L’Aristophane de Dom Lobineau (1721?)

Ce site présente l’édition numérique d’un manuscrit inédit de la toute première traduction française complète du théâtre d’Aristophane, composée entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle par l’ecclésiastique et historien Guy Alexis Lobineau (1667-1727), surtout connu pour son Histoire de Bretagne et sa contribution à l'Histoire de Paris.

La première traduction française complète d’Aristophane publiée date de 1784; il s’agit de celle de Poinsinet de Sivry. La traduction de Lobineau fait donc remonter d’environ un siècle la date du premier Aristophane français complet.

Le manuscrit est conservé à la Médiathèque municipale de Rochefort, sous la cote 78-79. C'est un don du Marquis de Queux de Saint-Hilaire. Néo-helléniste et amateur de musique, il possédait un domaine à proximité de Rochefort. Il est probablement à l’origine de la reliure des deux volumes, puisque les autres volumes du fonds Queux de Saint-Hilaire sont reliés de la même façon.

Les traductions d'Aristophane par Lobineau sont signalées dès 1738 dans le Journal historique sur les matières du temps, à propos de ses traductions de Polyen, puis en 1770 par Dom Tassin, qui dans son Histoire littéraire de la congrégation de Saint Maur, écrit : « Le P. Lobineau a encore traduit plusieurs autres pièces de ce poète comique ; mais ses traductions n’ont point vu le jour

L'ensemble a été décrit pour la première fois un siècle plus tard par Simon Chardon de la Rochette (1753-1814) dans "Sur Aristophane. Préface du P. Lobineau" publié en 1795 dans le Magasin Encyclopédique puis repris dans ses Mélanges de critique et de philologie, volume 3, p. 178-260, en 1812; cette publication contient de larges extraits de l'introduction, dont certains qui sont absents de notre manuscrit. Dans cette publication, on apprend que Chardon de la Rochette a eu accès à deux manuscrits, l'un contenant le texte d’Aristophane édité par Lobineau et l'autre la traduction française des comédies, qui lui ont été, dit-il, communiqués par l’abbé Mercier de Saint Léger en septembre 1792. Seul le manuscrit de la traduction nous est parvenu. Chardon de la Rochette décrit ainsi le manuscrit de la traduction : « Le second manuscrit, partagé en trois volumes in-8°, contient la traduction entière des XI comédies d'Aristophane qui nous restent. Elle est précédée d'une préface judicieuse et piquante, pleine de recherches sur les mœurs des Athéniens, toutes puisées dans Aristophane même. » (p. 179).

Le manuscrit se présente sous la forme de deux volumes de respectivement 371 et 233 feuillets. Le premier volume comprend une préface incomplète puis, dans cet ordre, Les Acarniens, Les Chevaliers, Les Nuées, Les Guêpes, Les femmes à la fête de Cérès. On trouve dans le second La Paix, Les Oiseaux, Lysistrate, Les Grenouilles, L'Assemblée des femmes, Plutus.

Il semble que notre manuscrit soit, en ce qui concerne la préface, une copie incomplète du manuscrit qu'a vu Chardon de la Rochette. En effet, dans son manuscrit, la préface "remplit soixante-sept feuillets, signés, au haut de chaque recto, a, b, c, etc. Le troisième alphabet finit à xxx. » tandis qu'elle occupe, dans notre manuscrit, non pas 67 feuillets mais 85; qui plus est, elle n'est pas paginée au recto par des lettres mais en chiffres arabes, de 1 à 85. Enfin, l'écriture est différente de celle des traductions.

Lobineau n'indique pas quelles éditions d'Aristophane il avait à sa disposition; cependant, il est probable qu'il ait eu accès à celle d'Emile Portet (Genève, 1607) ou celle de Jean Ravestein (Leyde, 1670).

Il a fait l’objet d’une numérisation, puis il a été saisi et encodé en XML-TEI. Le site présente le fac-similé et la transcription qui en a été faite.

Ce texte présente un intérêt double. Il enrichit considérablement l’histoire des traductions françaises du poète comique, dans la mesure où il constitue un jalon entre les deux premières traductions françaises du poète publiées en 1684, dues à Madame Dacier (Les Nuées et Ploutos), et celle, complète, de Poinsinet de Sivry, parue en 1784. Entre temps, d'autres se sont essayés à traduire Aristophane en français, dont le père Brumoy qui, dans son Théâtre des Grecs (1730), donnait à lire en français de nombreux extraits du poète comique, mais omettait les passages les plus licencieux. La traduction de Lobineau, elle, est non seulement complète mais très libre - et c'est d'ailleurs peut-être la raison pour laquelle l'homme d'église a décidé de ne pas la publier. Elle constitue en cela un témoignage singulier de la compréhension que l'on pouvait avoir du poète comique quand ne se posait pas la question de la publication - et qu'étaient donc évacués le risque de la censure et les enjeux de réputation.

Ensuite, ce texte est une source intéressante sur la méthode qu'utilise l'historien Lobineau pour, à partir des textes, rédiger une histoire d'Athènes vue par la lorgnette du poète comique. Dans ses notes en marge il renseigne les realia, les personnages historiques, tout ce qui a trait à l'histoire d'Athènes mais aussi de la comédie. Ces remarques sont reprises et structurées dans la longue introduction qui ouvre le premier volume, qui comprend quatre sections. La première donne à lire la liste des comédies attribuées à Aristophane et quelques remarques sur l'excellence de ses pièces, notamment parce qu'elles sont représentatives des mœurs des Athéniens. La deuxième porte sur ce qu'Aristophane nous apprend sur la religion, la politique et les coutumes des Athéniens. La troisième section est une prosopographie, et la quatrième comporte quelques remarques sur la traduction. Ainsi voit-on dans l'aller-retour entre la traduction et l'introduction comment Lobineau élabore son Histoire comique d'Athènes, et comment la démarche de l'historien influe sur le processus de la traduction.

Le projet a été mené grâce à un financement de la MSH-Alpes piloté par Malika Bastin-Hammou. La saisie et l'encodage ont été réalisés par trois stagiaires étudiantes en licence de Lettres classiques à l'Université Grenoble Alpes : Célia Charlois, Diandra Cristache et Joséphine Rambaud. Les stages se sont déroulés au sein de l'UMR 5316 Litt&Arts.

Elisabeth Greslou a piloté le processus d'encodage, avec l'aide d'Anne Garcia Fernandez.

Nathalie Arlin s'est chargée de la transformation des données et de la construction du site.