer.

Paix. Paix. Silence. Attention.

Trygée.

Nous prions les Dieux que ce jour soit pour nous le commencement d’un plus heureux sort ; et que quiconque tirera comme il faut au cordage, puisse être exempt d’endosser jamais la cuirasse.

Le ch.

Oui, exempt pour toujours et qu’il vive désormais en paix grattant ses tisons auprès de sa bergère.

Trygée.

Et que celui qui préférera la guerre à la paix, n’ait d’autre occupation que de se tirer les pointes des javelots des coudes.

Le ch.

Et que celui qui par ambition pour le commandement nous envie le retour de la paix, soit traité comme Cléonyme .

Trygée.

Et que celui qui souhaite la guerre, à cause qu’il ne vit que du trafic des javelots et des rondaches, puisse être pris par les ennemis, et ne mange que du pain d'orge.

Le ch.

Et que celui qui refuse de nous aider, parce qu’il aspire à commander dans les troupes puisse être puisseêtre mis à l’estrapade comme un esclave

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f°11

qui cherche à prendre la fuite. Mais pour nous, que nous puissions être comblés de toutes sortes de biens. Allons travaillons, courage.

Trygée.

Courage, courage. À Mercure ! Aux grâces ! À l’occasion ! À Vénus ! Au désir !

Le ch.

Et à Mars .

Trygée.

Laissez là Mars et sa sequelle.

Le ch.

Allons ; que chacun tire comme il faut sur le cordage.

Mer.

O ! hop.

Le ch.

O ! hop.

Mer.

O ! hop.

Le ch.

O ! hop.

Mer.

O ! hop.

Trygée.

Morbleu ! Il y en a qui ne tirent pas également. Eh ! Que faites vous là Béotiens ! Vous vous feignez.

Mer.

Allons ; reprenez.

Trygée.

Allons ; reprenons.

Partie du chœur.

Et tirez donc, vous autres.

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Le chœur.

Ne voyez vous pas comme nous y mettons toutes nos forces !

Mer.

Courage. Tirez fort.

Trygée.

Tirez.

Partie du chœur.

Efforcez vous donc, vous autres. Vous calez.

Le ch.

Point du tout. La sueur me coule de tout le corps.

Trygée.

Eh ! D’où vient que nous n’avançons point ?

Le ch.

O ! Lamachus au diable ! C’est toi qui retardes l'ouvrage loin d’ici au plus tôt. Nous n’avons que faire de ta Crète, ni de ta Méduse.

Mer.

Il y a aussi ces Argiens qui ne tirent point. Vous diriez qu’ils seraient d’avec nous ; et ils ne font rien à leur ordinaire, que se moquer des malheureux et vendre leurs denrées, à la faveur d’une neutralité dont leur lâcheté ne s’accommode que trop.

Trygée.

En récompense aussi, les Lacédémoniens tirent comme il faut au cable.

Mer.

Oui ; et particulièrement ceux qui avaient pris dans Sphactérie. Mais ils tireraient encore bien mieux si Cléon , qui leur a rendu la liberté n’avait ralenti l’ardeur qu’ils avaient pour la paix. Courage donc. Tous ensemble. Allons.

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f°12 Mer.1

Oh ! Hop.

Trygée.

Tirez fort.

Mer.

Oh ! Hop.

Trygée.

Encore plus fort.

Mer.

Oh ! Hop. Oh ! Hop.

Le ch.

Rien ne branle encore.

Trygée.

Eh ! Comment avancer, pendant que les uns tirent contre les autres.

Mer.

Allons, à présent.

Trygée.

Allons.

Le ch.

Eh ! Morbleu, nous ne ferons rien, pendant qu’il y Vous serez rossés messieurs les Argiens.

Mer.

Allons, à présent.

Trygée.

Allons.

Le ch.

Eh ! Morbleu, nous ne ferons rien, pendant qu’il y en aura parmi nous qui ne voudront pas la paix : Ceux qui la souhaitent, tirent à merveilles ; mais il y en a qui rendent leurs efforts inutiles.

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395

(a) La comédie avait été interdite pendant 3 ans. Voyez la préface.

Trygée.

Allez au diable, belîtres de Mégariens. La paix vous a en horreur, vous êtes les premiers qui l'avez chassée ; et les Athéniens qui défont ce que vous faites, feraient mieux de changer de place, afin que l’animosité particulière ne portât pont préjudice au bien public. Retirez vous les uns et les autres, et vous tenez sur le bord de la mer.

Le ch.

À nous autres laboureurs ; allons ; c’est à nous qu’il importe le plus d’avoir la paix.

Trygée.

O ! pour à présent l’ouvrage avance.

Le ch.

Courage donc puisque l’ouvrage avance plus que devant.

Trygée.

Courage, bons laboureurs ; vous faites merveille.

Le ch.

Courage, courage ! La paix n’est pas loin. Tirons, forçons. Encore. Ah ! Voilà l’objet de nos désirs qui parait enfin à nos yeux.

Trygée.

Vénérable mère de la vendange ! Que vous dirai-je pour vous marquer la joie que j’ai de votre retour ? Excusez si les paroles manquent à un pauvre vigneron ! Soyez la bien venue, vous et votre suite. Eh ! Bonjour (a) la comédie ! Ah ! que ces yeux gais et brillants me ravissent ! Quelle odeur admirable se répand autour de nous ? Que cela est bien d’un autre gôut que l’attirail de la guerre !

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396

X

f°13 Mer.

Eh ! Fi ! Au diable ; ne me parlez point de l’odeur de la guerre. Elle ne sont que l’oignon, l’ail, et les vilaines exhalaisons que cause cette mauvaise nourriture. Au lieu que la paix et la moisson vous sentent les fêtes, les Bacchanales, la symphonie, les spectacles, les grives, les poésies spirituelles d’Euripide ……….

Trygée ( bas)

(Pour celui là, je suis sur que la paix n’en est pas d’accord, et qu’elle n’aime pas un poète dont les compositions sentent le plaidoyer.)

Mercure (continue)

Le lierre, le pressoir, les bêlements des moutons, les grivoises qui vont au lit, les servantes ivres qui cassent les verres ; enfin tous les plaisirs imaginables.

Trygée.

Voyez maintenant les villes, comme elles se sont rapprochées depuis le retour de la paix, et comme elles conversent familièrement, avec une joie si bien marquée sur leur visage, quoique l’on y voie encore les vestiges de ce que la guerre leur a fait souffrir. Voyez aussi les spectateurs, et considérez comme chacun, selon les différents métiers qu’il exerce, s’afflige ou se réjouit du retour de la paix.

Mer.

Cela fait un plaisant contraste, voyez ce marchand de plumier et de lambrequins qui s’arrache la barbe, à coté de cet autre marchand de bêches et de hoyaux, qui par insulte, pête au nez d’un fourbisseur.

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397

Trygée.

Et ce taillandier qui fait trafic de faux, voyez comme il fait la figue au marchand de javelots.

Mer.

Mais il est temps que tu dises aux laboureurs de s’en aller.

Trygée.

Peuples ! Écoutez ce que j’ai à vous dire. Que les laboureurs prennent leurs outils et s'en aillent aux champs, sans javelots, épée, ni pertuisane. Tout est en paix présentement. Que chacun s’en aille travailler et se réjouir.

Le ch.

O ! jour agréable aux gens de bien, surtout aux laboureurs ! Quelle joie de se voir en état d’aller dire un mot aux vignes et aux figuiers que l’on a plantés dans sa jeunesse !

Trygée.

Mais avant que de partir, il faut, bonnes gens, faire des voeux à la déesse qui nous a ôté ce harnais meurtrier de dessus le corps. Qu’après cela chacun coure voir ses figues et ses vignes.

Mer.

Qu’il est beau de voir ce concours et cette joie universelle !

Trygée.

O ! Qu’il est beau de voir un hoyau bien emmanché ; des bêches qui reluisent au soleil, une vigne plantée par rangs et bien nette ! Que j’ai de passion d’aller faire un tour à la campagne et de me remettre à labourer mon petit terrain ! Compagnons ! Souvenez vous

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f°14

de l’heureuse vie que nous menions avant que d’être renfermés ici, et des boucliers bien faits qui la paix répandait sur nous ; des figues, das myrtes, du moût, des fleurs, des violettes, des ruisseaux, de la verdure et des fontaines ; et marquons en notre reconnaissance à la paix.

Le ch.

Heureuse paix ! Qui par votre re tour avez répondu à notre attente, soyez la bienvenue. Personne ne soupirait plus ardemment qui pour votre retour que nous autres, qui nous appliquons à l’agriculture. Il n’y a que vous dont nous attendions du bien. Nos vignes, nos figuiers et nos arbres vont se réjouir avec nous de votre arrivée. Mais vous, le plus propice des Dieux, apprenez nous ce qui avait obligé la paix à nous abandonner, et où elle s’était retirée depuis si longtemps.

Mer.

Je vais vous l’apprendre, puisque vous souhaitez de le savoir. La première chose qui a rebuté la paix a été le chagrin que l’on fit à Phidias sept ans avant cette guerre. On l’exila, sur une accusation (mal fondée) qu’il avait volé de l’or de la statue de Pallas qu’il avait été chargé de faire, et il s’enfuit en Elide. Périclès , qui lui avait procuré cet ouvrage, eut peur d’avoir part à sa mauvaise fortune comme il connaissait quelles gens vous êtes, quand il s’agit de repasser la conduite de ceux qui vous gouvernent, il vous prévint, avant que vous pussiez mettre la dent sur lui ; et avec

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l’étincelle de Mégare mit le feu dans la ville ; il eut le soin de le souffler ; et l'incendie est allé si loin, que tous les Grecs ont été aveuglés de la fumée. Dans ce désordre la vigne a craqué contre la vigne, et le mui [?] frappé en a frappé d’autres, sans que personne jusqu’à présent y ait pu apporter remède.

Trygée.

O ! Dieux ! Je n’avais point entendu parler de cela jusqu’à cette heure, et je ne m’imagine pas qu’il y eût quelque liaison entre Phidias et la paix.

Le ch.

Ni moi, de même. Je ne m’étonne plus si la paix est si belle ; il faut qu’elle soit parente de Phidias . Dieux ! qu’il y a de choses que nous ignorons !

Mer.

Ensuite de cela, quand les villes qui étaient sous votre empire s’aperçurent que vous étiez divisés, et que vous ne pensiez qu’à vous déchirer les uns les autres ; elles profitèrent de l’occasion pour s’exempter de vous payer le tribut ordinaire. Elles s’adressèrent aux Lacédémoniens moqueurs et avares, qui pour quelqu’argent qui leur fut donné, chassèrent la paix et entreprirent la guerre. Les laboureurs furent les premiers qui en ressentirent les effets. Car nos galères, pour se venger des Lacédémoniens exterminèrent les figuiers de gens qui n’en pouvaient m oins. [?]

Le ch.

Ce fut bien fait ; aussi bien les Lacédémoniens

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400

f°15

avaient ils coupé un plant de raisin noir que j’avais élevé moi même.

Trygée.

C’est bien dit. Et à moi, ils m’avaient cassé d’un coup de pierre un tonneau de plus de deux cents pintes.

Mer.

Il arriva donc que tout le peuple de la campagne fut obligé de se retirer dans cette ville, où ceux qui gouvernaient, les voyant à leur discrétion ; à cause de la disette et de l’indigence où ils étaient, chassèrent la paix avec des huées épouvantables et à grands coups de fourches ; et cela, non pas une fois, mais plusieurs. Car la paix vous aimait, et se montrait de temps en temps. Pour vous amuser, on chicanait de jour à autre les plus puissants de vos alliés, et on vous les faisait gouspiller1, sous prétexte qu’ils étaient d’intelligence avec Brasi Brasidas . Votre république était toujours prête à dévorer ceux à qui leurs envieux trouvaient bon s d’imputer quelque crime. Les accusés, d’autre part, fermaient la bouche aux dénonciateurs à force de présents ; et plusieurs se sont enrichis de cette manière. Pendant ce temps là, on vous cachait que la Grèce devenait un désert ; et l’auteur de tout cela était le marchand de cuirs.

Trygée.

Laissez-le là, monsieur Mercure ; il est maintenant des vôtres. Il est là bas, et il est bien. Si vous dites que ç’a été un méchant homme,

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401

un fanfaron, un calomniateur, un boute feu. C’est oublier la considération que vous devez à ceux qui ont passé sous votre baguette. Mais vous, vénérable paix ! Pourquoi gardez vous le silence ? Dites le moi, je vous en conjure.

Mer.

Elle ne le dira pas devant les spectateurs. Elle a encore du ressentiment des maux qu'ils lui ont fait endurer.

Trygée.

Mais qu’elle vous le dise au moins à l'oreille.

Mer.

Dis le moi tout bas, ma chère, toi qui de toutes les femmes as les armes le plus en horreur. Fort bien. J’entends. Est-ce là ce que tu leur reproches ? Ecoutez, vous autres, ce qui lui tient au cœur. Elle dit qu’après l’affaire de Pyle, elle vint ici avec un plein coffre de trèves, et que dans l’assemblée vous la rejettates jusques à trois fois.

Trygée.

Hélas ! Nous fîmes une faute, et nous en demandons pardon. Nous avions l’esprit dans les fers.

Mer.

Ecoutez ce qu’elle vient de me demander. Elle veut savoir qui sont ceux qui lui veulent du bien et qui lui veulent sont les autres.

Trygée.

Le meilleur de ses amis a toujours été Cléonyme .

Mer.

Et quel homme est ce pour la guerre, que Cléonyme ?

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402

(b) Au sujet d’ Hyperbole , voyez Plutarque en Nicias.

f°16 Trygée.

C’est un brave homme ; à cela près qu’il n’est pas fils de son père, et qu’il prend la fuite quand il se trouve dans le danger.

Mer.

Autre question qu’Elle me fait. Qui est ce qui est assis maintenant sur le premier siège de l’assemblée ?

Trygée.

C’est (b) Hyperbole . D'où vient Mais d’où vient qu’elle tourne la tête ?

Mer.

Elle est fachée contre le peuple de ce qu’il s’est donné pour maitre un homme sans mérite.

Trygée.

Eh ! bien, nous ne nous en servirons plus. C’était faute d’autre, que le peuple l’a nommé.

Mer.

Mais elle demande comment on pourra raccommoder cela ?

Trygée.

Parbleu, nous tirerons un grand avantage de son gouvernement si nous voulons. Car il me souvient qu’il faisait autrefois des lampes, et il ne tiendra plus qu’à nous de voir clair dans nos affaires, avec son secours.

Mer.

Oh ! Oh ! Voici bien d’autres questions.

Trygée.

Et quoi, par exemple ?

Mer.

Elle parle du vieux temps, et de ce qu’elle avait laissé ici autrefois ; et premièrement

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403

(c) D’un seul trait de plume, le poète blâme l’avarice de Simonide et de sophocle . Pindare a appelé la muse de Simonide Φιλοκερδία, amatrice du lucre. En effet, il ne travaillait que pour l’argent. Un homme qui avait remporté le prix de la course avec des mules, le pria de composer un hymne sur sa victoire. Simonide lui répondit qu’il était indigne de chanter des mules, mais l’homme haussa si fort le prix, que Simonide enfin persuadé fit une ode qui commençait par ces mots : hon honneur aux filles des chevaux aux pieds de tourbillon. Sophocle était plutôt prodigue et peu ménager qu’avare. Il gagna beaucoup d’argent dans l’intendance de Samos qu’il exerça.

ce qu’est devenu Sophocle ?

Trygée.

Il se porte bien ; mais il lui est arrivé une chose bien extraordinaire.

Mer.

Et comme quoi ?

Trygée.

De Sophocle , il est devenu Simonide .

Mer.

Simonide ? Et comment cela ?

Trygée.

Se sentant vieux, il est devenu si avide (c) d'argent que pour gagner peu de chose il s’embarquerait sur un jonc.

Mercure.

Et le savant Cratin ?

Trygée.

Il mourut dès la première invasion des Lacédémoniens.

Mer.

Et comment ?

Trygée.

Il ne put survivre à la perte de son tonneau qui fut brisé par les ennemis. Mais vous Madame la paix, nous ne vous laisserons point aller.

Mer.

Mon bon homme ! Pour la peine que tu as prise, la paix te fait présent de la vendange. Voilà un beau brin de femme. Emmène là avec toi.

Trygée.

Approche, mon cher cœur, que je t’embrasse. Vous en riez, monsieur Mercure ! Eh ! la, la

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404

f°17

je ne suis pas encore si décrépit que je ne puisse encore faire mon devoir.

Mer.

Il faudra quelques secours auparavant, et puis avec un peu de discrétion, tout ira bien. Voilà aussi un présent pour le peuple, la comédie que la paix vous laisse.

Trygée.

O ! peuple d' Athènes que tu vas être content avec ce présent conforme à tes inclinations ! Serviteur, mon cher Mercure .

Mer.

Adieu, bon homme, souviens toi de moi.

Trygée.

Holà ! Mon Escarbot ! Retournons vite au logis.

Mer.

Ton Escarbot n’est plus ici.

Trygée.

Où est il donc allé ?

Mer.

Sous le char de Jupiter , afin de voiturer la foudre.

Trygée.

Hélas le pauvre animal ! Qui lui donnera à manger ?

Mer.

Ganymède aura soin de lui faire de l’amb l’ambroisie.

Trygée.

Et moi, comment m’en irai-je ?

Mer.

Tu n’as qu’à t’appuyer sur la paix. N’aies point peur.

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405

Trygée.

Allons, fillettes, qu’on me suive. Il y a bien du monde qui vous attend là bas avec une amoureuse impatience.

Le ch.

Marche devant, bon homme. Pour nous, après avoir donné tout ceci à garder aux valets, de peur des larrons qui rôdent autour des coulisses ; nous dirons un mot aux spe spec spectateurs.

Entracte, ou digression.

Il eût fallu donner le fouet aux premiers auteurs de comédies qui se sont avisés de se faire louer eux-mêmes en vers anapestiques dans l’intermède. Mais puisque la coutume est établie, et que celui qui nous fait parler l’emporte de cent piques au dessus des autres poètes, on peut le louer, sans craindre que les jaloux osent nous en dédire. Il est le seul qui ait trouvé le secret d’imposer silence à ses adversaires et de les rendre muets, eux que de jaser possède si fort, dont tous les bons mots ne sont fondés que sur les guenilles et les poux des gueux qu’ils introduisent sur la scène ; qui se croient au dessus de tout, quand ils ont représenté Hercule mangeant goulûment, ou mourant de faim ; d’autres qui chicanent leur vie par de méchantes apologies ; des patelins qui font des tours de passe passe ; des misérables qu’on rosse. Eh ! Fi ; ce n’est que de la piquette que tout cela. Notre poète a

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(a) Cléon contre qui il a fait les Chevaliers .

f°18

purgé le théatre de toute cette canaille, aussi bien que des valets qui se plaignent d’avoir été battus, afin qu’un autre valet vienne, en les raillant, faire de méchants et fades jeux de mots en comptant leurs coups ; à quoi nous ajoutons les turlupinades basses et sans sel, dont il a aussi purgé le théatre. Mais savez vous qui sont ceux qu’il introduit sur la scène, pour les tourner en ridicule, et quel courage il lui a fallu pour l’entreprendre ? Ce ne sont ni des hommes, ni des femmes du commun. Il s’est revétu d’une force d’ Hercule ; et bravant la mauvaise odeur des cuirs et les menaces les plus capables de faire treml trembler l’homme le plus assuré, il s’est attaché d’abord au plus (a) redoutable entre tous les autres ; à cet homme dont les regards effrontés étaient d’une vivacité à surprendre tout le monde ; dont la tête était environnée de cent têtes de flatteurs qui le léchaient sans cesse ; qui exhalait une odeur de marée pourrie ; sale, puant, infecté dans toutes les issues de son corps. Ce monstre ne lui fit point de peur ; il l’attaqua d’abord et le terrassa ; et vous êtes dans l’obligation de lui en témoigner votre reconnaissance. Et puis, quel homme est ce que notre poète ? Il n’est point de ceux qui cajolent les petits garçons derrière le théatre, après que la pièce est jouée. Il fait lever les toiles aussitôt que l’on a fini et se retire. En un mot, il tâche de ne chagriner personne, et de réjouir tout le monde. C’est pourquoi nous exhortons tous les spectateurs

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(b) Poète tragique mauvais. Mais assez bon médecin des yeux. Il était fils de Philoclès , poète tragique, qui donna après le Térée de Sophocle Pandion. Morsime eut un fils nommé Amphidamas .

(c) Mélanthius , poète tragique, gourmand, débauché et lépreux.

à lui être favorables, jeunes et vieux, surtout les chauves ; car il est de leur confrérie ; et ce sera un grand plaisir pour eux et pour lui (s’il gagne le prix par vos suffrages) d’entendre dire dans tous les banquets : À la santé du chauve ! Chargez l’assiette du pelé ; c’est un brave poète ; vivent les chauves ; ils ont plus de front que les autres !

Ode pour la danse.

O ! muse amie de la paix ! Viens danser avec moi ; en chantant les intrigues amoureuses du ciel, les festins des hommes, et les banquets des Dieux. Et si Carcinus , suivi de ses mirmidons d’enfants, vient te prier de la même faveur, laisse-le sans l’écouter ; dis lui que ses marmots ne sont pas plus grands que des cailles ; qu’ils ont le cou plus long que les jambes ; qu’ils ne sont pas plus gros que des crottes de chèvre ; et que leurs machines sont ridicules ; aussi et bien dit-on que leur père doit régaler ce soir tout ce peuple d' Athènes d’une tragédie de chats et de rats. La riche invention ! Mais louons notre poète, cet homme excellent qui le mérite si bien. Au reste que Morsime (b) , ni Mélanthius (c) ne mènent point le branle. Le premier est un fort bon poète pour guérir les maux des yeux : et l’autre a la voix trop aigre pour faire danser personne, quand il se mèlera de chanter. Son frère et lui sont deux grandes machoires, deux friands, deux harpies,

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f°19

des galants de vieilles, deux bouquins puants. Muse ! Crache leur au nez, et ne danse qu’avec moi, pour honorer cette fête.



Trygée. Son valet. Trygée.

Ah ! Que c’est une pénible route, que celle qui nous ramène du ciel au logis ! J’en suis si las, que je ne puis tenir sur mes jambes. Pour vous, Messieurs, vous ne me paraissiez pas de là haut plus grands que cela. Ma vue me trompait à la vérité ; mais si je ne vois rien qui vaille d’en haut, ma foi, je ne vois encore rien qui vaille d’ici.

Le va.

Mon maitre ! Mon cher maitre ! Vous voilà donc de retour !

Trygée.

On le dit.

Le va.

Et qu’avez vous fait ?

Trygée.

Je me suis étrangement fatigué dans une si longue route.

Le va.

Je voudrais bien vous demander quelque chose.

Trygée.

Et quoi ?

Le va.

Avez vous trouvé quelqu’autre homme qui volât en l’air comme vous.

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(d) Auteur de dithyrambes, dont l’un commençait par : Nous attendons l’astre hante-l’air et matineux, qui précède de ses ailes légères , le dieu du jour. Suidas dit qu’il a aussi écrit sur les météores.

Trygée.

Personne, si ce n’est les ames de deux ou trois mauvais poètes crottés.

Le va.

Et que faisaient ils là ?

Trygée.

Ils gobaient des exordes dans les nues.

Le va.

Il n’est donc pas vrai ce qu’on dit, que quand nous sommes morts nous devenons des astres ?

Trygée.

Cela n’empêche pas.

Le va.

Et qui donc, par exemple ?

Trygée.

Il y a quelques poètes, comme (d) Ion de Chio , qui se sont guindés jusques là.

Le va.

Dites moi, je vous prie ; ce que c’est que ces astres qui courent la nuit, et qui trainent une grande lumière après eux ?

Trygée.

Il y a de ces mâitres astres qui reviennent de souper chez les autres ; et quand ils s'en retournent, ils ont des lanternes allumées pour se reconduire. Mais nous en dirons davantage une autre fois. Mêne moi celle-là au logis. Remplis la cuve d’eau et la fais chauffer, et dresse un lit pour ma maitresse et pour moi. Tu me viendras retrouver ensuite. En attendant je vais délivrer celle-ci au peuple.

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410

f°20 Le va.

Mon maitre ! Je voudrais bien savoir d’où vous avez eu ces vivantes là ?

Trygée.

Du ciel, ma foi.

Le va.

Eh ! Fi, au diable ; je ne donnerais pas désormais un double de tous les Dieux, puisqu’ils s’amusent comme nous à entretenir des Garces.

Trygée.

Mon enfant ! Il y a des maquereaux partout.

Le va.

Allons, la belle, suivez moi. À propos, Monsieur, lui donnerai-je à manger ?

Trygée.

Point du tout. Elle ne voudrait mettre en son corps ni pain, ni gâteau, accoutumée qu’elle est à ne vivre que de l’ambrosie qu’elle suçait là haut.

Le va.

La pauvre enfant !



Le chœur. Trygée. Le ch.

Il est aisé de voir que ce bonhomme est content.

Trygée.

Et pourquoi ne le serais je pas, moi qui vais me marier ?

Le ch.

Quel plaisir, pour ce vieillard quand il se sentira rajeunir, et se donnera du bon temps !

Trygée.

Je le crois, ma foi, que je serai bien aise

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(f) C’est à dire le spectacle.

(g) Tous les cinq ans on célébrait le spectacle dans la ville de Brauronie.

quand je tiendrai les tetons de ma maitresse. Je m’estime plus heureux que les toupies de Carcinus ; et à bon droit ; puisque c’est moi qui, avec le secours de mon Escarbot, ai sauvé tous les Grecs, et leur ai procuré la liberté d’aller aux champs, et d’y prendre tous les plaisirs dont ils s’aviseront.



Le valet. Trygée. Le chœur. Le valet.

Monsieur ! La grivoise est à présent nette de partout, et le régal est prêt ; il ne faut plus que vous.

Trygée.

On y va. Mais il faut auparavant donner celle-ci au peuple.

Le va.

Et qui est elle ?

Trygée.

C’est (f) Théorie qui nous avons eue de (g) Brauron, après cinq ans, avec bien de la peine.

Le va.

O ! La pauvre Théorie ! qu’elle sent le vieux !

Trygée.

Et qu’importe ? Messieurs ! Y a t-il parmi vous quelqu’homme de bien à qui on puisse confier cette aimable personne, pour la garder au public ? Quoi ? Personne ne parle ? Viens ici, toi, et puisque personne ne dit rien, mettons Théorie au milieu d'eux tous, afin de nous en décharger, à leur dam.

Le va.

Un peu de patience. En voila un qui fait signe

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(h) Il a déjà été parlé d’ Ariphrade et de son frère Arignose , dans les chevaliers chevaliers.

Tout ceci offre des lacunes.

f°21

qu’il s’en chargera.

Trygée.

Qui est il ?

Le va.

C’est (h) Ariphrade , qui prie qu’on la lui donne.

Trygée.

Oui ! Da ! c’est pour son nez, afin qu’il aille lui lécher …. comme aux autres. Allons ! Fille de bien ! Déchargez-vous de tout ce fatras. Messieurs ! Vous voyez la Théorie en chair et en os. Voyez si je ne vous ai pas amené là un beau présent ! Réjouissez vous, et vous donnez du talon dans les fesses. Ne voilà-t-il pas un joli meuble ? Ce sera un fourneau pour ceux qui voudront cuire ; un pot à pisser pour d’autres ; un champion à combattre pour les athlètes ; un cheval fringant pour ceux qui voudront faire des courses. Messieurs les magistrats ! Recevez le présent que le ciel vous envoie. La peste ! qu’en voilà un qui s’en charge volontiers ! Si c’était quel- qu’autre affaire, il aurait trouvé mille raisons pour s’en déff défendre.

Le ch.

En vérité, voilà un, bon citoyen que ce Trygée .

Trygée.

Messieurs ! Quand vous ferez vendange, vous serez aussi gens de bien que nous.

Le ch.

Il paraît maintenant que tu es le sauveur de la Grèce.

Trygée.

Vous en direz encore davantage, quand vous

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413

boirez du vin nouveau à pleines écuelles.

Le ch.

Après les Dieux, tu seras celui que nous honorerons le plus.

Trygée.

Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai fait de mon mieux pour le bien public.

Le ch.

Mais que reste-t-il à faire ?

Trygée.

D’affermir la paix par un sacrifice.

Le ch.

Et quel sacrifice ferons nous ?

Trygée.

Si nous immolions un bœuf ?

Le ch.

Oh ! c’est trop.

Trygée.

Un cochon ?

Le ch.

Nous ferions grand peur à Théagène . Il croirait que ce serait lui que l’on voudrait égorger.

Trygée.

Immolons donc une brebis.

Le ch.

C’est bien dit. C’est un animal paisible, dont la douceur nous sera d’un heureux présage.

Trygée.

Qu’on amène donc la victime au plus tôt. Je fournirai l’autel.

Le ch.

La fortune nous assiste ; voila une brebis qui

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414

f°22

s’est trouvée sous la main.

Trygée.

Et voilà aussi l’autel tout à propos à ma porte.

Le ch.

Hâtons nous, pendant que le vent de la paix souffle sur nous.

Trygée.

Voilà aussi un panier où est tout ce qu’il faut pour l’immolation, l’orge salée, les bandelettes, et le couteau ; et voici le feu : qu’on amène la victime !

Le ch.

Que l’on se dépêche au plus tôt ; car si Cairis si Chairis nous aperçoit il viendra ici avec ses flûtes, sans qu’on l’appelle, et il faudra lui donner sa part du sacrifice.

Trygée (au valet).

Toi, prends le panier et l’aiguière, et fait l’aspersion autour de l’autel.

Le va.

C’est fait. Vous n’avez qu’à me commander autre chose.

Trygée.

Approche, que je trempe ce tison dans l’eau, pour faire l’aspersion sur le peuple. Et toi jette l’orge sur toute l’assemblée. Est-ce fait ?

Le va.

Oh ! Pour cela je réponds qu’il n’y a personne dans l’assemblée qui n’ait son grain d’orge.

Trygée.

Les hommes, s’entend.

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(a) Formule de la prière du sacrifice. Quis praesest ? R. Multi bonique.

(b) Date de la pièce.

Le va.

Eh ! La, la, ils en feront tâter ce soir à leurs femmes ; ainsi tout le monde en aura.

Trygée.

Faisons la prière (a) . Qui sont ceux qui assistent ici ?

Le va.

Des gens de bien, et en grand nombre.

Trygée.

Parles-tu du chœur que voilà ?

Le va.

Eh ! Pourquoi non ? Ils ont été les mieux mouillés. Mais hâtez-vous de faire l’invocation.

Trygée.

Vénérables paix ! Aimable Déesse ! Mère des jeux et des plaisirs ! Recevez notre sacrifice.

Le va.

Recevez le, o ! précieuse paix ; et ne faites pas comme ces femmes de bien qui font leurs maris cocus ; qui ouvrent la porte à demi-nue pour attendre le galant à la pipée, et qui ne se laissent jamais voir toutes entières dans ces occasions.

Trygée.

M Non, charmante paix ! Ne faites pas comme elles ; laissez-vous voir toute entière à nous, qui soupirons depuis (b) treize ans après votre retour. Chassez la discorde et le bruit des armes, les soupçons, la chicane et les querelles. Faites que nous vivions unis et en bonne amitié ; que le marché soit toujours plein de gros ail, de petits concombres, de pommes, de grenades …….

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f°23 Le va.

(de vestes pour les valets)

Trygée.

Que nous voyons aborder de Béotie des oies, des canards, des tourterelles, toute sorte de gibier, et des mannequins pleins d’anguilles. Qu’on ne nous voie occupés qu’à marchander marchander de quoi faire la fripe. Si nous avons quelque dispute, que ce ne soit qu’avec les insignes friands, Morique , Téléas , Glauquet ; et qu’après que tout sera vendu, l’on voie venir Mélanthe qui s’arrachera les cheveux de désespoir, et dira avec Médée : Tout est perdu pour moi. Il ne me reste plus qu’à mourir ; puisque j’ai manqué de trouver quelque chose qui fût de mon goût. Hélas ! Tout est vendu ; et d’autres s’en vont donner par les barbes.

Le va.

C’est assez prié. Prenez le couteau, et voyons comme vous vous apprenez à couper la gorge à une bête.

Trygée.

Mais cela n’est pas permis.

Le va.

Que voulez vous dire ?

Trygée.

La paix est ennemie du sang, et son autel n’en est jamais souillé. Je sais bien ce qu’il faut faire. Tu porteras la victime la dedans ; tu l’y tueras, et tu apporteras ici les membres qu’il faut offrir. Au moins sauverons nous la carcasse.

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Le ch.

Pour toi, Trygée , il faut que tu demeures à la porte, et que tu arranges le bois sur l’autel.

Trygée.

Je le veux. Et j’entends cela à merveille. N’ai-je pas dit vrai ? Quand ce serait pour faire la pyromancie, aurait-on mieux arrangé la paille et le bois ?

Le ch.

Il faut avouer que cet homme est admirable, et que tout lui réussit comme il veut.

Le va.

C’est fait, mon maître ; prenez les quartiers et les mettez sur l’autel : Je vais quérir les entrailles et les libations.

Trygée.

Mais il faut revenir vite.

Le va.

Me voilà de retour. Vous plaindrez vous que je vous aie fait attendre ?

Trygée.

Fais cuire tout cela. Je vois venir ici un fâcheux que je ne connais point.

Le va.

Quel diable o ! homme est-ce-là avec sa couronne ? Il a l’air fanfaron. Ne serait-ce point un devin ?

Trygée.

Non, non ; je le reconnais maintenant c’est Iéroclès Hiéroclès .

Le va.

Quoi ce Béotien, débiteur d’oracles ? Que vient il nous apprendre ?

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f°24 Trygée.

Il parait qu’il vient troubler la fête.

Le va.

Que vous êtes bon ! Je suis sur que ce n’est n’est que la fumée du rôt qui l’attire.

Trygée.

Ne faisons donc pas semblant de la voir.

Le va.

C’est bien dit.



Iéroclès. Hiéroclès Trygée. Le valet. Hiéroclès1.

Est ce qu’on ne me dira point à qui s’adresse le sacrifice ?

Trygée.

La queue se cuit à merveille.

Le va.

Comme il faut, aimable paix !

Hiéroclès.

Faites donc l’oblation, et ne m’oubliez pas.

Trygée.

Nous attendons que tout soit cuit.

Hiéroclès.

Vous vous moquez, cela est cuit de reste.

Trygée.

O ! qui que tu sois ! Tu fais bien l’important. Mêle toi de tes affaires. Coupons. Où est la table ? Où sont les libations ?

Hiéroclès.

Il faut couper la langue à part.

Trygée.

On le sait bien ; donne toi patience.

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Hiéroclès.

Mais savez vous ce que vous faites !

Le va.

Si tu parles …..

Trygée.

Ne me trouble point ; nous sacrifions à la paix.

Hiéroclès.

O ! mortels sans esprit et sans raison !

Le va.

L’animal !

Hiéroclès.

Qui sans consulter les Dieux, et par la seule imbécillité de votre esprit avait traité avec des singes aux yeux pers.

Le valet rit.

Ah ! Ah ! Ah !

Trygée.

Qu’as-tu à rire ?

Le va.

Ah ! Ah ! Ah ! Mon maitre, des singes aux yeux pers !

Hiéroclès.

Vous qui n’etes que des poules d’eau criardes comme des colombes sans déffense / défense ! Vous avez osé confier aux renards frauduleux, dont les ames doubles sont pleines de méchanceté.

Trygée.

S’il pouvait avoir les poumons aussi chauds que ce morceau !

Hiéroclès.

Car si les nymphes n’avaient trompé Bacis , Bacis n’aurait pas trompé les mortels,

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f°25

nymphes n’en auraient pas donné à garder à Bacis même.

Trygée.

Au diable le galimathias.

Hiéroclès.

Il n’était pas encore temps, malheureux ! De rompre les fers de la paix ; mais alors seulement que ……

Trygée.

Du sel, du sel.

Hiéroclès.

Il était dans les décrets des Dieux que la guerre ne devait cesser que quand les loups épouseraient les brebis ; car la sangsue, en quittant prise, jette une odeur très puante, et la chienne qui se hâte trop, fait ses chiens aveugles. Ainsi l’on ne devait point faire la paix.

Trygée.

Mais fallait-il donc se faire toujours la guerre, et tirer, pour ainsi dire, au sort, à qui pleurerait davantage, pendant qu’il n’y avait qu’à le vouloir pour faire changer l’état des choses ?

Hiéroclès.

Vous ne ferez jamais que le cancre marche droit.

Trygée.

Et toi, tu ne mangeras jamais aux dépens du public dans le Prytanée.

Iéroclès1.

Vous ne ferez jamais que le hérisson devienne doux à manier.

Trygée.

Est ce que tu ne cesseras point d’en imposer au

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peuple, par tes pompeuses fadaises.

Hiéroclès.

Et quel oracle vous a permis de faire ce sacrifice !

Trygée.

Quel oracle ? Il est dans Homère : après avoir chassé les nuages facheux de la guerre, ils firent la paix, et l’affermirent par un sacrifice. Ils firent cuire les chairs, ils mangèrent les intestins ; ensuite prenant la coupe, ils firent des libations. Et c'est moi qui ai montré le chemin aux autres.

Hiéroclès.

Cela n’est point dans les oracles de la Sybille ; je n’y prends point de part.

Trygée.

Mais écoute, Homère a dit : celui-là est sans frère, sans loi, sans maison, qui aime la guerre et la préfère à la paix.

Hiéroclès.

Mais prends garde que le milan volant autour de toi, ne t’attrape, lorsque tu y penseras le moins.

Trygée.

Voilà un oracle qui regarde un peu ces intestins ; et j’ai bien peur que le milan ne soit le parasite qui nous débite ici tant de fadaises. Verse du vin, et me sers de ces entrailles.

Hiéroclès.

Si vous le trouvez bon je m’en servirai aussi à moi- mêm même.

Trygée.

Grands Dieux ! Je bois, après vous avoir salués.

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f°26 Hiéroclès.

Verse moi aussi, mon fils, et me donne un bout de tripes.

Trygée.

Mais cela n’est pas dans les décrets des Dieux. Il faut auparavant que nous buvions et que tu t’en ailles. O ! charmante paix ! Demeure toujours avec nous.

Hiéroclès.

Tire la langue.

Trygée.

Tire la tienne, si tu veux.

Hiéroclès.

À boire, mes amis.

Trygée.

Cent coups à ce coquin d’écornifleur.

Hiéroclès.

Hélas ! Personne ne me donnera-t-il un peu de ces tripes ?

Trygée.

Il faut auparavant que le loup épouse la brebis.

Hiéroclès.

Je vous en conjure.

Trygée.

Bagatelle. Vous ne viendrez jamais à bout de rendre doux le poil d’un hérisson. Venez Messieurs, manger des tripes avec nous.

Hiéroclès.

Et moi ?

Trygée.

Mange la Sybille .

Hiéroclès.

Par la terre, il ne sera pas dit que vous

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mangerez tout ; j’en aurai ma part malgré vous.

Trygée.

Frappe, frappe, sur Bacis .

Hiéroclès.

Messieurs, je vous prends à témoin.

Trygée.

Et lui aussi, que tu es un friand et un hableur.

Le va.

Et moi, je veux lui chercher jusques dans l’ame les peaux qu’il vient de nous dérober. Prêtre de village ! Rendras-tu les peaux ?

Hiéroclès.

Serviteur, serviteur. C’est toujours autant de pris.



Le chœur.

Quelle satisfaction, de n’être plus dans l'embarras de porter le casque, et d’être délivré du fromage et des oignons ! Fi des combats et de la guerre. Tout mon plaisir est de passer l’automne et l’hiver auprès des tisons avec mes amis, en faisant cuire les marrons sous la cendre, et baisant la servante tandis que la maîtresse est au bain. Qu'y a-t il de plus doux d’être à la campagne après avoir semé ses grains ; de voir que les Dieux ont soin de les arroser ; et d’entendre le voisin qui vous dit : que ferons nous camarade ? Veux tu venir goûter de mon vin ? Femme ! Fais nous une fricassée de haricots ; apporte des figues ; que la servante aille

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/ ?

f°27

quérir le valet pour nous servir ; aussi bien la terre est trop humide pour aller travailler dans le champ ni dans la vigne. Un autre dira : et moi je fournis une grive et deux moineaux ; il y a encore au logis un pot de crème et quatre levrauts, s’il plait à monsieur le mitou . Garçon ! Apporte nous en trois, et en laisse un pour mon père. Apporte nous aussi des couronnes de myrtes, et en passant dis à Carinade le paresseux que nous l’attendons pour boire avec nous. Voilà comme on passe l’hiver. Mais le printemps est-il revenu ? Mon plaisir est de visiter mes vignes, de les voir croître peu à peu, de voir le raisin mûrir et les figues s’enfler. Et puis dans la saison l’on s’en donne tout du long des sangles ; et l’été n’est pas fini, que je suis gras à crever. Cela ne vaut il pas mieux, que de voir un bourreau de capitaine, avec ses trois queues de cheval frisées à son casque ; vetu à demi d’une houpelande d’écarlate prétendue ; qui fait le brave chez le paysan, mais qui au combat, devient plus léger à la fuite qu’un coq poursuivi du renard ; pendant que je demeure en faction. Mais ces braves sont ils en quartiers d’hiver ! Ils sont insupportables. Ils enrôlent les uns, ils ranconnent [sic] les autres ; ils maltraitent tout le monde. Là dessus la nouvelle vient qu’il faut partir demain. Le pauvre engagé, qui ne s’y attendait pas, se trouve sans provisions pour le voyage. Cependant il faut partir ! Son nom est écrit au bas de la statue de Pandion , et il n’y a point à reculer.

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(a) En grec : Collybe, la plus petite monnaie.

Il pâlit, il sue. Voilà comme ces messieurs nous traitent à la campagne. Ils sont un peu plus modérés dans les villes. Mais partout ce sont des lâches, des poltrons, que je repasserai comme ils le méritent, s’il plait à Dieu ; car je ne puis oublier les maux que m’ont fait ces fanfarons, qui sont des Lions au logis, et des renards au combat.

Trygée.

Allons, je veux souper ici, pour célébrer mes noces. Que l’on apporte la table, et qu'on l’essuie avec ces ornements de casque ; car je ne m’en veux plus servir qu’à cela. Apporte les gâteaux, les grives, les lièvres, les petits pains mollets.



Un taillandier. Trygée. Le taillandier.

Où est Trygée ? Où le trouverai-je ?

Trygée.

Je tourne la broche pour faire cuire les grives.

Le tail.

Mon cher Trygée ! Que tu nous as fait de bien en nous procurant la paix ! Il y avait longtemps que pour une faux, on ne nous voulait pas donner une pite (a) ; et mainten maintenant je les vends cinquante dragmes la pièce et les petits barils pour les faucheurs, trois dragmes. En récompense, mon cher homme, voilà de mes faux et de mes petits barils que je t’apporte. Prends en pour rien, tant qu’il te plaira. C’est un présent

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f°28

que nous te faisons sur nos profits pour honorer tes noces.

Trygée.

J’accepte le présent, et t’invite à souper avec moi, autant par reconnaissance, que pour faire enrager ce plumassier et les armuriers que je vois venir.



Un plumassier. Trygée. Le plumassier.

Je suis perdu, Trygée , tu m’as ruiné de fonds en comble.

Trygée.

Pauvres gens ! Vous me faites compassion. Comment cela s’est il pu faire ?

Le plum.

Mon métier ne vaut plus rien ; non plus que cl celui de ces armuriers.

Trygée.

J’en suis bien faché. Mais veux-tu vendre ces queues de cheval ?

Le plum.

Que me donneras tu ?

Trygée.

J’en donnerai trois jointées de figues sèches et je me servirai de ce bel ouvrage à nettoyer la table.

Le plum.

Qu’on apporte donc les figues, cela vaut encore mieux que rien.

Trygée.

Eh ! Fi donc, affronteux détestable. Reprends ta marchandise ; elle ne vaut rien ; tout le crin tombe.

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(b) La mine valait environ 10 écus ou 30 livres.

(c) Il y a la dessus un proverbe grec, dont le sens est : trois cailloux suffisent à torcher le cul, s’ils sont raboteux, mais il en faut quatre s’ils sont lisses.

Je n’en donnerais pas une figue.



Un marchand de cuirasses. Trygée. Le mar.

Malheureux que je suis ! Que ferai-je de cette belle cuirasse qui est un chef d’œuvre de mon métier, et qui eût valu hier (b) dix mines mines ?

Trygée.

L’homme à la cuirasse ! Tu n’as pas tout perdu. Laisse la moi pour le prix que j’avais offert à l’autre ; je m’en servirai de chaise percée, et je vais commencer tout à l’heure à l’essayer.

Le mar.

C’est assez de me ruiner, sans m’insulter encore.

Trygée.

Qu’on me donne trois cailloux (c) pour me torcher.

Le mar.

Comment te torcheras tu, ignorant !

Trygée.

Par les épaulières ; premièrement de ce coté ci, et puis de ce coté là.

Le mar.

Quoi donc ? À droite et à gauche par les embrasures ?

Trygée.

Eh ! Malheureux ! Crois-tu que je sois comme ces capitaines de galères, qui condamnent des trous, afin de gagner sur lel le nombre des rameurs ?

Le mar.

Mais sérieusement, cet infâme là se serait il

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f°29

servi d’une cuirasse de dix mines au lieu de chaise percée ?

Trygée.

Crois-tu donc que mon derrière ne me soit pas aussi cher que ta cuirasse ?

Le mar.

Mais paie moi donc ce qu’elle vaut.

Trygée.

Mon cher, elle me blesse le derrière. Emporte la je ne veux plus l’acheter.



Un fondeur. Trygée. Le fondeur.

Hélas ! Que ferai-je de cette belle trompette que j’avais achetée soixante dragmes ?

Trygée.

Remplis la de plomb fondu ; attache par dessus une baguette de fer au milieu, po pends deux bassins aux deux bouts ; et tu en feras une balance pour vendre des figues au marché.

Le fon.

Comment ? Se moquer encore de moi ?



Un marchand de casques. Trygée. Le mar.

O ! fortune maudite ! Tu as pris plaisir à me tromper, lorsque tu m’as porté autrefois à donner pour ces casques une mine la pièce. Que deviendrai-je maintenant ? À qui les revendre ?

Trygée.

Va t’en les revendre aux Égyptiens ; ils s’en serviront à mesurer du séné.

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X

Environ 6 sous.



Un marchand de javelots. Le marchand de casques. Trygée. Le m. de J.

Hélas ! Pauvre marchand de casques, nous sommes à plaindre !

Trygée.

Vous vous moquez, le marchand de casques n’a rien perdu.

Le m. de C.

Rien perdu ? Est ce que l’on se servira plus de casques ?

Trygée.

Non. Mais tu n’as qu’à faire deux anses à chacun, et on les achètera pour de la poterie.

Le m. de C.

Allons nous en, camarade.

Trygée.

Non pas, s’il vous plait ; car je veux acheter des javelots.

Le m. de J.

Et qu’en donneras tu ?

Trygée.

Coupe les chacun en deux, et je les acheterai pour échalas, une draqme (d) le cent.

Le m de J.

On nous insulte. Retirons nous.

Trygée.

Parbleu je vois les petits chanteurs qui sortent. C’est apparemment pour préluder ce qu’ils doivent chanter à mes noces. Approche mon fils, et voyons ce que tu sais dire.



Petits chanteurs. Trygée. Enfant de Lamach Lamachus
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f°30 Les petits chanteurs.

Commençons à chanter ces illustres guerriers.

Trygée.

Non, non, ne chante point les guerriers, puisque nous avons la paix.

Un enfant.

Aussitôt qu’ils furent en présence, les boucliers armés de pointes se mélèrent.

Trygée.

Les boucliers ! Ne te tairas-tu pas, maudit morveux ?

L’enfant.

On n’entendait de toutes parts que les cris de combattants.

Trygée.

Ma foi, je te donnerai sur le nez, avec tes cris de combattants.

L’enfant.

Mais que chanterai-je donc ? Je ne puis savoir ce que vous aimez le mieux, si vous ne me le dites.

Trygée.

Chante, qu’ils mangèrent du bœuf, et qu’ils firent grande chère.

L’enfant.

Ils se mirent à table, après avoir débridé leurs cheveux qui étaient tout en sueur, et se reposèrent un peu, pour se délasser des travaux de la guerre.

Trygée.

Passe pour se délasser.

L’enfant.

Ils recommencèrent après…..

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(c) Cela est près d’une épigramme que fit contre lui même Archiloque , meilleur poète que soldat, qui ayant laissé son bouclier aux ennemis, ne s’épargna pas plus lui-même qu’il n’épargneit les autres, car il étan était si médisant, que son nom avait passé en proverbe, pour marquer une mauvaise langue.

Trygée.

À manger, s’entend.

L’enfant.

Ils firent une sortie furieuse sur les ennemis, et il s’éleva un tumulte épouvantable.

Trygée.

Puisses-tu périr malheureusement, petit coquin, avec tes batailles ; tu n’as que cette chanson. À qui es tu ?

L’enfant.

Moi ?

Trygée.

Oui, toi-même.

L’enfant.

Je suis fils de Lamachus .

Trygée.

Je ne m’étonne pas si tu ne peux chanter que des batailles, puisque tu tiens la vie d’un enragé qui ne respire qu’après la guerre. Va t’en chanter aupi aux piquiers de ton père. Où est le fils de Cléonyme ? Approche, mon enfant. Je sais bien que tu ne chanteras pas de combats, et que tu tiendras de ton père.



Le fils de Cléonyme. Trygée. Le fils de Cléonyme.

Il y (c) a des barbares, parmi les Thraces, qui se parent de mon beau bouclier que je laissai malgré moi au pied d’un buisson.

Trygée.

Dis moi, ma petite pine , est-ce de ton père que tu dis cela, ou d’ Archiloque ?

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f°31 L’enfant.

Mais je me sauvai ; et il est bon de vivre.

Trygée.

Tu médis de ton père. Mais n’importe ; je veux que tu demeures à ma fête. Je sais bien que tu ne la troubleras point par des chants de guerre. Pour vous autres, qui êtes demeurée [sic], c’est à vous de briffer comme il faut et de faire les plats nets. Allons ; ne donnez coup qui ne fasse feu. À quoi sert d’avoir de bonnes dents, si l’on n’en fait rage ?



Le chœur. Trygée. Le ch.

Nous en aurons soin ; et nous te savons bon-gré de nous en avoir fait souvenir.

Trygée.

O ! vous, qui mou rriez de faim ci-devant, jettez jetez -vous sur les lièvres. On ne trouve pas de bons morceaux tous les jours. Faites rage de la machoire. Que l’on amène ici l’épou l’épousée, à la clarté des flambeaux, et que tout le peuple se réjouisse avec moi. Allons nous en à la campagne. Dansons, buvons, chassons les ennemis de la paix. Prions les Dieux qu’ils répandent toutes sortes de biens sur les Grecs ; qu’ils nous donnent abondance de grains, de vin, de figues, d’enfants ; et qu’ils nous fassent retrouver au double tout ce que nous avons perdu. Allons aux champs, ma petite femme. Je meurs d’envie de me voir entre tes bras.

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Le ch.

Hymen, Hyménée. Vive Trygée et son épouse. Portons les sur les épaules. Qu’il est heureux ! Qu’elle est jolie ! Vive Trygée et son épouse ! Hymen, Hyménée, Hymen[?]1 !

Fin de la Paix